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sur le site de Sébastien Erhard
Université de Rouen
UFR de Lettres et Sciences Humaines
DESCILAC
Espérantistes et espérantophones :
dénominations d’identités sociolinguistiques en mutation
Mémoire de Maîtrise
présenté par
Sébastien Erhard
Sous la direction de M. Salih Akin
Octobre 2004
Je souhaiterais ici
adresser mes plus sincères remerciements
aux personnes qui ont
accepté de participer aux entretiens,
à M. Salih Akin, pour ses
précieux conseils,
à Fabien Bellat et à
François Lo Jacomo, pour leurs suggestions,
à Bruno Flochon, pour
l’envoi de documents pour le corpus,
à ma famille ainsi qu’à
mon employeur Denis-Serge Clopeau, pour leur soutien et leurs encouragements.
Espérantistes et
espérantophones :
dénominations
d’identités sociolinguistiques en mutation
Résumé en français :
Dans la langue française, on voit se dessiner
principalement deux dénominations à propos des personnes liées d’une manière ou
d’une autre à la langue espéranto : espérantiste et espérantophone.
Par le biais de la présente étude, nous chercherons à déterminer quels sont les
enjeux de ces dénominations : servent-elles à désigner des référents
distincts, ou s’agit-il d’une simple concurrence entre deux termes aux valeurs
connotatives différentes ? Pour répondre à ces questions, il nous faudra
analyser l’usage qui est fait de ces deux dénominations dans des discours aussi
bien endogènes qu’exogènes.
Puis, en nous basant sur des entretiens
semi-directifs avec des personnes impliquées à divers degrés dans l’usage de la
langue espéranto, nous examinerons comment s’opère l’identification à l’une ou
l’autre de ces dénominations.
Comment se nommer et être nommé ? Comment se
positionner et réagir par rapport à ces dénominations ? Voilà les thèmes
autour desquels s’articulera notre recherche.
Mots-clés :
sociolinguistique ; dénomination ;
espérantiste ; espérantophone ; identité ; espéranto ;
stéréotypes
(N.B. : Pour les personnes qui souhaiteraient me
contacter au sujet de ce mémoire, vous pouvez m’écrire à hodos @ free.fr)
Pour télécharger le mémoire en version PDF avec la
pagination de la version papier : memoire.pdf (602 Ko) et memoire-annexes.pdf (510 Ko)
*****
« Espérantistes »
kaj « espérantophones » :
nomoj de ŝanĝiĝantaj
socilingvistikaj identecoj
Resumo en Esperanto:
En la franca lingvo, oni observas la aperon de ĉefe
du nomoj pri la personoj iel ligitaj al la lingvo Esperanto : espérantiste
[≈ esperantisto] kaj espérantophone [≈ Esperanto-parolanto].
Pere de la jena studo, ni strebos determini tiujn, kiuj estas la celoj de tiuj
nomoj : ĉu ili servas por nomi malsamajn realaĵojn, aŭ ĉu
temas pri simpla konkurenco inter du terminoj je malsamaj konotaciaj valoroj?
Por respondi tiujn demandojn, ni devos analizi la uzadon faritan de tiuj du
nomoj en paroloj kaj endogenaj kaj ekzogenaj.
Poste, nin apogante sur duon-direktitaj
interparoladoj kun personoj implikataj je diversaj gradoj en la uzado de la lingvo
Esperanto, ni ekzamenos, kiel okazas la identiĝo al unu aŭ la alia el
tiuj nomoj.
Kiel sin nomi kaj esti nomata? Kiel poziciiĝi
kaj reagi rilate al tiuj nomoj? Jen la temoj, ĉirkaŭ kiuj artikiĝos
nia esploro.
Ĉefvortoj:
socilingvistiko ; nomo ; « espérantiste » ;
« espérantophone » ; identeco ; Esperanto ;
stereotipoj
(N.B. : Por la personoj, kiuj dezirus min
kontakti pri tiu memuaro, vi povas min alskribi al hodos @ free.fr)
Por elŝuti la memuaron je PDF-versio kun la paĝumado
de la papera versio: memoire.pdf (602 Kb) kaj memoire-annexes.pdf
(510 Kb)
Sommaire
2.3.
Présentation de la langue espéranto
2.3.1. D’un point de vue
historique et sociologique
2.3.2. D’un point de vue
interlinguistique
2.3.3. D’un point de vue
linguistique
3.1.2. Entretiens
semi-directifs
3.2.
Méthodologie d’analyse de discours
4.1. espérantiste / espérantophone dans les discours exogènes
4.1.2. Dans la presse, à
l’occasion d’un évènement spécifique
4.2. espérantiste / espérantophone dans les discours endogènes
4.2.1. À l’intention du public
extérieur
4.2.2. Au sein de la
communauté linguistique
Lors
de la journée d’étude sur l’espéranto, le 25 novembre 1983 à l’Université de
Paris VIII – Vincennes, le philosophe Jean-Claude Michéa déclarait :
« tout chercheur [...] qui a fait le minimum d’efforts nécessaires pour se
tenir à peu près au courant de l’état réel du mouvement espérantiste est
conduit à constater qu’autour de la langue imaginée en 1887 par Zamenhof a fini
par se construire tout un univers, à la fois étrange et passionnant, qui mérite
amplement d’être étudié pour lui-même » (Michéa, 1983 : 29).
Or, jusqu’à présent, tout cet aspect de
l’espéranto évoqué par Michéa, c’est-à-dire tous les phénomènes observables en
dehors de la langue en elle-même, est resté encore peu étudié. C’est l’une des
raisons qui a motivé notre recherche, outre notre connaissance préalable du
terrain.
À la
base, nous souhaitions donner une orientation psycholinguistique à notre
travail. En effet, nous avions l’intention d’étudier un phénomène certes très
minoritaire au sein de la communauté linguistique de l’espéranto, mais qui
mérite tout de même une attention particulière : celui des personnes ayant
l’espéranto comme langue maternelle. Or l’espéranto, de par sa nature de langue
véhiculaire et de par ses buts initiaux de langue auxiliaire secondaire, n’a
jamais eu pour finalité de devenir langue maternelle. Il s’agit généralement
d’une langue apprise de manière tout à fait consciente et délibérée. Mais
l’existence de couples internationaux a fait que certains de ces couples ont
choisi d’utiliser l’espéranto comme langue familiale, donnant par la suite à
leurs enfants une éducation bilingue, voire trilingue.
Comment des sujets, ayant pour langue
maternelle une langue initialement destinée à être apprise de façon consciente
et le plus souvent à l’âge adulte, construisent-ils leur identité
linguistique ? Et comment se fait l’éducation
langagière dans ce contexte plurilingue ? Ces questions nullement
dépourvues d’intérêt, à notre sens, méritaient une étude approfondie.
Mais
au cours de nos lectures préparatoires, nous
sommes tombé sur le témoignage en espéranto d’un Français marié à une
Brésilienne qui rapportait l’anecdote suivante :
« Mi neniam povos forgesi la tagon kiam mia
propra filo, en flua Esperanto diris al mi dum ni parolis pri la
Esperanto-movado : "Paĉjo, mi ne estas esperantisto, mi estas
nur Esperanto-parolanto". »
[*Je ne pourrai jamais oublier le jour où mon propre
fils, dans un espéranto fluide m’a dit tandis que nous parlions du mouvement
espéranto : "Papa, je ne suis pas espérantiste, je suis seulement
espérantophone [espéranto-parlant]".][1]
(Ledon, 1996 : 13)
Cette remarque a particulièrement attiré notre
attention, d’autant qu’en espéranto, on fait rarement la distinction entre les
dénominations esperantisto et Esperanto-parolanto, la
dénomination Esperanto-parolanto étant d’ailleurs fort peu employée. À
travers ce simple échange entre un fils et son père, nous voyons se dessiner un
phénomène d’identification à une dénomination au détriment d’une autre.
Ces réflexions nous ont donc
amené à nous pencher sur le cas de la langue française, où l’usage des deux
dénominations espérantiste et espérantophone est encore plus
concurrentiel qu’en espéranto. Or, les enjeux qui sous-tendent la concurrence
entre ces deux dénominations différentes sont loin d’être aussi insignifiants
qu’il n’y semblerait au premier abord.
Dans
la présente recherche, nous tâcherons donc d’étudier les phénomènes liés à ces
deux dénominations, et cela afin de mieux cerner les différentes populations
qui ont des rapports plus ou moins proches avec la langue espéranto.
Après avoir exposé la
problématique que soulève cette double dénomination, nous présenterons notre
corpus qui, par la suite, nous permettra d’analyser l’usage dans la pratique
des dénominations espérantiste et espérantophone, au travers de
discours aussi bien endogènes qu’exogènes.
Dans l’éditorial de mai 2004 du portail
d’information en espéranto Ĝangalo, le rédacteur en chef Flavio Rebelo,
reprochait au mouvement espéranto d’être parfois trop nombriliste et d’avoir
tendance à ne s’intéresser qu’à lui-même et ne parler que de lui. Rebelo
prenait pour preuve de ce nombrilisme le fait que, selon les statistiques
établies pour l’année 2003-2004, les visiteurs du site Ĝangalo étaient
plus enclins à lire les informations et les articles ayant trait à l’espéranto
plutôt que ceux en rapport avec l’actualité internationale (REBELO F., 2004,
« El la gorĝo » dans ĜANGALO,
http://gxangalo.com/kolumnoj/9.html).
Par ailleurs, étant donné son statut
actuel, l’espéranto est une langue qui cherche à se faire connaître et à faire
parler d’elle autant que possible. De ce fait, les locuteurs et les défenseurs
de l’espéranto sont souvent amenés à s’auto-désigner et aussi à être désignés
par le public extérieur. Pour exemple, le manifeste de Prague, rédigé lors du
Congrès Universel d’espéranto en 1996, commence ainsi : « Nous,
membres du mouvement mondial pour la promotion de la langue internationale
Espéranto […] ».
Se pose alors la question de la
dénomination adéquate pour désigner l’ensemble des locuteurs et/ou défenseurs
de l’espéranto, ces deux catégories ne recouvrant pas forcément les mêmes
personnes[2].
Au sein du mouvement espéranto, il y a
souvent eu, et il y a toujours, des divergences d’opinions sur la façon
d’envisager la langue (nous développerons ce point dans la présentation
historique et sociologique de l’espéranto en 2.3.1.). Malgré cela, la population ayant un lien avec la
langue espéranto a tendance à être considérée comme homogène vue de l’extérieur
(par exemple, un journaliste qui interviewera un locuteur de l’espéranto
présentera souvent son avis comme représentatif de celui de tous les locuteurs
de l’espéranto), même si ce n’est pas le cas dans la pratique. Eu égard à ces
considérations, on est en droit de se demander s’il y a une ou des
dénomination(s) possible(s) pour désigner l’ensemble de cette population, et
dans l’affirmative, comment cette ou ces dénomination(s) sont acceptées par les
personnes concernées.
Dans la langue espéranto, cette question
de l’auto-dénomination ne semble pas trop problématique, car c’est le terme esperantisto
qui apparaît comme le plus utilisé, bien qu’il existe aussi d’autres dénominations
possibles en espéranto, comme nous le verrons au cours de notre étude. Mais si
l’on ne centre notre propos que sur le cas de l’espéranto en France et dans les
pays francophones d’une manière générale[3], on remarque la présence principalement de deux dénominations
pour la population relative à l’espéranto : il s’agit des termes espérantiste et espérantophone. Or, on peut trouver ces deux termes aussi bien dans
les discours endogènes (auto-dénomination) que dans les discours exogènes
(dénomination exogène de la population relative à l’espéranto). Parfois
les deux termes cohabiteront dans le même discours, voire seront en
concurrence.
D’une manière générale, le terme espérantiste semble davantage utilisé
que espérantophone (il y a sans doute
des raisons à cela, sur lesquelles nous reviendrons plus loin). Toutefois,
cette concurrence de termes engendre bien souvent une certaine insécurité
linguistique à la fois pour les personnes concernées elles-mêmes que pour ceux
qui les désignent.
Pour illustrer cette insécurité
linguistique, citons ici juste un fait révélateur. Au cours de l’année 2003, la
ville bretonne de Pontivy organisa un cycle de manifestations commémoratives à
l’occasion du 80ème anniversaire de la disparition de l’écrivain Emile Masson. Comme cet écrivain avait, entre autres, défendu
l’espéranto au cours de sa vie, il y eut le 29 novembre 2003 une journée
consacrée à Emile Masson et l’espéranto. Au cours de cette journée, on inaugura
à la bibliothèque municipale une exposition sur la langue espéranto. Quelques
officiels intervinrent lors de l’inauguration, et notamment l’un des
organisateurs de la journée, M. Giraud (dont la femme est responsable du club
d’espéranto local mais qui lui-même ne s’occupe pas du tout d’espéranto). Ce
dernier se reprit, à la fin de son intervention, à peu près comme ceci :
« […] les espérantophones, car j’ai appris qu’il ne fallait plus dire les
espérantistes ».
Ainsi, dans certains cas, les deux
dénominations seront employées indifféremment à tour de rôle, alors que dans
d’autres cas, on aura tendance à les employer dans des contextes différents et
à leur attribuer des significations distinctes. D’autres fois encore, comme
dans l’anecdote mentionnée plus haut, on tendra à présenter espérantophone comme un terme destiné à suppléer
celui d’espérantiste, terme qui
pourtant perdure et semble même être davantage utilisé qu’espérantophone d’une manière générale. Dans ce contexte, quels
seraient les enjeux de cette tentative de redénomination ?
Nous pouvons donc nous demander si cette
concurrence de termes ne traduit pas des problèmes identitaires pour cette
communauté linguistique si difficile à cerner. Dans notre enquête, il nous
faudra essayer de définir les raisons qui sous-tendent les différences d’usage
des dénominations espérantiste et espérantophone. À partir de là, nous
verrons comment se font les positionnements identitaires. Le processus de
dénomination et l’identification de la population présentement étudiée seront
au cœur de notre recherche.
Cette instabilité entre les termes espérantiste et espérantophone pour désigner la population liée d’une certaine
manière à l’espéranto suscite de nombreuses questions sur les enjeux de ces
dénominations. Dans la problématique, nous avons également mis le doigt sur le
fait que cette double dénomination peut éventuellement avoir des incidences sur
la construction identitaire des personnes concernées. À partir de là, nous
pouvons émettre certaines hypothèses :
Nous tenterons d’analyser en détail
l’utilisation des deux dénominations au cours de l’analyse du corpus et de
noter dans quel cadre chacune évolue. Ainsi, nous verrons comment elles sont
définies, que ce soit de façon autonome, l’une par rapport à l’autre, ou bien
encore en comparaison avec d’autres dénominations. L’analyse des entretiens
nous permettra alors de voir comment un échantillon de sujets se détermine par
rapport à ces termes, et comment ces individus s’y identifient.
Il convient de présenter ici, ne
serait-ce que succinctement, quelques aspects de la langue espéranto, langue
autour de laquelle tourne notre objet d’étude. Cette présentation nous
permettra d’aborder certaines notions sur lesquelles nous reviendrons par la
suite.
L’auteur de l’espéranto, Lejzer-Ludwik
Zamenhof, était à la base un médecin spécialisé en ophtalmologie, mais c’était
aussi un polyglotte qui maîtrisait au moins cinq langues et en avait étudié
plusieurs autres. Il est né en 1859 dans la ville de Białystok, ville
située sur le territoire actuel de la Pologne, appartenant alors à la Russie.
Białystok était une ville où cohabitaient plusieurs communautés ethniques
et linguistiques : notamment des Russes, des Polonais, des Allemands et
des Juifs. Zamenhof était lui-même juif. Par la suite, Zamenhof ne manquera pas
de faire remarquer que c’est entre autres cette origine, c’est-à-dire cette
enfance passée dans une ville où la diversité linguistique était l’une des
principales sources de dissensions, qui lui inspirera son projet.
Pendant la période d’étude au lycée, avec
l’aide de quelques camarades de classe, il élaborera un premier projet sous le
nom de « Lingwe uniwersala ». Mais lorsqu’il partira poursuivre ses
études à Moscou en 1879, il confiera ses travaux à son père qui les détruira
pendant son absence, ne voyant pas d’un très bon œil les travaux de son fils.
De cet « ancien espéranto » en quelque sorte, il ne nous reste plus aujourd’hui
que 15 textes (Cash,
1992).
Zamenhof essaiera alors de reconstruire
la langue, et en profitera pour l’améliorer. C’est ainsi que le 26 juillet
1887, il fit paraître la première brochure en russe intitulée Lingvo
Internacia (ce qui signifie « langue internationale », nom
initial de la langue). Il signa cette brochure sous le nom de Doktoro
Esperanto. Ce pseudonyme, qui signifie mot à mot « Docteur Celui qui
espère », servit rapidement à désigner la langue elle-même.
Zamenhof mena un important travail de
publicité et d’information sur sa brochure, suite à quoi, grâce au
bouche-à-oreille, de nombreuses personnes se mirent à apprendre la langue (Privat, 1982a :
33-34). Rapidement, on vit des clubs et des sociétés d’espéranto se former dans
plusieurs pays d’Europe, puis, à partir de 1902, sur les autres continents.
Très tôt, on commença à parler de
« mouvement espérantiste ». La première revue d’espéranto eut pour
nom « La Esperantisto » et la première revue en France fut
« L’Espérantiste » (signalons d’ailleurs que la principale revue
d’espéranto en France s’appelait encore jusqu’en 2000 « Franca
Esperantisto » avant d’être rebaptisée « Le Monde de
l’Espéranto »).
Durant ses premières années, la langue se
développa et fut utilisée essentiellement par écrit, et en parallèle à cela,
une littérature en espéranto se mit en place, aussi bien à travers des
traductions qu’à travers une littérature originale (notamment de la poésie). Ce
n’est qu’au début du XXème siècle que l’espéranto commença à être parlé, avec
entre autres le premier Universala Kongreso [*Congrès Universel] en 1905, à
Boulogne-sur-Mer. Il convient de préciser qu’à cette époque déjà, l’espéranto
n’était pas envisagé de la même façon par tous ses locuteurs. Pour schématiser,
disons que nous avions d’une part en Europe occidentale, et principalement en
France sous l’influence de Louis de Beaufront, un point de vue qui consistait à
voir l’espéranto comme une langue réservée aux relations internationales et
rien de plus (Privat,
1982a : 65), tandis qu’à l’Est, tout particulièrement en
Russie, l’approche de l’espéranto était beaucoup plus idéaliste. Là-bas, on
rattachait la langue à des idéaux pacifistes et cela, par l’usage d’un
vocabulaire très enthousiaste, parfois à la limite du religieux ; il
convient néanmoins de replacer cette approche dans le contexte de l’époque (1982a :70).
Or, lors du congrès de Boulogne, en 1905, ce fut davantage la conception
« orientale » qui l’emporta, car c’est à partir de ce moment-là que
l’on se mit à parler de l’« interna ideo » [*idée interne] pour la
langue et que l’on choisit le drapeau avec l’étoile verte comme symbole de
l’espéranto ainsi que l’hymne « La Espero » (1982b : 21-22). C’est
également à cette occasion que Zamenhof rédigea la « Deklaracio pri
Esperantismo » [*Déclaration sur l’Espérantisme] qui définissait le
mouvement de l’espéranto et qui constituait en quelque sorte un compromis entre
les deux conceptions, bien que Zamenhof lui-même avait tendance à voir dans
l’espéranto plus qu’un simple outil de communication (1982b : 24-26). Il faut
d’ailleurs noter que de nombreux avis s’accordent à reconnaître que c’est ce
fond idéologique de l’espéranto (même s’il est souvent raillé par certains de
ses utilisateurs, mais il s’agit d’auto-dérision, puisque c’est le propre de
tout pouvoir d’avoir un contre-pouvoir) qui a permis à la langue de se
maintenir et de se développer ainsi, par opposition aux autres LAI qui avaient
souvent un aspect plus utilitaire (Michéa, 1983 : 32-33 ; Duc Goninaz,
1983 : 49-51 ; Janton, 1983 : 80).
Au cours de son histoire, l’espéranto
connaîtra ainsi d’autres divisions sur la façon de percevoir la langue. Ainsi,
par exemple, la séparation entre le mouvement neutre et le mouvement
non-neutre. Ce dernier fut à l’initiative d’Eugène Lanti, un instituteur
français qui créa en 1921 l’association SAT,
Sennacieca Asocio Tutmonda [*Association Mondiale Anationale]. À la base, cette
association se tournait essentiellement vers le milieu ouvrier et cherchait à
agir par l’espéranto et non pour l’espéranto (Privat, 1982b :131-132).
Lanti était assez critique par rapport à l’« interna ideo » et aussi par
rapport à la neutralité du mouvement espéranto (représenté par l’association
mondiale d’espéranto UEA, Universala Esperanto-Asocio). Selon un prospectus
récent au sujet de l’association SAT, son but précis est décrit ainsi :
« SAT vise l’application pratique de l’espéranto à l’échelle mondiale à
des fins de progrès social, d’émancipation des populations ». Toutefois,
la divergence d’opinions entre ces deux associations s’est aujourd’hui
amenuisée et les deux associations travaillent parfois en collaboration, même
si leurs buts restent distincts.
Une autre divergence d’opinions, plus
récente, est celle entre « fin-venkistoj » et « raŭmistoj ».
Pour décrire ce paradigme, il nous faut d’abord expliquer ce qu’est la
« fina venko » : cette expression signifie en espéranto
« victoire finale »[4].
Ce terme désigne le moment de la reconnaissance générale de l’espéranto,
lorsque la langue sera introduite et appliquée comme deuxième langue pour tous
(Sikosek, 1999 :
58). Ainsi, les personnes qui partagent cette idéologie, ou qui d’une manière
générale ont tendance à agir dans ce but, sont parfois qualifiées de
« fin-venkistoj ». En réaction à l’idéalisme un peu trop exacerbé de
certains de ces « fin-venkistoj », qui vont parfois jusqu’à faire
l’éloge de l’espéranto de façon non objective et exagérée, un manifeste fut
rédigé en 1980, lors du 36ème Congrès International des Jeunes à Rauma, en
Finlande. Dans ce Manifeste de Rauma, hormis la critique de l’idéalisme de la
« communauté espérantophone » (je reprends ici les termes de la
traduction française du manifeste disponible sur le site www.lingvo.info),
il est proposé, parmi les objectifs, la valorisation d’un « nouveau type
de culture internationale », et la « communauté espérantophone »
est conçue comme « une minorité linguistique choisie »
(malheureusement, la traduction française omet ici l’adjectif de
« diaspora » présent dans la version originale du manifeste). C’est
pourquoi on parlera de « raŭmistoj » pour les locuteurs de
l’espéranto qui ont tendance à se considérer en quelque sorte comme un
« peuple » à part, ou ceux qui veulent particulièrement valoriser une
culture propre à l’espéranto. Cette tendance a même conduit certains à mettre
en place une « citoyenneté de l’espéranto » dans la cadre d’une
fictive « cité de l’espéranto » (« Esperanta Civito » en
espéranto), qui néanmoins reste plutôt anecdotique par rapport à l’ensemble des
locuteurs de l’espéranto.
Par ailleurs, dans un article de 1996,
Zlatko Tišljar cherche à restreindre cette dichotomie en démontrant que ces
deux conceptions de l’espéranto sont complémentaires et non contradictoires.
Selon lui, d’une part, les « raŭmistoj » ont raison de rappeler
que la communauté espérantophone constitue, qu’elle le veuille ou non, un
« peuple » avec également une culture qui lui est propre, et d’autre
part, les « fin-venkistoj » ont le mérite de souligner que le propre
de tout peuple est d’avoir une croyance commune (qu’elle soit réalisable ou
non). Cette croyance commune, pour le cas de l’espéranto, est l’« idée
interne » mentionnée précédemment, idée qui a permis à la langue de se
maintenir et se développer jusqu’à aujourd’hui. Tišljar conclut son article en
laissant entendre que cette dichotomie, bien que complémentaire, s’avère en
fait une quadrature du cercle puisque le fait même de constituer un
« peuple » est un frein au but de celui-ci. Il résume cette opinion
ainsi :
« Sen Esperanto-popolo
Esperanto kiel lingvo ne povus evolui kaj maturiĝi, kun la popolo ĝi
ne povas fariĝi monda! »
[*Sans le peuple espéranto,
l’espéranto comme langue ne peut pas évoluer et devenir mature, avec le peuple
elle ne peut pas devenir mondiale !]
(Tišljar, 1997 : 59)
Pour finir, rajoutons quelques précisions
historiques. Au cours de son histoire, l’espéranto a reçu le soutien à la fois
de diverses personnalités telles que, par exemple, Léon Tolstoï, Jules Vernes,
Antoine Meillet ou Umberto Eco (Sikosek, 1999 : 108-122), et
d’organisations internationales comme la Société des Nations et l’UNESCO (ibid. :
124-125). Mais d’un autre côté il a été également persécuté, à diverses
périodes, par certains régimes totalitaires. En outre, quasiment dès le début
de son histoire, l’espéranto se dota de nombreux outils utiles, voire parfois
nécessaires, au maintien d’une communauté linguistique, telles de nombreuses
revues, une Académie d’espéranto, une littérature importante aussi bien
traduite que originale, des rencontres régulières... outils toujours développés
de nos jours, notamment grâce aux nouvelles possibilités qu’offre l’Internet.
L’interlinguistique est la discipline qui
se charge d’étudier les langues internationales. Même si son objet d’étude
demeure encore mal défini et reste assez sujet à polémiques (Erhard, 2002 :
§1), on peut dire que cette discipline s’occupe entre autres des Langues
Auxiliaires Internationales. Les Langues Auxiliaires Internationales (LAI) sont
des langues construites sous l’impulsion d’une ou de plusieurs personnes et
dont le but est de servir de langue véhiculaire pour la communication
internationale.
L’espéranto fait partie de ces LAI ;
mais son importance est telle aujourd’hui, comparativement aux autres LAI, que
l’espérantologie est devenue une branche à part entière de l’interlinguistique.
En effet, l’espéranto n’a été ni la première ni la dernière des LAI publiées[5], et l’histoire des différentes LAI participe à
l’histoire même de la langue espéranto.
Citons donc quelques-unes de ces LAI,
parmi les plus connues ou les plus importantes.
Tout d’abord le Volapük (dont le
nom est composé de « vol » et de « pük », qui viennent
respectivement de l’anglais « world » et « speak », avec
entre les deux la finale slave du génitif « -a »), publié en 1879 par
le prêtre catholique allemand Johann Martin Schleyer. Même si le volapük
n’était pas la première LAI publiée, il est néanmoins considéré comme la
première LAI à avoir dépassé le stade de projet écrit pour devenir la langue
d’une communauté linguistique. Or c’est cela même qui causera sa perte, car son
auteur Schleyer ne comprendra pas « les implications du passage de la
création individuelle à la pratique collective » (Janton, 1973 : 20). Et
lorsque l’espéranto apparaîtra une dizaine d’années plus tard, le volapük aura
alors déjà entamé son déclin. Cela n’empêchera pas Zamenhof, l’initiateur de
l’espéranto, de déclarer lors d’un discours, en 1911, que Schleyer est
« le vrai père du mouvement en faveur d’une langue internationale ».
L’ido est sûrement la LAI qui joua le
rôle le plus important dans l’histoire de l’espéranto. En effet, la plupart des
LAI d’une certaine envergure ont connu de nombreux projets de réforme.
L’espéranto n’échappa pas à cette règle. Lui aussi eut des dizaines de
descendants, la plupart sans lendemain, à l’exception de l’ido qui connu un
véritable retentissement, au point qu’il divisa à une certaine époque le
mouvement espérantiste et donna naissance à son tour à des descendants. Le nom
même de la langue, Ido, signifie en espéranto « descendant »
(à l’origine, l’ido était appelé Esperanto reformita, « espéranto
réformé »). Ce projet a été développé dans les années 1907-1909 par Louis
Couturat et présenté au « Comité de la Délégation pour l’adoption d’une
langue auxiliaire internationale » par l’espérantiste français Louis de
Beaufront. Cette réforme visait à améliorer l’espéranto, notamment en le
rapprochant davantage de certaines langues européennes, essentiellement latines
(Albani &
Buonarroti, 2001 : 223). On qualifia cette époque de crise de
l’ido (« Ido-krizo » en espéranto), car on vit alors apparaître,
parallèlement au mouvement espérantiste, un mouvement idiste qui donna lieu à
certaines dissensions (Privat, 1982b : 62). En définitive, le mouvement idiste
perdit de l’influence assez rapidement, pour rester finalement minoritaire par
rapport à l’espéranto. Et même si l’ido n’a pas complètement disparu
aujourd’hui, son utilisation reste cependant confidentielle.
Une tendance plus récente dans l’histoire
des LAI est la tendance naturaliste, qui vise à proposer des LAI les plus
proches possibles des langues existantes, généralement des langues romanes.
Cette tendance, déjà amorcée en 1921-1922 par Edgar de Wahl avec son Occidental,
est surtout représentée par l’Interlingua. L’interlingua est le fruit
des décisions de l’International Auxiliary Language Association (IALA). On
trouve, parmi les collaborateurs de l’IALA, plusieurs linguistes émérites comme
Otto Jespersen, Edward Sapir et André Martinet. L’interlingua avait été proposée
à l’IALA en 1951 par Alexander Gode, et ce projet-là fut retenu en 1953 parmi
les quatre variantes proposées (Albani & Buonarroti, 2001 : 219). De nos jours,
l’interlingua est toujours présente, mais là encore de façon disproportionnée
en comparaison avec l’espéranto. Néanmoins, l’interlingua ne semble pas
poursuivre exactement les mêmes buts que l’espéranto : l’interlingua vise
vraisemblablement un public précis, une certaine intelligentsia occidentale, et
pour un usage strictement linguistique, ce qui n’est pas toujours le cas de
l’espéranto comme nous le verrons plus loin.
Pour certains locuteurs actuels de
l’espéranto, les autres LAI apparaissent comme un objet de curiosité, alors que
pour d’autres, comme des concurrents potentiels. Fréquemment, les locuteurs (le
plus souvent virtuels) de ces autres LAI servent de cibles aux traits d’humour
en espéranto : ainsi, de la même façon que les Français font des blagues
sur les Belges ou que les Flamands font des blagues sur les Néerlandais,
l’espéranto étant une langue à portée internationale et ne voulant donc
froisser aucune nationalité, on verra souvent des blagues en espéranto sur les
idistes ou les volapükistes.
Enfin, on signalera que ces LAI sont
classées selon plusieurs procédés, mais notamment selon un axe allant des
langues dites a priori, c’est-à-dire n’ayant aucun lien conscient avec
les langues déjà existantes, vers les langues dites a posteriori,
c’est-à-dire se rapprochant au maximum des langues existantes. Sur cet axe, on
distinguera plusieurs tendances, dont la tendance naturaliste précédemment
citée (Erhard,
2002 : annexe 3). L’espéranto, pour sa part, est une langue a
posteriori de la tendance mixte, c’est-à-dire avec certains traits de
schématisme sur le plan grammatical essentiellement, mais avec un vocabulaire
ayant des racines naturelles rarement ou jamais modifiées.
En premier lieu, l’espéranto s’écrit avec
un alphabet latin. Son alphabet se compose de 28 graphèmes, correspondant
chacun strictement à un seul phonème. Toutes les lettres se lisent, il n’y a
pas de lettre muette.
Voici donc ci-dessous l’alphabet de
l’espéranto, avec entre crochets sa prononciation correspondante dans l’Alphabet
Phonétique International :
a
[ɑ:], b [b], c [ts], ĉ [tʃ], d [d], e [ε] [6],
f [f], g [g], ĝ [dʒ], h [h], ĥ [x], i [i:], j [j], ĵ [ʒ], k [k], l [l], m [m], n
[n], o [o] [7],
p [p], r [r], s [s], ŝ [ʃ], t [t], u [u:], ŭ [w], v [v], z [z]
Signalons également que l’espéranto possède 6
diphtongues : aj [aɪ], ej [εɪ], oj [oɪ], uj [uɪ], aŭ [aʊ], eŭ [εʊ]
Sur le plan grammatical, la grammaire de
base peut se résumer en 16 règles. Celles-ci furent fixées en 1905 par
Zamenhof, l’auteur de la langue, dans son ouvrage Fundamento de Esperanto,
comme base stable et immuable de la langue. Cette base ne visait absolument pas
à empêcher toute évolution ou enrichissement de la langue, mais au contraire à
« imprimer une direction générale, d’ailleurs assez souple, à
l’évolution » (Janton, 1973 : 49).
Citons
donc ces 16 règles, telles que Zamenhof les avait rédigées en français :
1.
L'Esperanto n'a qu'un article défini (la),
invariable pour tous les genres, nombres et cas. Il n'a pas d'article indéfini.
Remarque – L'emploi de l'article est le même
qu'en français et en allemand. Mais les personnes auxquelles il présenterait
quelques difficultés peuvent fort bien ne pas s'en servir.
2.
Le substantif finit toujours par o. Pour former le
pluriel on ajoute j au singulier. La langue n'a que deux cas : le nominatif
et l'accusatif. Ce dernier se forme du nominatif par l'addition d'un n.
Les autres cas sont marqués par des prépositions : le génitif par de
(de), le datif par al (à), l'ablatif par per
(par, au moyen de) ou par d'autres prépositions, selon le sens. Ex. : la
patr'o – le père, al la patr'o – au père, de
la patr'o – du père, la patr'o'n – le père (à
l'accusatif, c.-à-d. complément direct), per la patr'o'j – par les pères ou
au moyen des pères, la patr'o'j'n – les pères (accus.
plur.), por la patr'o – pour le père, kun la patr'o – avec
le père, etc.
3.
L'adjectif finit toujours par a. Ses cas et ses
nombres se marquent de la même manière que ceux du substantif. Le comparatif
se forme à l'aide du mot pli – plus, et le superlatif
à l'aide du mot plej – le plus. Le "que" du comparatif se traduit
par "ol" et le "de" du superlatif par "el"
(d'entre). Ex. : pli blank'a ol neĝ'o – plus blanc que neige ; mi
hav'as la plej bel'a'n patr'in'o'n el ĉiu'j – j'ai la plus
belle mère de toutes.
4.
Les adjectifs numéraux cardinaux sont
invariables : unu (1), du (2), tri
(3), kvar (4), kvin (5), ses (6), sep
(7), ok (8), naŭ (9), dek (10), cent
(100), mil (1 000). Les dizaines et les centaines se forment par
la simple réunion des dix premiers nombres. Aux adjectifs numéraux cardinaux on
ajoute : la terminaison (a) de l'adjectif, pour les numéraux
ordinaux ; obl, pour les numéraux multiplicatifs ;
on,
pour les numéraux fractionnaires ; op, pour les
numéraux collectifs. On met po avant ces nombres pour marquer
les numéraux distributifs. Enfin, dans la langue, les adjectifs, les
adjectifs numéraux peuvent s'employer substantivement ou adverbialement.
Ex. : Kvin'cent tri'dek tri – 533 ; kvar'a – 4me ; tri'obl'a
– triple ; kvar'on'o – un quart ; du'op'e – à
deux ; po kvin – au taux de cinq (chacun) ; unu'o –
(l')unité ; sep'e – septièmement.
5.
Les pronoms personnels sont mi (je, moi), vi
(vous, tu, toi), li (il, lui), ŝi (elle), ĝi
(il, elle, pour les animaux ou les choses), si (soi), ni (nous), ili
(ils, elles), oni (on). Pour en faire des adjectifs ou des pronoms
possessifs, on ajoute la terminaison (a) de l'adjectif. Les pronoms se
déclinent comme le substantif. Ex. : mi'n – moi, me (accus.), mi'a
– mon, la vi'a'j – les vôtres.
6.
Le verbe ne change ni pour les personnes, ni pour les
nombres. Ex. mi far'as – je fais, la patr'o far'as – le père fait, ili
far'as – ils font.
Formes du verbe :
a) Le présent est caractérisé par as ;
ex. : mi far'as – je fais.
b) Le passé, par is : vi far'is – vous
faisiez, vous avez fait.
c) Le futur, par os : ili far'os – ils
feront.
ĉ) Le conditionnel, par us : ŝi
far'us – elle ferait.
d) L'impératif, par u : far'u
– fais, faites ; ni far'u – faisons.
e) L'infinitif, par i : far'i
– faire.
f) Le participe présent actif, par ant :
far'ant'a
– faisant, far'ant'e - en faisant.
g) Le participe passé actif, par int :
far'int'a – ayant fait
ĝ) Le participe futur actif, par ont :
far'ont'a
– devant faire, qui fera.
h) Le participe présent passif, par at :
far'at'a – étant fait, qu'on fait.
ĥ) Le participe passé passif, par it :
far'it'a
– ayant été fait, qu'on a fait.
i) Le participe futur passif, par ot :
far'ot'a
– devant être fait, qu'on fera.
La voix passive n'est que la
combinaison du verbe est (être) et du participe présent
ou passé du verbe passif donné. Le "de" ou le "par" du
complément indirect se rendent par de. Ex. : ŝi
est'as am'at'a de ĉiu'j – elle est aimée de tous (part. prés. :
la chose se fait). La pord'o est'as ferm'it'a – la
porte est fermée (part. pas. : la chose a été faite).
7.
L'adverbe est caractérisé par e. Ses degrés de
comparaison se marquent de la même manière que ceux de l'adjectif. Ex. : mi'a
frat'o pli bon'e kant'as ol mi – mon frère chante mieux que moi.
8.
Toutes les prépositions veulent, par elles-mêmes, le
nominatif.
9.
Chaque mot se prononce absolument comme il est écrit.
10.
L'accent tonique se place toujours sur l'avant-dernière
syllabe.
11.
Les mots composés s'obtiennent par la simple réunion des
éléments qui les forment, écrits ensemble, mais séparés par de petits traits '.
Le mot fondamental doit toujours être à la fin. Les terminaisons grammaticales sont
considérées comme des mots. Ex. : vapor'ŝip'o (bateau à vapeur)
est formé de : vapor - vapeur, ŝip
– bateau, o – terminaison caractéristique du substantif.
12.
S'il y a dans la phrase un autre mot de sens négatif,
l'adverbe "ne" se supprime. Ex. : mi neniam vid'is –
je n'ai jamais vu.
13.
Si le mot marque le lieu où l'on va, il prend la terminaison
de l'accusatif. Ex. : kie vi est'as ? – où
êtes-vous ? kie'n vi ir'as ? – où allez-vous ? Mi
ir'as Pariz'o'n – je vais à Paris.
14.
Chaque préposition possède, en Espéranto, un sens immuable
et bien déterminé, qui en fixe l'emploi. Cependant, si le choix de celle-ci
plutôt que de celle-là ne s'impose pas clairement à l'esprit, on fait usage de
la préposition je qui n'a pas de signification propre. Ex. : ĝoj'i
je tio – s'en réjouir, rid'i je tio – en rire, enu'o
je la patr'uj'o – regret de la patrie.
La clarté de la langue n'en souffre aucunement, car, dans
toutes, on emploie, en pareil cas, une préposition quelconque, pourvu qu'elle
soit sanctionnée par l'usage. L'Espéranto adopte pour cet office la seule
préposition je.
À sa place on peut cependant employer aussi l'accusatif sans
préposition, quand aucune amphibologie n'est à craindre.
15.
Les mots "étrangers" c'est-à-dire ceux que la
plupart des langues ont empruntés à la même source, ne changent pas en
Espéranto. Ils prennent seulement l'orthographe et les terminaisons
grammaticales de la langue. Mais quand, dans une catégorie, plusieurs mots
différents dérivent de la même racine, il vaut mieux n'employer que le mot fondamental,
sans altération, et former les autres d'après les règles de la langue
internationale. Ex. : tragédie – tragedi'o, tragique – tragedi'a.
16.
Les terminaisons des substantifs et de l'article peuvent se
supprimer et se remplacer par une apostrophe. Ex. : Ŝiller'
(Schiller) au lieu de Ŝiller'o ; de
l'mond'o au lieu de de la mond'o.
(ZAMENHOF L.L., 1991, Fundamento
de Esperanto, 10ème ed., Edistudio, Pise, 355 p. : 51-56)
Sur le plan de la classification des langues,
on signalera que l’espéranto a de nombreux traits propres aux langues
agglutinantes (Cherpillod, 1989 : 24), malgré son vocabulaire issu en
grande partie des langues indo-européennes (qui sont des langues flexionnelles).
Mais l’auteur même de la langue semblait conscient du caractère particulier de
l’espéranto, lorsqu’il écrivait : « J’ai effectué une analyse
complète des idées en mots indépendants, de sorte que l’ensemble de la langue,
au lieu de mots sous diverses formes grammaticales, consiste uniquement et
seulement en mots invariables. […] Et les diverses formes grammaticales, les
relations réciproques entre les mots, etc., sont exprimées par l’association de
mots invariables. Mais étant donné qu’une telle construction est complètement
étrangère aux peuples européens […], j’ai conformé absolument cette analyse à
l’esprit des langues européennes. […] De cette façon, l’analyse de la langue ne
gêne pas l’étudiant ; il ne soupçonne même pas que ce qu’il appelle désinence
ou préfixe ou suffixe est un mot tout à fait indépendant […] » (Zamenhof, 1992 :
234-235 ; traduction de P. Janton, 1973 : 55). Néanmoins, cette analyse de
Zamenhof semble presque faire de l’espéranto une langue isolante (ce qui n’est
pas vraiment contradictoire, car les langues isolantes ont de nombreux traits
en commun avec les langues agglutinantes).
Après
avoir présenté quelques aspects importants de la langue espéranto, revenons au
thème central de notre étude et précisons dans quel cadre théorique s’inscrit
notre problématique.
Notre étude porte sur la variation en
français entre les termes espérantiste
et espérantophone. Il s’agit là à la
fois d’une variation diachronique, comme nous l’avons évoqué dans l’une de nos
hypothèses, mais aussi et surtout d’une variation synchronique, car certains
préfèreront employer l’un des termes, tandis que d’autres personnes utiliseront
l’autre, ou parfois les deux termes seront employés par les mêmes personnes
soit indifféremment, soit dans des contextes différents.
Or, dans la linguistique, on distingue
deux courants distincts selon que l’on prend en compte ou non la variation.
Ainsi, la linguistique que l’on qualifie de « traditionnelle » aura
tendance à considérer son objet d’étude, la langue, en faisant abstraction de
la variation. Elle se base sur le postulat d’une communauté linguistique idéale
où il n’y aurait pas de variation, comme le montre cette remarque de
Chomsky : « on peut imaginer une communauté linguistique homogène, au
sein de laquelle il n’existe aucune variation de style ou de dialecte » (Chomsky, 1985 :
209). Mais le problème de ce postulat est qu’il nie la réalité de la langue,
car toute communauté linguistique est soumise à des variations de tous ordres,
dont les raisons sont le plus souvent sociales.
C’est pourquoi William Labov distingue
deux sortes de linguistes : ceux « à tendance "sociale" qui
suivent de près le rôle des facteurs sociaux dans les changements
linguistiques » et les "asociaux" qui « expliquent le
changement linguistique par des facteurs purement internes, structuraux ou
psychologiques » (Labov, 1976 : 357). Par cette distinction, Labov donne par là
même une définition de la sociolinguistique en comparaison à la linguistique.
Étant donné que notre sujet porte sur un phénomène de variation, il se rattache
donc à la sociolinguistique. De ce fait, il faudra s’appuyer notamment sur des
raisons sociales pour expliquer cette variation.
Par ailleurs, la variation, en plus
d’être due a des raisons sociales, est également un révélateur. Toute variation
est porteuse de signification, elle nous apporte des informations pas seulement
linguistiques ; ce que rappelle Labov lorsqu’il écrit : « Le
locuteur, non content d’informer l’auditeur en lui représentant le monde
extérieur, lui révèle en même temps un peu de lui-même et de ses dispositions.
La variation sociale et stylistique présuppose que l’on peut choisir de
"dire la même chose" de plusieurs façons différentes, soit par des
variantes dont la valeur dénotative ou assertorique est constante, mais qui
s’opposent par leur significativité sociale et/ou stylistique » (ibid. :
366).
On le voit donc, la variation n’est
jamais insignifiante et cela ne s’applique pas seulement au style : tout
changement de nom, ou choix d’un nom plutôt qu’un autre, nous fournit des
renseignements à la fois sur l’énonciateur et sur le signifié désigné. C’est un
acte motivé par des raisons qu’il convient d’étudier. Et c’est là justement
l’objet de la dénomination. Le nom est bien plus qu’un simple signifiant
servant à désigner un signifié. Pour Paul Siblot, le nom, « à défaut de
désigner en lui-même l’être nommé, dans sa vérité, il désigne notre rapport à
lui. Ou plus exactement nos rapports à lui ; car ces relations sont
multiples et elles expliquent la polysémie constitutive de toute
catégorisation » (Siblot, 1999 : 25). Nommer revient donc à indiquer une
subjectivité. À un tel point que, un peu plus loin, Siblot va jusqu’à réfuter
la fonction première du nom : « En son fond, le nom ne signifie pas
comme on le croit le référent, mais seulement un point de vue sur lui. Ce n’est
donc pas la stabilité qui fondamentalement le caractérise, mais au contraire la
relativité » (ibid. : 25).
Mais cet apport d’information de la part
du nom n’est possible que parce que ce nom s’oppose à d’autres noms pour
désigner le même référent. La subjectivité s’exprime donc plus dans ce choix de
nom que dans le nom lui-même. Salih Akin souligne cet aspect de la dénomination :
« la dénomination implique un acte personnel, une sélection parmi une
multitude de choix possibles, elle ne peut pas ne pas s’accompagner d’une prise
de position enregistrée et actualisée en discours » (Akin, 1999 : 34). Il n’y a
sens dans l’acte de dénomination que parce que cette dénomination est multiple,
bien que néanmoins, l’absence de dénomination pour un référent peut être
parfois tout aussi porteuse de signification.
De ce fait, la dénomination nous renseigne
sur le point de vue du locuteur par rapport au référent, mais aussi sur son
point de vue par rapport aux autres noms possibles pour désigner le référent.
C’est ce qu’exprime Siblot, lorsqu’il écrit : « Nommer ce n’est pas
seulement se situer à l’égard de l’objet, c’est aussi prendre position à
l’égard d’autres dénominations du même objet, à travers lesquelles les
locuteurs prennent également position » (Siblot, 1997 : 55).
Mais le processus de dénomination est souvent
plus complexe qu’un simple choix de nom et un positionnement par rapport à
d’autres noms. Dans notre étude, nous nous proposons d’étudier la différence
d’emploi des termes espérantiste et espérantophone, dont les
locuteurs se servent tantôt pour désigner le même référent, tantôt pour
désigner deux référents distincts pouvant se recouper en certains points.
Toutefois, même lorsque les locuteurs s’accordent sur le terme à employer, il y
a tout de même d’autres facteurs à prendre en compte : « Non seulement
les locuteurs emploient des termes différents pour désigner un même référent –
et disputent à leur sujet –, mais lorsqu’ils usent des mêmes mots, ils les
comprennent différemment et doivent pour "s’entendre" en négocier le
sens » (Siblot,
1999 : 20). Cette remarque de Siblot peut d’ailleurs évoquer la
théorie de la praxématique, dont l’unité d’analyse, le praxème, « a une
forme phonologique (un signifiant), mais n’a pas de sens (signifié). Il produit
du sens une fois mis en discours, suivant les programmes qu’il soutient et
auxquels il obéit » (Lafont, 1979 : 38).
Parmi la multiplicité des dénominations
possibles pour un même référent, on peut déjà distinguer deux grands
types : l’auto-dénomination et l’hétéro-dénomination. Selon que l’on se
nomme soi-même ou que l’on nomme l’autre, la dénomination variera
nécessairement, que ce soit en forme ou seulement en sens. Cette distinction
importante est encore une source d’information sur notre rapport au référent,
comme le rappelle Siblot : « une nomination n’existe qu’en fonction
d’autres nominations, en charge d’autres points de vue. La prise en compte de
cette réalité motive la distinction sommaire faite entre autodésignation et hétérodésignation :
nous savons depuis longtemps que le barbare, c’est l’autre » (Siblot, 1999 :
26). Pour le cas de notre enquête, cette distinction se manifestera par
l’analyse de l’usage des dénominations espérantiste et espérantophone
à la fois dans les discours endogènes (auto-dénomination) et exogènes
(hétéro-dénomination).
Mais la dénomination a bien plus
d’importance qu’il n’y paraît. Siblot en parle même comme d’un
engagement : « Dès lors que les dénominations ne sont plus tenues
pour de simples étiquettes, mais comme l’expression de prises de position
sociales, politiques, idéologiques, c’est d’actes engagés dans la vie sociale
dont il s’agit, et par là de nominations » (ibid. : 26). Malgré l’apparence
anodine de l’acte de nommer, cet acte peut parfois avoir des incidences d’une
plus ou moins grande ampleur.
« Il serait naïf de croire qu’il y a
toujours une intention consciente ou, en sens inverse, que dénommer est chose
innocente ou pratique conforme à la réalité linguistique » (Marcellesi,
1981 : 8). La dénomination, comme on le voit, peut être une
activité lourde de sens et de conséquences, qu’elles soient voulues ou non. Ce
n’est pas nécessairement le réel qui façonne les noms, les noms en eux-mêmes
peuvent également façonner le réel. Il s’agit ici d’une capacité
quasi-démiurgique de l’action de nommer. En certains cas, nommer, c’est
permettre d’exister[8]. Concernant cet aspect performatif de la
dénomination, Jean-Baptiste Marcellesi écrit : « donner des noms
différents au même système c’est déjà le morceler » (ibid.
: 8). Dans notre étude sur les dénominations espérantiste / espérantophone, la remarque de Marcellesi
peut nous permettre de soulever la question suivante : si l’apparition de
cette double dénomination pour désigner la population relative à l’espéranto
est assez récente, est-ce cette nouvelle dénomination qui aurait divisé et créé
deux réalités différentes d’espérantistes d’un côté et d’espérantophones
de l’autre, ou bien cette dénomination répondait-elle à un besoin déjà
existant ? Nous tenterons de répondre à cette question au cours de
l’analyse.
Salih Akin désigne la capacité
performative de la dénomination par l’expression de « genèse
sociolangagière des noms » qu’il décrit ainsi : « Elaborés
socialement, culturellement et historiquement, ceux-ci ne reflètent pas
seulement la production de phénomènes identitaires révélateurs du passé, du
présent et de l’avenir : ils construisent l’identité elle-même. Cette
performativité implique un dépassement de la seule fonction référentielle
attribuée aux noms et leur confère une orientation conative » (Akin, 1999 :
59).
Cela nous amène donc à la question de
l’identité. Il y a un lien certain entre la dénomination et l’identification.
Se nommer ou être nommé permet de s’identifier à cette dénomination, ou
inversement, de marquer sa distance par rapport à celle-ci. Selon le sociologue
Pierre Bourdieu, ce sont les autres qui nous attribuent une identité à partir
de laquelle on se constitue (Bourdieu, 1992 : 17). L’hétéro-désignation semble donc
avoir une importance capitale dans le processus de la construction identitaire :
on se construit et on se positionne à partir de l’identité qui nous est donnée.
Une fois son identité acceptée,
l’auto-dénomination peut alors servir d’outil de revendication identitaire,
d’affirmation de soi-même. On s’approprie sa propre dénomination, comme le
décrit Pierre Janton : « Identifier, ce n’est pas fusionner avec
l’objet mais le saisir et le posséder » (Janton, 1983 : 75). Akin
nous précise que les noms « jouent un rôle fondamental dans les stratégies
d’affirmation, de reconstruction et repositionnement identitaires et/ou
nationales » (Akin,
1999 : 59). Cet aspect-là rejoint à nouveau l’aspect
performatif de la dénomination : les noms ont une force, ils nous
permettent de nous construire et peuvent parfois même jouer le rôle
d’armes ; par exemple, Laurence Rosier et Philippe Ernotte parlent de
« guerre civile des mots » (Rosier & Ernotte, 1999 :
93).
La dénomination est une force qui, en
même temps, est elle-même conditionnée par d’autres forces. Akin la définit
ainsi : « Lieu d’affirmation identitaire, la dénomination est aussi
lieu d’exercice du pouvoir. Elle est conditionnée par les rapports de force,
soumise à des contraintes, obéit à des règles sociales et culturelles » (Akin, 1999 :
35). Les facteurs à prendre en compte et les enjeux de la dénomination sont
donc nombreux. Par le choix des dénominations, nous créons systématiquement des
catégories qui émergent lors de l’énonciation. Cela rejoint à nouveau la
praxématique, car ces catégories n’apparaissent qu’au moment de l’énonciation,
c’est-à-dire de la mise en discours. Enfin, à ces catégories identitaires
peuvent se coller des images que l’on nomme stéréotypes. Les stéréotypes figent
les individus et plus particulièrement les catégories, notamment au travers de
la dénomination, et donnent naissance à des images soit positives soit
négatives, mais en tout cas réductrices.
Mais de même que les dénominations
peuvent être multiples, nos identités aussi sont multiples : « il existe
autant de paradigmes identitaires – au sens d’énonciation / assignations
lexicalisables – qu’il existe d’appareils idéologiques susceptibles
d’interpeller l’individu en Sujet » (Rosier & Ernotte, 1999 :
98). L’identité de chacun est donc faite de plusieurs dénominations qui
interviennent à divers niveaux. Or, quand différentes dénominations
interviennent à un même niveau, c’est-à-dire pour un même référent ou un
référent similaire (dans notre cas, espérantiste et espérantophone[9]),
cela peut parfois donner place à une certaine insécurité linguistique, surtout
si la distinction entre les dénominations est floue ou pas très stable. Janton
étudie les causes de l’insécurité linguistique, sous un plan
psycholinguistique : selon lui, il conçoit la langue comme quelque chose
de contraignant, un « système totalitaire », auquel il faut se
soumettre et se conformer à un modèle précis pour pouvoir s’intégrer au groupe,
d’où le sentiment de « sécurité » (Janton, 1983 : 74-75).
Dans la partie qui suit, nous
présenterons comment a été constitué le corpus, ce qui nous permettra par la
suite d’analyser l’usage des dénominations espérantiste et espérantophone
en contexte.
Notre corpus se compose, d’une part, de
divers documents écrits et, d’autre part, d’entretiens semi-directifs, que nous
avons retranscrits dans l’annexe pour les besoins de
l’enquête. Par ce biais, nous avons essayé de recouvrir un champ aussi vaste
que possible afin d’avoir à notre disposition un maximum de points de vue sur
le sujet.
Nous distinguons, dans notre corpus, les
documents endogènes des documents exogènes, c’est-à-dire les documents issus de
la communauté concernée de ceux issus de l’extérieur. Nous présenterons ces
derniers en premier lieu, pour ensuite présenter les documents endogènes,
auxquels appartiennent également les entretiens semi-directifs.
La première chose à examiner quant à la
dénomination de la population relative à l’espéranto, est de voir quelle est sa
dénomination officielle en France. L’espéranto n’étant pas, en France, une
langue reconnue officiellement par l’Éducation Nationale ni par l’État
français, il sera de ce fait assez difficile de trouver des documents à ce
sujet. Néanmoins, lorsque l’on veut contrôler la reconnaissance officielle
d’une dénomination, on pense en premier lieu au dictionnaire. Certes, il ne
s’agit là que d’une norme bien souvent prescriptive car résultant de choix (et
l’on voit bien là à quel point la dénomination est une activité de pouvoir,
comme nous l’évoquions dans la partie « Cadre théorique »), mais le
dictionnaire nous informe au moins sur l’acception officielle de telle ou telle
dénomination. Pour beaucoup, le dictionnaire est l’outil qui sanctionne et
donne une existence aux mots : ne pas être dans le dictionnaire revient
souvent à ne pas exister.
Nous examinerons donc si les termes espérantiste
et espérantophone sont présents ou non dans les dictionnaires de
français, et si oui, comment ils y sont définis. Nous analyserons ensuite
l’usage des suffixes -iste et -phone : nous verrons quelle
est leur acception dans le dictionnaire, quelles représentations ils dégagent
et, ensuite, nous mettrons en comparaison le paradigme espérantiste / espérantophone
avec d’autres noms ou paradigmes régissant les mêmes suffixes.
Un autre moyen d’examiner
l’hétéro-désignation, ce sont les médias, et entre autres la presse qui, pour
des raisons pratiques, sera plus facile à recenser et à analyser pour une
enquête comme celle-ci. En effet, les médias, tout comme le dictionnaire, ont
une influence considérable sur les usagers (si ce n’est plus importante que
celle du dictionnaire). La presse peut parfois permettre de sanctionner un
terme, mais surtout, elle est souvent assez proche de l’usage courant, même
s’il s’agit d’une langue écrite et dans un registre de langage assez choisi.
L’influence de la presse, et des médias
en général, est telle qu’elle génère souvent des stéréotypes, ou contribue à
répandre des stéréotypes déjà existants, car la presse tend généralement à
donner une certaine image des choses qu’elle relate, plus qu’à essayer d’en
refléter fidèlement la réalité.
Pour notre étude, nous avons donc choisi
d’analyser une revue de presse à un moment donné, restreint dans le temps, afin
de donner un aperçu le plus synchronique possible de l’usage des termes espérantiste
et espérantophone. Pour avoir un échantillon de presse assez limité dans
le temps et permettant une comparaison équitable entre les articles, l’idéal
est de sélectionner un évènement important lié à l’espéranto et à propos duquel
un grand nombre de journaux auraient pu rapporter. Cela donne une certaine
homogénéité à la fois temporelle et spatiale.
Du 1er au 8 août 1998, avait eu lieu en
France le 83ème Universala Kongreso de Esperanto [*Congrès Universel
d’espéranto]. Ce congrès universel est l’une des plus importantes rencontres
d’espéranto. Il a lieu chaque année dans un pays différent et réunit
généralement quelques milliers de participants. Il y eut donc un certain impact
médiatique autour de cet évènement, et l’association Espéranto-France, qui participait à l’organisation de ce
congrès, profita de cette occasion pour compiler par la suite une revue de presse avec tous les articles qui avaient fait
référence à ce congrès.
Nous examinerons donc de près cette revue
de presse pour voir comment se répartit l’usage des termes espérantiste(s)
et espérantophone(s) dans ce type d’écrits, et nous regarderons par la
même occasion si l’usage nominal et l’usage adjectival des deux termes se fait
de la même façon.
Avant
d’entamer l’étude de documents endogènes à proprement dit, nous regarderons
brièvement, dans la lignée de notre étude sur la revue de presse, quelques
documents mixtes, c’est-à-dire les transcriptions de deux interviews radiophoniques sur
l’espéranto.
Ensuite, de la même façon que nous aurons
étudié les hétéro-désignations au travers de la revue de presse, nous
étudierons les auto-désignations en examinant quelques brochures et dépliants d’information sur l’espéranto. Il faut
néanmoins préciser que le matériel d’information comporte certes une
auto-désignation, mais cette auto-désignation n’est pas nécessairement
représentative du réel usage qu’en font les intéressés, car dans des documents
d’informations, on cherche avant tout à donner une image de soi. C’est à partir
de ces documents d’information que le public extérieur se fera sa propre image,
son propre usage de dénomination (ces documents peuvent donc parfois avoir, eux
aussi, une valeur prescriptive : il est encore ici question de pouvoir).
Et c’est souvent sur certains de ces documents d’information que se basent les
journalistes pour rédiger leurs articles. Donc, il y aura peut-être un lien
entre l’usage des dénominations espérantiste / espérantophone
dans le matériel d’information et l’usage qui en est fait dans la presse, mais
pas nécessairement un lien de concordance ; il faudra alors voir quelles
pourront être les raisons de cet écart, le cas échéant.
Néanmoins, pour ce qui est du matériel
d’information, il s’agira ici d’une étude davantage diachronique que
synchronique. Nous avons en effet choisi des documents de plusieurs époques,
car nous tenterons par ce biais de déterminer si le terme espérantophone
est vraiment apparu plus récemment (du moins, dans les documents
d’information sur l’espéranto, car il sera malheureusement difficile de
déterminer s’il était déjà en usage avant dans la langue parlée, ou si c’est
justement son emploi, voire sa création, dans les documents d’information qui
en a imposé l’usage).
Un regard sur l’usage des dénominations espérantiste
et espérantophone dans quelques travaux universitaires viendra compléter
notre recherche. Il s’agira de travaux universitaires en rapport avec
l’espéranto, qu’il s’agisse de thèses de Sciences du Langage ou des actes d’une journée d’étude sur l’espéranto.
Par ailleurs, comme nous aurons déjà
étudié l’usage du paradigme espérantiste / espérantophone dans
les dictionnaires de français, il sera intéressant, à titre d’information, de
regarder quels sont les équivalents ou traductions de ce paradigme dans les
dictionnaires bilingues français-espéranto, et quelle en est la signification
dans les dictionnaires monolingues d’espéranto (c’est-à-dire les dictionnaires
de langue, espéranto-espéranto, dont le principal est le Plena Ilustrita
Vortaro [*Dictionnaire Complet Illustré], ainsi que son ancêtre
le Plena
Vortaro [*Dictionnaire Complet]). Nous aurons ici une vision
plus interne de l’usage de ces mots, avec leur signification et celle de leurs
suffixes en espéranto, ce qui a une influence certaine sur l’usage en français
qu’en font les locuteurs francophones de la langue espéranto.
Nous enrichirons notre enquête en
étudiant deux articles en français
traitant justement de l’auto-dénomination : l’un est un court encart paru
dans un bulletin régional d’espéranto, l’autre est un article paru sur
Internet. Nous pourrons nous appuyer également sur quelques autres textes en
espéranto traitant du même sujet.
Enfin, pour un aperçu un peu plus
synchronique de l’usage des termes espérantiste(s) et espérantophone(s),
nous pourrons regarder et comparer leur nombre d’occurrences avec un moteur de recherche sur Internet. Certes, cet outil n’est pas
toujours très précis ni entièrement représentatif, d’autant qu’il n’est pas
possible par ce biais de dissocier les usages endogènes de ceux exogènes.
Néanmoins, cette technologie récente nous permettra de nous faire une idée, car
elle s’avère en effet assez pratique pour fournir une vue d’ensemble des
occurrences recensées par un moteur de recherche, en ce qui concerne l’usage
écrit d’un terme précis.
En
dehors des documents écrits que nous avons rassemblés pour le corpus, nous
avons voulu centrer notre enquête sur des entretiens semi-directifs. Effectivement, les documents
écrits nous permettent d’avoir un aperçu de la reconnaissance officielle et de
l’usage écrit des dénominations espérantiste et espérantophone.
De ce point de vue, ce type de corpus est adapté pour connaître la signification
théorique de ces dénominations et pour étudier le processus de
(re)dénomination, notamment dans le cadre de notre première hypothèse sur une
éventuelle tentative de remplacement du terme espérantiste par espérantophone.
Mais
pour étudier l’usage spontané de ces dénominations par les locuteurs de la
langue, ainsi que la façon dont ils perçoivent et éventuellement s’identifient
à l’une ou l’autre de ces dénominations, une technique orale convenait
davantage (un questionnaire écrit, par exemple, aurait fortement restreint la
spontanéité, bien qu’il s’agisse de données plus faciles à recueillir). Parmi
les techniques de recueil de données orales, une solution possible et
permettant le maximum de spontanéité aurait été l’enquête à micro caché. Mais
cette technique n’a pas été retenue car, d’une part, elle pose d’importants
problèmes déontologiques, et d’autre part, pour ce qui est de notre terrain
d’enquête (les francophones locuteurs et/ou défenseurs de la langue espéranto),
il nous aurait fallu trouver comme lieu de recueil de données une rencontre ou
un évènement lié à l’espéranto et qui se passe en langue française (il en
existe, certes, mais il est rare que tout s’y passe exclusivement en français,
car l’alternance de langues y est fréquente). Nous avons donc opté pour
l’entretien semi-directif qui, bien que moins spontané que l’enquête à micro
caché, permet tout de même d’étudier des données orales recueillies dans un
cadre plus ou moins convivial et familier (à l’exception de « l’effet magnétophone »).
En outre, l’analyse de ces entretiens nous permettra d’infirmer ou de confirmer
des constatations que nous aurons pu faire lors de l’analyse du corpus écrit.
Ensuite
se pose le choix de l’enquêteur et son statut par rapport au terrain analysé.
Nous avons choisi de mener nous-même l’enquête pour recueillir les données. Or,
de par notre profession (emploi-jeune pour une association départementale
d’espéranto) et notre intérêt personnel pour l’espéranto d’une manière
générale, nous sommes très fortement lié au sujet et à la communauté
linguistique étudiée[10]. Nous sommes alors confronté à la problématique de
l’enquêteur « patoisant », pour reprendre les termes de la
dialectologie (Gillieron
& Edmont, 1920). En effet, certains dialectologues considèrent
que l’enquêteur « patoisant » ne remarque pas toujours ce qu’il
devrait remarquer, tandis que l’enquêteur « spécialiste » a tendance
à en voir trop. Le fait d’appartenir à la communauté enquêtée nous impose donc
certaines contraintes en tant qu’enquêteur. Cela présente des avantages
indéniables, mais aussi des inconvénients :
·
Notre
appartenance à la communauté nous donnait avant tout une meilleure connaissance
préalable du terrain. Nous connaissions déjà, au moins un petit peu, la
majorité des sujets interrogés. De ce fait, ces derniers, se trouvant face à un
enquêteur « patoisant » et déjà connu d’eux, pouvaient s’ouvrir plus
facilement, avoir une communication plus spontanée avec une relation de
confiance, voire de complicité. Cela donnait donc, dans la plupart des cas, un
discours vraiment endogène. Un entretien avec un enquêteur complètement
extérieur à la communauté aurait probablement donné lieu à une communication
moins naturelle, comme lors d’une interview avec un journaliste ou lors d’un
stand sur un salon, où il s’agit de présenter l’espéranto pour en faire la
promotion.
·
Par
contre, le principal problème que pose l’appartenance à la communauté est le
manque de distance par rapport au terrain étudié, à la fois pour les entretiens
mais surtout pour l’analyse. Un enquêteur « non-patoisant » aura
généralement un regard plus extérieur, permettant une plus grande objectivité,
puisqu’il est moins lié au sujet concerné (encore que, quel que soit le cas,
l’enquêteur n’est jamais neutre). Il faut donc pour l’enquêteur
« patoisant », comme c’est notre cas, faire un travail sur le plan
personnel, afin de prendre un certain détachement temporaire par rapport à sa
propre communauté (quoique ce détachement puisse parfois être éventuellement
perceptible lors des entretiens, enlevant alors un peu de la spontanéité du
discours) ; c’est ce que l’on nomme le « réglage de la
distance ». D’autre part, le fait d’être entre « patoisants »
pour les entretiens crée une relative connivence, mais qui mène parfois à
aborder des thèmes peu compréhensibles pour un regard extérieur, d’où des
alternances de langues de temps à autre, notamment pour désigner des réalités
spécifiques à la communauté. Toutefois, bien qu’il s’agisse de discours
endogènes entre « patoisants », les entretiens sont tout de même
destinés à un public extérieur (en l’occurence, pour ce travail universitaire,
le microphone tenait lieu et place de public extérieur) : cela modifie le
discours de l’informateur et aussi, très probablement, celui de l’enquêteur. De
toute façon, les productions linguistiques de l’informateur sont modifiées rien
que par notre présence en tant qu’enquêteur, ce que Labov appelle « le
paradoxe de l’observateur ».
À la
base, notre projet était de réaliser une suite de huit entretiens, qui se
divisaient avant tout en deux catégories d’informateurs : quatre personnes
ayant l’espéranto pour langue maternelle[11] et quatre locuteurs non-natifs. Au cours de notre
travail, nous avons dû restreindre notre ambition initiale et nous contenter de
six entretiens (dont seulement cinq ont été retenus pour l’analyse, le sixième
ne s’étant pas révélé suffisamment pertinent pour notre présente recherche).
Parmi ces six entretiens, nous avons pu interroger les quatre personnes que
nous croyions locuteurs natifs et deux des locuteurs non-natifs. Pour les deux
autres entretiens que nous n’avons pu réaliser, nous aurions souhaité, d’une
part, interroger une personne qui travaille dans la communication et s’occupe
notamment du service communication / information pour l’association Espéranto-France[12] :
cet entretien aurait peut-être pu nous donner davantage d’informations sur le
possible aspect prescriptif de la (re)dénomination espérantophone,
surtout à l’attention d’un public extérieur. D’autre part, nous aurions aussi
voulu interroger une personne relativement « nouvelle » par rapport à
l’espéranto (nous n’avions pas de personne précise en tête) afin de voir
comment se fait l’identification spontanée pour quelqu’un qui ne connaît encore
que très peu la communauté en question.
À propos des locuteurs natifs, il nous
faut préciser que nous avons découvert au cours de l’enquête (que ce soit
pendant l’entretien lui-même ou lors de la discussion préalable avec
l’informateur) que pour la plupart de ces informateurs, l’espéranto n’était pas
vraiment leur langue maternelle. Cette erreur est due au fait que nous avions
volontairement choisi pour informateurs des personnes que nous ne connaissions
pas beaucoup (pour éviter une trop grande complicité) et nous nous étions basé
auparavant sur ce que nous croyions savoir sur ces personnes-là. Dans tous les
cas, cet effet de surprise est un facteur à prendre en compte car il nous a
parfois un peu décontenancé en tant qu’enquêteur.
Enfin, pour que l’entretien ne soit pas
trop faussé ou orienté (bien qu’il s’agisse d’entretiens
« semi-directifs »), nous n’avons pas annoncé directement le sujet à
nos informateurs, car cela les aurait influencés à employer telle ou telle
dénomination. Nous leur avons donc annoncé au préalable (notamment lorsqu’ils
étaient demandeurs de cette information, ce qui est tout à fait normal et
justifié) qu’il s’agissait d’un entretien pour un travail universitaire en
rapport avec l’espéranto, sur la façon dont l’espéranto est perçu de
l’extérieur et de l’intérieur. Même si ce petit mensonge était nécessaire pour
les besoins de l’enquête, il ne s’agissait pourtant que d’un demi-mensonge car
le sujet annoncé n’était pas si loin de notre véritable sujet d’étude :
nous abordons en effet cet aspect de l’espéranto (sa perception de l’extérieur
et de l’intérieur), mais sous un angle linguistique, et plus précisément au travers
des enjeux de la dénomination.
Nous présenterons brièvement ci-dessous
les différents informateurs (dans l’ordre chronologique dans lequel les
entretiens ont été menés), ainsi que le cadre dans lequel se sont déroulés les
entretiens. Pour ce qui est du choix des informateurs d’une manière générale,
nous avons essayé de composer un panel de points de vue assez diversifié, et
cela dans le but de former un échantillon le plus représentatif possible.
Nous connaissions déjà un petit peu
Flavie auparavant, car nous faisons partie de la même association Espéranto-Jeunes (désignée en espéranto par l’acronyme
JEFO : Juna Esperantista Franca Organizo), mais nous n’avions, jusqu’ici,
quasiment jamais eu l’occasion de nous parler. Flavie faisait partie des
personnes que nous croyions locutrice de naissance, mais en fait Flavie a pu
nuancer ce point-là au cours de l’entretien.
L’entretien a été réalisé au cours d’une
rencontre d’espéranto qui a lieu chaque année au Nouvel An en Allemagne. Nous
nous étions mis dans une salle un peu à part pour être tranquilles et surtout
pour ne pas avoir trop de bruits parasites. C’était le premier entretien ;
il a duré une quinzaine de minutes, approximativement comme tous les autres
entretiens par la suite, à l’exception du dernier. Suite à l’entretien, nous
avons un peu parlé des difficultés de la transcription (c’est un thème que nous
avons souvent abordé après chaque entretien), mais nous nous sommes surtout mis
à discuter de théâtre et d’espéranto, centres d’intérêt que nous partageons
avec l’informatrice.
Adélaïde (qui se fait souvent surnommer « Adenjo »,
à cause du suffixe affectif féminin -nj- en Espéranto) est une personne
que nous connaissions assez bien avant l’entretien. C’est pourquoi nous savions
déjà qu’elle avait appris l’espéranto pendant son enfance, mais que ce n’était
pas sa langue maternelle.
L’entretien avec Adélaïde s’est fait
juste après celui de Flavie, et au même endroit. Néanmoins, peut-être à cause
du fait que nous nous connaissions déjà et que nous avions davantage l’habitude
de nous parler sur un même plan d’égalité et non dans un cadre interviewer
/ interviewé, on a pu sentir lors de cet entretien une certaine tension
ou un léger malaise de la part de nous deux. Cette tension s’est manifestée
notamment sous la forme de lapsus (« A8 : donc ma langue
maternelle.. c’est l’espéranto.... euh pardon (fort rire de la part des
deux) ...non ma langue maternelle c’est l’français.. »), de
demandes de reformulation des questions (« S57 : et euh:.. en tant
que:.. en tant que locutrice de:.. de l’espéranto comment.. comment tu t’..
quali:fi:erais.. ? (léger rire) - A58 : comment ça ?
..comment j’me qualifierais euh.. ? ...quelle est ma personnalité:...
ou::.. ? ») ou des questions anticipées de la part de l’informatrice
(« S5 : et euh.. qu..qu.. alors ben pour rentrer euh: // - A6 :
quelle est::.. ? - S7 : quelle est ta langue de.. ta langue maternelle ? »).
De
toute la fratrie de cette famille, composée de trois garçons et une fille, Michaël
était celui que nous connaissions le moins (nous l’avions juste aperçu de loin,
lors d’une rencontre d’espéranto). À notre connaissance, il s’agissait d’une
famille de locuteurs natifs ; nous avions même entendu dire (à tort)
qu’ils s’étaient transmis l’espéranto comme langue maternelle sur plusieurs
générations, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas. Nous souhaitions
interroger l’un des trois frères, et c’est le hasard des disponibilités qui a
fait porter notre choix sur Michaël. Si cet avis nous intéressait, c’est que
nous savions que cette famille est très impliquée dans le « mouvement
non-neutre » (représenté par l’Association Mondiale Anationale SAT, dont nous avons déjà parlé dans la présentation
historique et sociologique de l’espéranto en 2.3.1.). Or, comme ce mouvement présente souvent des idées un
peu différentes (et souvent orientées à gauche, sur un plan politique) par rapport
au mouvement dit « neutre », il nous semblait donc intéressant de
recueillir cet autre point de vue.
Nous
sommes allé réaliser cet entretien chez lui, en banlieue parisienne. Il
convient de relater une certaine surprise que nous avons eue sur place.
Jusqu’ici nous ne connaissions cette fratrie que sous les noms suivants (par
âge en ordre décroissant) : Vinko, Lino, Vito et Flora[13],
que nous pensions être leurs véritables prénoms car, en effet, il n’est pas
exceptionnel que des parents locuteurs de l’espéranto donnent des prénoms en
espéranto à leurs enfants. Nous étions donc venu pour rencontrer Vito ; or
lorsque nous avons sonné à l’interphone, une voix nous annonça que Michaël
allait venir nous ouvrir la porte. Pendant quelques minutes, nous avons pensé
qu’il s’agissait d’un autre frère supplémentaire dont nous ne connaissions pas
l’existence, mais nous nous sommes vite aperçu qu’il s’agissait bien de la même
personne, car Vito est seulement son « deuxième prénom espérantiste »
(M6), comme il l’explique au début de l’entretien (il en est de même pour ses
frères et soeur). Enfin, ajoutons que pendant tout le temps qui précéda
l’entretien, nous n’avons communiqué ensemble qu’en espéranto, pour ensuite
passer assez abruptement en français pour l’entretien ; cela explique
peut-être les quelques alternances de langues en S55, en M138 et à la fin en
S155.
Gabrielle
fait partie de l’association pour laquelle nous travaillons. Elle habite donc
en Côtes-d’Armor et la plupart des personnes l’appellent « Gaby »[14].
Pour notre enquête, nous avons essayé d’interroger des personnes de toutes
générations (une enfant, trois jeunes entre 17 et 27 ans, un adulte et une
personne âgée), mais l’avis d’une personne d’une génération assez éloignée et
ayant appris l’espéranto depuis longtemps nous semblait particulièrement
important pour pouvoir étudier l’évolution diachronique des dénominations espérantiste
et espérantophone.
Le
choix de Gabrielle est dû au fait que nous la connaissions déjà un peu et que
nous la savions très active pour l’espéranto depuis bon nombre d’années.
Néanmoins, deux détails nous ont fait hésiter pour ce choix :
-
d’une
part, nous avions déjà interviewé Gabrielle à une autre occasion, environ un ou
deux ans auparavant (cet enregistrement-là avait duré près de deux heures) ; nous savions donc déjà beaucoup
de choses sur ses récits de vie et étions hésitant à la faire répéter ;
-
d’autre
part, quelques mois avant l’entretien, nous avions découvert le petit article
que Gabrielle avait fait paraître dans le bulletin de la Fédération
Espéranto-Bretagne en rapport direct avec le thème de notre enquête
« Espérantiste ou Espérantophone ? » (cf. annexe IV.1.) ; ce qui nous
a fait hésiter suite à cet article, c’est que Gabrielle était alors trop
consciente de la problématique et que sa réponse à ce sujet ne serait donc pas
tout à fait spontanée, étant donné qu’elle avait déjà réfléchi à la
question ; néanmoins, cet aspect présentait aussi quelques avantages,
c’est pourquoi nous nous sommes quand même décidé pour Gabrielle.
L’entretien a eu lieu sur la
presqu’île de Quiberon. Nous nous y trouvions à l’occasion de l’Assemblée
Générale de la Fédération Espéranto-Bretagne (donc pour des raisons
professionnelles), qui avait lieu pendant le congrès annuel de l’Association
Française des Cheminots pour l’Espéranto auquel participait Gabrielle. Nous
avons profité d’un moment de pause au coin librairie du congrès pour
l’interroger.
Gretel
est une fille de dix ans qui habite près de
Rennes. Nous la connaissions déjà un peu, mais nous connaissions surtout ses
parents. Elle et son frère parlent en allemand avec leur père qui est allemand,
en français dans la vie de tous les jours et aussi avec leur mère qui est
française, et en espéranto lorsque les deux parents sont présents ou lorsqu’ils
reçoivent des invités qui parlent espéranto. Néanmoins, nous n’avons pas retenu
cet entretien pour notre analyse, et ce pour plusieurs raisons :
-
nous
avions déjà un nombre assez important d’entretiens et il nous a fallu faire un
choix, or cet entretien est celui qui nous avait semblé le moins pertinent pour
notre enquête ;
-
nous
souhaitions interroger un enfant pour voir comment se fait l’identification à
cet âge-là, mais nous avons vraisemblablement été un peu trop ambitieux de ce
point de vue ;
-
il
n’y a eu aucune occurrence des termes espérantiste ou espérantophone
au cours de l’entretien, et nous n’avons pas osé les introduire car déjà les
autres questions (bien que nous essayions de les adapter à la personne) nous
ont semblé fort difficiles à répondre pour une enfant de dix ans ;
-
enfin,
même si le micro n’avait pas l’air d’effrayer Gretel (nous étions allés
l’interroger chez ses parents), l’aspect un peu journalistique d’un tel
entretien a fait que les réponses de Gretel sonnaient parfois presque comme des
réponses toutes préparées (notamment pour ce qui est de sa présentation), comme
s’il s’agissait de questions qu’on lui avait déjà posées plusieurs fois ;
d’un autre côté, d’autres questions plus complexes la laissaient souvent sans
réponse car il s’agissait de réflexions ou de concepts encore étrangers à
l’enfance (comme par exemple l’auto-représentation de la langue et de ses
utilisateurs).
Avant
l’entretien, nous n’avions rencontré Thierry qu’une seule fois, quatre ans
auparavant, et ne le connaissions pour ainsi dire pas du tout, si ce n’est
vaguement de vue. Nous connaissions surtout sa compagne de l’époque, Catherine,
lorsque nous habitions encore dans la même région, en Haute-Normandie, et
étions actif pour l’association régionale d’espéranto. Un jour, lors d’une
conversation téléphonique, Catherine nous avait brièvement fait allusion à la
situation particulière de son couple par rapport à l’espéranto : elle-même
continuait à pratiquer activement la langue, tandis que son compagnon, d’après
ce que nous avions alors compris, avait appris l’espéranto depuis sa naissance,
mais avait par la suite coupé tout contact avec l’espéranto et refusait presque
d’en entendre parler (nous avions alors supposé qu’il s’agissait d’une réaction
d’opposition, lors de l’adolescence, par rapport aux parents qui étaient très
actifs pour l’espéranto). C’est donc notamment pour cette raison que l’avis de
Thierry nous intéressait particulièrement, même si nous avons pu découvrir au
cours de l’entretien que toutes les informations recueillies au préalable
n’étaient pas forcément exactes.
Nous
sommes allé réaliser l’entretien chez Thierry, à Duclair. Contrairement aux
autres entretiens dont la durée variait entre une dizaine et une quinzaine de
minutes, ce dernier entretien fut de loin le plus long, puisqu’il dura un peu
plus de quarante minutes. En fait, Thierry fut
sûrement l’informateur qui s’est le plus libéré devant le micro (notre
expérience des cinq entretiens précédents nous a également sans doute aidé à
trouver la technique pour libérer la parole et pousser aux récits de vie), bien
que certains indices nous montrent que Thierry n’avait pas complètement oublié
« l’effet magnétophone », comme par exemple sa réticence ou son
hésitation à citer des noms de marques (« T236 : y’a même une:.. une
fille.. qu’est:.. elle est belge... alors sur Caramail [karamel]... pas grave..
hein... sur un.. un site de:.. de tchat.. et de dialogue en direct.. » ;
« T238 : [...] dans un salon euh:.. euh:.. on va dire euh... un salon
dédié à la musique.. euh Radiohead [radioɛd]... » ;
« T260 : pour un peu.. les livres.. vont être aussi.. euh::.... U...
Univers.. Univers.. mxxnxx... et euh:...
t.. t’écriras la fin (rire des deux)... »). À ce sujet, il est
intéressant de signaler que Thierry semblait intrigué, voire peut-être anxieux,
du fait que nous lui avions annoncé préalablement que nous allions retranscrire
par la suite l’intégralité de l’entretien jusque dans ses moindres
détails : juste avant l’enregistrement, il souhaitait savoir si nous
allions même retranscrire lorsqu’il allumerait une cigarette ou poserait son
verre sur la table (ce que nous n’avons néanmoins pas fait, car il s’agissait
de détails sans grande importance pour notre enquête). Lorsque le Mini-Disc
arriva à la fin après une trentaine de
minutes, alors que nous avions précisé au début qu’il s’agirait d’un entretien
d’une quinzaine de minutes, Thierry nous demanda s’il n’avait pas été trop long
et s’il ne parlait pas trop. Nous l’avons aussitôt rassuré, car l’entretien
était riche en renseignements intéressants pour notre recherche et
l’informateur avait une certaine aisance pour les récits de vie (si bien que
nous avions à peine vu le temps passer). Nous avons donc inséré un nouveau
Mini-Disc dans l’appareil enregistreur et avons terminé l’entretien avec les
questions restantes.
Après
avoir défini la problématique de notre recherche, nous avons aussitôt mis en
place notre grille de questions pour pouvoir commencer au plus tôt les
entretiens. Pour ce faire, nous avions quelques objectifs
préalables : comme notre sujet traitait de dénominations et
d’identification à celles-ci, il ne fallait pas que nos entretiens
semi-directifs soient trop orientés ni qu’ils influent nos informateurs à
utiliser telle ou telle dénomination. Il fallait donc établir des questions qui
poussent le plus possible au récit de vie, à se définir soi-même de sa propre
initiative et, le cas échéant, si le sujet n’était pas abordé spontanément par
l’informateur au cours de l’entretien, il nous fallait également quelques
questions facultatives pour expliciter davantage le sujet de l’enquête. Enfin,
nous avons fait le choix du tutoiement parce que nous connaissions déjà la
plupart des informateurs et cela permettait de les mettre davantage en
confiance ; le vouvoiement aurait rendu la conversation moins naturelle.
Voici
donc la grille de questions que nous avions établie (nous notons en italique
les principaux thèmes des différentes sous-parties de chaque entretien) :
Présentation générale et biographie linguistique :
-
Peux-tu
te présenter ?
-
Quel
âge as-tu ?
-
Quelle
est ta langue maternelle ?
-
Parles-tu
une ou plusieurs autre(s) langue(s) ?
-
Peux-tu
me raconter comment l’as ou les as-tu apprise(s) ?
Rencontre avec l’espéranto :
-
Comment
as-tu entendu parler de l’espéranto pour la première fois ?
-
Quand
as-tu appris l’espéranto ?
-
Peux-tu
parler des motivations qui t’ont amené(e) à apprendre cette langue ?
-
As-tu
aujourd’hui la ou les même(s) motivation(s) ?
Usage de l’espéranto et rapports à la langue :
-
Est-ce
qu’il t’arrive d’utiliser l’espéranto dans ton travail et/ou dans tes
activités ? Si oui, comment ?
-
Quelle
est la place de l’espéranto pour toi dans la vie de tous les jours ? En
parles-tu souvent autour de toi ? Comment d’après toi l’espéranto est
perçu de l’extérieur d’une manière générale ?
-
Et
pour toi, que représente la langue, son utilisation et ses utilisateurs ?
-
As-tu
souvent l’occasion de pratiquer la langue ?
-
Fais-tu
partie d’associations d’espéranto ? Si oui, que fais-tu au sein ou avec
cette ou ces association(s) ?
Identité linguistique par rapport à l’espéranto
(questions facultatives, dans le cas où elles n’auraient pas reçu une réponse
spontanée auparavant) :
-
En
tant que locuteur de l’espéranto, comment te qualifierais-tu ?
-
Que
signifie pour toi le mot espérantiste ?
-
Te
qualifies-tu comme espérantiste ou espérantophone ? y a-t-il
une différence entre les deux ?
Suite
à la réalisation des entretiens, nous pouvons émettre quelques auto-critiques
sur ce questionnaire et sur la façon dont se sont déroulés ces entretiens. En
premier lieu, nous avons pu nous rendre compte à quel point il était peu aisé
d’observer des auto-dénominations sans être trop directif : pour la moitié
des entretiens, nous avons eu recours aux questions facultatives lorsque les
dénominations n’étaient pas apparues lors de l’entretien ou lorsque nous
jugions que cette question n’avait pas été assez évoquée.
Dans
la première sous-partie, toutes les questions qui traitaient de la biographie
langagière (les différentes langues apprises, etc.) permettaient de mettre
l’informateur en confiance et de le pousser au récit de vie, mais elles
n’apportaient pas en elles-mêmes beaucoup d’éléments de réponse intéressants
pour notre sujet.
Nous
pouvons également faire remarquer que certaines questions étaient
vraisemblablement assez difficiles ou formulées de façon trop complexes,
principalement les questions « Pour toi, que représente la langue, son
utilisation et ses utilisateurs ? » et « En tant que locuteur de
l’espéranto, comment te qualifierais-tu ? ». Pour l’entretien avec
Gretel, nous avons essayé d’adapter ces questions difficiles ou nous les avons
évitées ; mais même pour les autres informateurs, plusieurs d’entre eux
nous ont demandé une reformulation de ces questions par manque de précision
(A58, M118, G108, T242, T328). D’autres questions, comme celle sur les
motivations de l’apprentissage par exemple, étaient davantage adaptées et
permettaient également de nous informer sur la façon dont l’informateur
percevait l’espéranto et comment il s’y identifiait.
Enfin,
une de nos principales erreurs a été parfois de vouloir trop anticiper sur
certaines réponses, ce qui s’explique par le fait que nous avions déjà quelques
vagues renseignements préalables sur les informateurs ; nous nous sommes
alors souvent trompé, ce qui a pu nous déstabiliser un peu sur le coup. On peut
remarquer que notre attention était tellement concentrée sur le fait de ne pas
vouloir influencer nos informateurs pour l’usage des dénominations que cela a
provoqué un lapsus de notre part lors de l’entretien avec Gabrielle
(« S39-S41 : toi.. tu étais déjà ..donc ..espérantiste à
l’épo... ? euh:.. et euh.. // institutrice...? »). Par ailleurs,
notre appartenance à la communauté a pu de temps à autre nous pousser à réagir aux
propos des informateurs par des questions supplémentaires, notamment par
intérêt personnel au sujet évoqué, au lieu de recueillir simplement les récits
de vie en essayant de s’effacer au maximum.
Comme
nous venons de le présenter, notre corpus appelle à de nombreuses analyses.
Mais il convient, avant cela, d’indiquer quelle a été la méthodologie d’analyse
choisie pour notre recherche.
Pour
l’analyse de notre corpus, nous nous appuierons essentiellement sur la théorie
de la praxématique, que nous avons déjà évoquée dans notre cadre théorique. Il
s’agit d’une théorie post-structuraliste, apparue au cours des années 1970, qui
est axée sur la parole et l’apparition du sens dans le discours.
La
praxématique se base sur le postulat de la polysémie généralisée des
mots : selon cette théorie, chaque mot est porteur de multiples programmes
de sens qui varient selon différents paramètres (sociaux, temporels, culturels,
etc.). L’unité d’analyse de la praxématique, le praxème, sera soumis au réglage
de sens, c’est-à-dire à l’apparition d’un des programmes de sens du mot dans le
discours.
La
théorie de la praxématique nous intéresse particulièrement car notre étude
porte sur l’usage de dénominations dans des discours différents :
endogènes et exogènes. La praxématique étudie justement l’apparition des
différents programmes de sens dans les discours. Elle étudie également les
changements de ces programmes de sens à travers le temps, ce qui correspond à
notre première hypothèse sur l’évolution de l’usage des termes espérantiste
/ espérantophone. Nous verrons donc quels sont les programmes de sens
dont sont chargées ces deux dénominations, et comment ils se manifestent dans
les discours de chacun.
Cette
théorie praxématique nous amène à aborder quelques concepts que nous avons déjà
évoqués dans le cadre théorique de notre recherche. En effet, l’étude des
réglages de sens dans le discours nous permet de voir comment se fait la
catégorisation du réel au travers des mots et surtout des sens qu’on leur
confère. Suite aux réglages de sens, les différentes catégories sont soumises à
des processus de valorisation ou de dévalorisation qui donnent naissance à des
stéréotypes.
Les
discours sont généralement des situations de contact avec un autre, même si cet
autre n’est pas toujours présent physiquement. Les stéréotypes naissent donc au
contact des autres. On se construit par rapport à l’autre et aussi souvent en
réaction à l’autre ; il en est de même pour les stéréotypes. En plus
d’être souvent basés sur l’altérité, les stéréotypes sont régis la plupart du
temps par des enjeux de dominance. Les processus de valorisation et de
dévalorisation sont dus au fait qu’il y a généralement un groupe dominant
et un groupe dominé. Chaque groupe aura tendance à créer un stéréotype
positif de son propre groupe et un stéréotype négatif de l’autre groupe
(concept de l’altérité, laquelle est dévalorisée). Mais du fait de son
statut de dominant, les stéréotypes développés par le groupe dominant
pénètreront parfois le groupe dominé, qui soit les intériorisera, en
s’auto-dévalorisant et en valorisant le groupe dominant (concept de dominance),
soit se construira des contre-sociotypes par opposition à ceux développés par
le groupe dominant.
Dans
notre étude, la communauté linguistique étudiée, qui est celle relative à la
langue auxiliaire internationale espéranto, est une communauté en situation de
minorité ; elle a donc un statut de dominé selon le schéma évoqué
ci-dessus. Dans notre analyse, nous pourrons voir quels sont les différents
stéréotypes développés au sujet de cette communauté, que ce soit dans les
discours exogènes ou endogènes, c’est-à-dire aussi bien ceux développés par le
groupe dominant que ceux développés par le groupe dominé ici étudié.
L’espéranto
est une langue relativement jeune avec ses 117 ans d’existence. Néanmoins, le
nom de la langue est déjà rentré dans l’usage, ainsi que le nom de ses
locuteurs, même si cette dernière dénomination n’est pas toujours stable. Sur
un plan lexicographique, les dictionnaires de langue, selon qu’ils se veulent
prescriptifs ou plutôt descriptifs, indiqueront les mots qu’il convient
d’utiliser ou alors essaieront de recenser les mots effectivement en usage.
Étudions donc la présence ou la non-présence des dénominations espérantiste
et espérantophone dans les dictionnaires de langue française.
Si
l’on regarde dans le Petit Robert (Rey & Rey-Debove, 1991), on
ne trouvera que la définition de espérantiste, qui est formulée
ainsi :
ESPÉRANTISTE [ɛspeʀãtist(ə)]. adj. et n.
(1907 ; de espéranto). Relatif à l’espéranto. Congrès, réunion espérantiste.
– N. Partisan de l’espéranto.
(1991 : 690)
On remarque donc, en premier lieu, l’absence de la
dénomination espérantophone : soit elle n’est pas assez entrée dans
l’usage pour être connue des auteurs du dictionnaire, soit elle n’est pas
reconnue par ceux-ci. La conséquence de cette absence est qu’elle confère de ce
fait un aspect de dénomination officielle à espérantiste.
Concernant
l’étymologie de la dénomination espérantiste, il faut souligner le fait
que c’est le nom de la langue qui a servi à désigner les membres du groupe. Il
s’agit du phénomène inverse de ce qui se passe généralement : la plupart
des noms de langue sont issus de l’ethnonyme, et non le contraire. Cette
différence s’explique bien entendu par des raisons historiques : pour le
cas de l’espéranto, c’est la langue qui est apparue en premier, et non ses
utilisateurs ; il n’y avait pas de « nationalité » ni
d’« identité espérantiste » avant l’apparition de la langue. Esperanto
a d’abord été le pseudonyme de l’auteur de la langue en 1987, pour ensuite
servir 2 ans plus tard à désigner la langue elle-même ; ce nom a par la
suite donné naissance aux dénominations espérantiste et espérantophone
pour les personnes en relation avec la langue. Mais cette différence par
rapport aux autres ethnonymes permet d’insister sur le rapport privilégié que
les personnes désignées ont avec la langue espéranto, tandis que les autres
ethnonymes mettent davantage en avant des enjeux de « nationalité »
(et non principalement de langue), le plus souvent liés à un territoire.
Penchons-nous alors sur la
définition que donne le Petit Robert de la dénomination espérantiste.
Le dictionnaire lui reconnaît son usage à la fois adjectival et nominal. En
tant qu’adjectif, il lui donne un sens neutre d’adjectif attitré pour désigner
tout ce qui est relatif à l’espéranto ; il s’agit donc du pendant
adjectival du nom espéranto[15].
Mais en tant que nom, le mot prend un sens plus fort car le dictionnaire le
définit comme « Partisan de l’espéranto ». On peut alors regarder la
définition que donne le Petit Robert du mot
« partisan » :
PARTISAN, ANE [paʀtizã,
an]. n.et adj. (1483, nom fém. ; it. partigiano, de parte
« part, parti »). t 1° N. (Rare au fém.).
Personne qui est attachée, dévouée à qqn, à un parti. V. Adepte, allié, ami,
disciple, fidèle; et péj. Sectateur, suppôt. Gagner des
partisans. V. Adhérent, recrue. t 2° Par ext. (1640).
Personne qui prend parti pour une doctrine. V. Adepte, défenseur. Partisans
et détracteurs du féminisme. – Adj. « La réforme orthographique
dont il est fort partisan » (LÉAUTAUD). Ils sont partisans
d’accepter. – Rare au fém. « Les loges grillées, dont la vogue
reprenait et dont elle était partisane déclarée » (HÉRIAT). Fam. Elle
est partisante de... [...]
(1991 : 1367)
On voit que le mot « partisan » est chargé
de programmes de sens très connotés et appartenant au champ lexical de la
croyance, de l’engagement à un parti ou à une doctrine. Tandis que le Petit
Robert définit le mot « espéranto » comme simplement une
« langue internationale conventionnelle » (ibid. : 690), il semble lui
donner dans la définition de espérantiste un sens nouveau ou supplémentaire,
comme s’il ne s’agissait plus seulement d’une langue, mais presque d’une
doctrine. Par ailleurs, le dictionnaire ne parle pas de « locuteur »
ni d’« usager » de l’espéranto ; par ce biais, il ne retient de
l’espéranto que l’aspect d’une idée à défendre, et non celui d’une langue
parlée et utilisée. Si l’on regarde Le Petit Larousse Illustré
(Péchoin, 1996), on remarque que espérantiste y est
défini sans cet aspect partisan : « Relatif à l’espéranto ; qui
pratique l’espéranto » (1996 : 405) ; il s’agit ici d’une activité qu’on
pratique et pas nécessairement d’un engagement militant.
Sur la non-présence de
définitions, on peut signaler que certains dictionnaires, comme par exemple Le
dictionnaire de notre temps 1990 (Moingeon & Berthelot, 1989),
ne contiennent aucune des deux dénominations espérantiste / espérantophone,
alors que l’on pourra y trouver des dénominations similaires relatives à d’autres
langues (germaniste, germanophone, etc.).
Un autre aspect intéressant à
étudier concerne la construction des mots espérantiste et espérantophone :
on remarque qu’ils sont composés, d’une part, de la racine espérant(o)
et, d’autre part, de suffixes : -iste dans un cas et -phone
dans l’autre. Étant donné que les dictionnaires ne donnent pas la définition
des deux dénominations, regardons au moins dans le Petit Robert le sens
qui est conféré aux suffixes qui les composent, pour obtenir de façon analytique
la signification du mot. En premier lieu, voici la définition qui est donnée
pour le suffixe -iste :
-ISME, -ISTE. Suffixes de substantifs (profession
ou opinion [journalisme, socialisme] ; appartenance à un groupe ou
à un système [intégrisme, structuralisme]). -ISTE, suff. de subs. et
d’adj. correspondant aux noms en -isme (socialiste, journaliste,
intégriste, structuraliste). – N.B. Nombreux dérivés de noms propres.
(1991 : 1035)
On voit que cette définition rejoint celle d’espérantiste
citée précédemment, car l’appartenance à un système ou à une opinion rejoint
l’idée du « partisan ». Donc, de façon analytique, le terme espérantiste
correspond bien à sa définition de « partisan de l’espéranto ».
Néanmoins, on pourra noter que le suffixe -iste est défini comme un
suffixe « correspondant aux noms en -isme » ; cela voudrait dire
que espérantiste correspondrait à espérantisme. Or, on emploie et
on considère généralement espérantiste comme correspondant à espéranto.
Le terme espérantisme est très rarement employé et n’est pas toujours
perçu comme correspondant à espérantiste[16],
bien qu’il existe une célèbre « Déclaration sur l’espérantisme »
adoptée au premier Congrès Universel d’espéranto à Boulogne-sur-Mer en 1905,
dont nous avons déjà parlé et qui commence ainsi :
Beaucoup de gens se font une idée
fausse de l'esprit de l'espérantisme, c'est pourquoi nous, souscripteurs,
représentants de l'espérantisme dans divers pays du monde, réunis au Congrès
mondial d'espéranto de Boulogne-sur-Mer avons trouvé nécessaire, selon la
proposition de l'auteur de la langue espéranto, de donner l'explication
suivante :
1. L'espérantisme est l'effort fait
pour répandre dans le monde entier l'usage d'une langue neutre, qui "ne
s'imposant pas dans la vie intérieure des peuples et n'ayant aucunement pour
but de remplacer les langues existantes", donnerait aux hommes de diverses
nations la possibilité de se comprendre entre eux, qui pourrait servir pour les
institutions publiques dans les pays où se trouvent des rivalités de langues,
et dans laquelle pourraient être publiés les ouvrages qui ont un égal intérêt
pour tous les peuples. Toute autre idée que tel ou tel Espérantiste pourrait
lier à l'espérantisme est une affaire purement privée dont l'Espérantisme n'a
pas à répondre. [...]
(traduction issue du site www.lingvo.info)
On peut enfin contrebalancer la définition du Petit
Robert par celle du Dictionnaire de notre temps 1990, où le suffixe -iste
« désigne une personne professant une doctrine (ex. : extrémiste),
pratiquant une activité, une profession (ex. : violoniste) » (1989 :
795). Ici, espérantiste peut alors correspondre soit à la définition du
« partisan » soit, d’une façon plus neutre, au simple pratiquant
d’une activité, en l’occurrence une langue dans le cas présent (et pour
reprendre l’exemple du Dictionnaire de notre temps 1990 par opposition à
la définition du Petit Robert, on signalera que le terme
« violoniste » ne correspond pas à un *violonisme mais au violon).
Après
avoir vu le suffixe -iste de espérantiste, lequel était déjà
défini dans le Petit Robert, voyons à présent le suffixe -phone
pour l’autre dénomination espérantophone qui, elle, reste entièrement à
définir.
PHON-, PHONO-, -PHONE, -PHONIE. Éléments, du gr. phônê
« voix, son » ou des composés grecs en -phônos, et -aphônia
(ex. : aphone, cacophonie, radiophonie, saxophone).
(1991 : 1424)
Cette définition est, comparativement à celle de -iste,
bien plus neutre et descriptive. Ainsi, on pourra en déduire que espérantophone
sera celui qui parle espéranto, de la même façon que Le dictionnaire de
notre temps 1990 définit lusophone comme « celui qui parle
portugais » (1989 : 908), anglophone celui « dont
l’anglais est la langue ; qui parle anglais » (ibid. : 58) ou encore francophone
comme celui « dont le français est la langue maternelle ou
officielle » (ibid. : 617)[17].
Néanmoins,
pour combler l’absence de la dénomination espérantophone dans les
dictionnaires, si l’on regarde dans L’ANTIDICO (http://membres.lycos.fr/antidico/,
mise à jour de mars 2004), qui se définit comme un dictionnaire en ligne
s’employant à recenser les mots rencontrés dans la presse mais inconnus des
dictionnaires usuels, on y trouve en effet le mot espérantophone défini
ainsi :
ESPÉRANTOPHONE n. Personne qui
parle l'espéranto
Cette définition correspond donc à celle que nous
donnions plus haut de manière analytique. Par ailleurs, pour rester dans le
domaine d’Internet, lorsque l’on regarde dans l’encyclopédie libre Wikipedia
(http://fr.wikipedia.org/), si l’on cherche
« espérantophone », l’entrée nous redirige vers celle de
« espéranto ». Par contre, sous l’entrée « espérantiste »,
on trouve une définition assez précise des deux dénominations :
« Un espérantiste est une personne qui
participe à la diffusion de l'espéranto. Un espérantophone est espérantiste car
il est considéré que quelqu'un qui parle la langue internationale Espéranto
participe de fait à sa diffusion. Un espérantiste n'est pas forcément
espérantophone car on peut participer à la diffusion de l'espéranto autrement
qu'en le parlant. Le terme espérantiste
désigne aussi ce qui a trait à l'espéranto
sans le comprendre strictement comme "partisan
de l'espéranto". On pourrait dire aussi "culture espéranto", en
utilisant le mot comme adjectif. Le terme "espérantophone"
ne désigne que les locuteurs de l'espéranto considérés individuellement, et ne
prend pas en compte la dimension de communauté culturelle que représente
"le mouvement espérantiste" dans lequel on utilise même l'expression "esperantopopolo" (= peuple
espérantiste). »
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Espérantiste
; mise à jour du 29 juillet 2004)
D’une part, cette entrée nous donne une piste
intéressante pour notre problématique car elle distingue espérantiste et
espérantophone comme deux concepts différents mais pouvant se recouper.
D’autre part, la définition donnée de espérantiste se distingue un peu
de celle donnée par le Petit Robert : elle cherche justement à en
élargir le sens. La mise entre guillemets de « "partisan
de l'espéranto" »
sert probablement à citer la définition restreinte du Petit Robert même si
cette source n’est pas indiquée. Toutefois, pour essayer d’expliquer cette
partielle divergence par rapport au dictionnaire usuel, rappelons que Wikipedia
est une encyclopédie libre, c’est-à-dire que les articles sont rédigés par les
internautes et peuvent être modifiés à tout moment par toute personne qui le
veut. Or, les usagers de l’espéranto sont assez actifs par rapport à cette
encyclopédie en ligne, d’autant qu’il existe également une version en espéranto
(http://eo.wikipedia.org/) : il s’agit donc ici
vraisemblablement d’une définition endogène (la vérification des derniers
utilisateurs à avoir modifié l’article, dans l’historique de la page, semble le
confirmer).
À présent, essayons de rapprocher
le paradigme espérantiste / espérantophone d’autres dénominations
régies par les mêmes suffixes. Dans un courrier électronique privé envoyé le 16
août 2004 et rédigé en espéranto, François Lo Jacomo nous faisait part d’une
réflexion qu’il avait eue sur les suffixes des dénominations liées aux
utilisateurs d’une langue, suite à une discussion que nous avions eu
précédemment avec lui sur le sujet de notre recherche. Ainsi, en prenant
l’exemple du français, il distinguait « francparolanto » [traduction
mot-à-mot : *celui qui parle le français], « franclingvano »
[*celui qui fait partie de la langue française], « franco » [*un
Français] et « francisto » [*un spécialiste du français]. Ensuite, en
prenant le cas de Bruxelles, il nous faisait remarquer que tous les bruxellois
sont en principe « francparolantoj », mais que seule la moitié
d’entre eux sont « franclingvanoj », l’autre moitié étant
« nederlandlingvanoj » [*ceux qui font partie de la langue
néerlandaise]. On voit déjà sur cet exemple la problématique que nous avons en
français pour traduire ces deux termes de façon distincte, car le terme francophone
peut avoir globalement les deux significations, comme le sous-entendait plus
haut Le dictionnaire de notre temps 1990 par sa définition double d’anglophone :
« dont l’anglais est la langue ; qui parle anglais » (1989 :
58). Ensuite, toujours à propos de Bruxelles, Lo Jacomo nous signalait que
pourtant à Bruxelles, personne n’est « franco », ni
« nederlandano » [*un Néerlandais], car il s’agit ici de
nationalités. Enfin, il considère « francisto » (que l’on ne peut pas
vraiment traduire en français par franciste, car ce terme existe, mais
pour désigner les membres d’un mouvement d’extrême-droite des années 1930) comme
un terme susceptible de désigner un spécialiste qui étudierait la langue
française, de la même façon que l’on parle de germaniste ou d’angliciste
pour un spécialiste de la langue allemande ou anglaise. Suite à cet exemple, Lo
Jacomo précisait qu’il n’existe pas de dénominations équivalentes pour la
langue espéranto : il y a des « Esperanto-parolantoj », mais pas
de « Esperantlingvanoj » (terme quasiment jamais utilisé), et le
suffixe -ist- que l’on utilise dans « Esperantistoj » perd ici
son sens de spécialiste de la langue. L’emploi de « Esperantistoj »
se rapproche plutôt, selon Lo Jacomo, de ce que l’on devrait nommer
« Esperantlingvanoj ». Cette réflexion confirme donc la distinction
qu’il convient de faire en français entre espérantiste et espérantophone.
Les concepts différents sont nombreux, et même si les mots pour les désigner
n’existent pas toujours ou ne correspondent pas forcément à leur signification
analytique, l’usage de dénominations différentes peut néanmoins avoir une
valeur distinctive.
Toutefois, l’apparition de
dénominations concurrentes peut parfois créer des ambiguïtés, tandis qu’il n’y
en avait pas auparavant avec une dénomination unique, qui était assez floue
mais permettait de recouvrir indistinctement des concepts différents. La multiplicité
de dénominations, ou l’apparition d’une nouvelle dénomination, pousse donc à
redéfinir précisément le référent exact de chacune de ces dénominations. C’est
ce que montrent Laurence Rosier et Philippe Ernotte dans leur article « La
guerre civile des mots », sur le cas de Bruxelles également, lorsqu’ils
écrivent : « Ce n’est qu’avec l’apparition de francophone que
le désignatif français devient ambigu, le couple formant un bipôle où francophone
tend à viser la langue et français la nationalité » (Rosier &
Ernotte, 1999 : 115). On en revient ici à la signification
assez neutralisante du suffixe -phone qui revient à limiter la
dénomination à la langue, comme dans cet autre exemple extrait du même
article : « Les germanophones purent troquer Communauté allemande
contre Communauté germanophone, désormais loin de toute interprétation
germaniste » (ibid. : 114). Le suffixe -phone tend donc à avoir
une valeur neutre, voire plutôt positive[18]
lorsqu’il est en concurrence avec d’autres dénominations à suffixes
différents.
Toutes les langues ayant une
certaine importance sur le plan international ou étant parlées dans plusieurs
pays possèdent des dénominations en -phone (francophone, anglophone,
sinophone, lusophone, arabophone, etc.). D’autres langues
d’une ampleur plus réduite possèdent parfois, certes, des dénominations
similaires (polonophone pour le polonais, magyarophone ou hungarophone
pour le hongrois, etc.), mais dont l’utilisation est assez rare ;
néanmoins, l’existence de ces dénominations montre bien que le suffixe -phone
est un suffixe très productif.
Un autre cas intéressant à
regarder est celui des langues régionales, car elles font souvent l’objet de
fortes revendications identitaires et l’enjeu des dénominations y est donc très
important. Prenons le cas de trois de ces langues, parlées sur le territoire
français et pour lesquelles le paradigme de dénominations en -iste / -phone
existe, même s’il ne s’agit pas nécessairement des dénominations les plus
usitées : le breton, l’occitan et le catalan. Pour cela, nous nous
appuyons, entre autres, sur le lexique identitaire de la « Base de données
des appellations de la francophonie » (http://www.maisondelafrancite.be/francite/?page=lexique/base&rubrique=lexique),
élaborée par la Maison de la Francité à Bruxelles. Nous contrôlons le nombre
d’occurrences de ces dénominations sur Internet avec l’aide du moteur de
recherche Google. En ce qui concerne le
paradigme -iste / -phone pour le breton, il existe le terme bretonniste
d’une part, et bretonophone ou brittophone d’autre part. Mais bretonniste
et bretonophone sont quasiment des hapax, car ils semblent très rarement
employés ; brittophone, par contre, a un usage un peu plus
important. Néanmoins, aucune de ces trois dénominations n’est présente dans le
dictionnaire Petit Robert (Rey-Debove et al., 1976), et la
dénomination de loin la plus utilisée pour la langue bretonne, et la seule
reconnue par le dictionnaire, est celle de bretonnant. Celle-ci est distincte
de breton, car dans l’exemple du dictionnaire, on parle de « Bretons
bretonnants » que l’on définit ainsi : « qui gardent les
traditions et la langue bretonne » (Petit Robert, 1976 : 194). Cette dénomination
dépasse donc à la fois la simple valeur de langue et de nationalité (si l’on
peut parler de « nation » dans le cas présent). En outre, le mot bretonnant
est signalé comme adjectif, mais on le voit parfois employé également comme
substantif. Pour l’occitan, on a les dénominations occitaniste et occitanophone,
qui sont en concurrence avec occitan ; cette dernière est là encore
la seule dénomination présente dans le dictionnaire. Le Petit Robert la
définit comme un adjectif « relatif aux parlers français de langue d’oc »
(1976 :
1176), ce qui est plus juste sur un plan linguistique, tandis que Le
dictionnaire de notre temps 1990 lui donne un sens soit adjectival comme
« relatif à l’Occitanie, à la langue d’oc », soit nominal pour désigner
la « langue d’oc » (1989 : 1066), qui est une définition plus complète sur
le plan morphologique. Mais la différence de fréquences d’emploi des
dénominations pour l’occitan n’est pas aussi disproportionnée que celle pour le
breton : occitan est employé dans un sens de nationalité en quelque
sorte, occitaniste aura une valeur soit militante, soit de spécialiste
linguistique, et occitanophone aura une valeur de langue pour désigner
le locuteur. Toutefois, si l’on regarde le nombre d’occurrences dans le moteur
de recherche sur Internet, force est de constater que occitanophone est
moins usité que occitaniste. Et comme pour le paradigme espérantiste
/ espérantophone, la dénomination en -phone donne l’impression
d’une dénomination plus récente, car créée justement à l’aide de ce suffixe
très productif. Pour les dénominations du catalan, la situation est plus ou
moins similaire à celle de l’occitan, à ceci près que catalaniste et catalanophone
ont un usage essentiellement adjectival.
Pour finir, mettons juste en
regard les dénominations relatives à l’espéranto avec celles relatives aux
autres LAI, bien que les usagers ou les défenseurs de ces dernières soient
généralement fort peu nombreux. On remarquera que d’une manière générale, dans
le domaine des LAI, c’est le suffixe -iste qui l’emporte : on
parlera de volapükiste pour le volapük, d’idiste pour l’ido, d’interlinguiste
pour l’interlingua (ceci dit, ce dernier terme est une dénomination ambiguë,
car interlinguiste peut également désigner le spécialiste s’occupant
d’interlinguistique). On pourra éventuellement rencontrer de temps à autre une
dénomination en -phone, comme par exemple idophone, que nous
avons pu trouver dans quelques messages d’une liste de diffusion à propos de
l’ido (mais cette dénomination reste très fortement minoritaire par rapport à idiste).
Ainsi, si les dénominations utilisées pour la plupart des LAI sont des
dénominations en -iste, serait-ce parce que l’on considère les LAI
davantage comme des idées à défendre que comme des langues à parler et à
utiliser ? Cette hypothèse pourrait expliquer en partie l’usage
majoritaire de la dénomination espérantiste par rapport à la
dénomination espérantophone. Et l’on peut supposer que l’apparition de
cette deuxième dénomination est peut-être justement une tentative de
l’espéranto de se démarquer des autres LAI, étant donné qu’à présent
l’espéranto a dépassé le stade d’une simple idée à défendre et qu’il est
aujourd’hui également une langue parlée par des locuteurs répartis sur les cinq
continents.
Nous
avons donc vu que, dans les dictionnaires de langue française, la dénomination espérantiste
est la seule reconnue, ce qui lui donne un aspect de dénomination officielle,
notamment pour l’usage adjectival. Mais elle est souvent définie avec une idée
de « partisan de l’espéranto ». La dénomination en -phone,
quant à elle, désigne de façon plus neutre le locuteur d’une manière générale.
Elle donne l’impression d’être une dénomination assez récente, notamment à
cause du fait qu’elle est absente de la plupart des dictionnaires. Examinons à
présent l’usage effectif de ces deux dénominations dans une revue de presse.
La
revue de presse réalisée par l’association Espéranto-France (annexe I) regroupe la totalité des articles rédigés dans la
presse française à l’occasion du « 83ème Congrès Mondial d’Espéranto »[19],
qui se déroula du 1er au 8 août 1998 à Montpellier. En amont du congrès, les
organisateurs avaient envoyé des dossiers de presse au préalable aux médias
français. Ces dossiers de presse comportaient une documentation sur la
principale association organisatrice du congrès Universala Esperanto-Asocio,
une documentation sur le congrès lui-même, la liste des membres du comité
d’honneur du congrès et la brochure intitulée Présentation de la langue
internationale espéranto que l’on retrouve dans les annexes (cf. annexe III.10.). Ces documents présents dans les dossiers de
presse ont pu fortement influencer les journalistes pour la rédaction de leurs
articles. Signalons également qu’une partie des journalistes présents dans
cette revue de presse s’étaient rendus sur place pour réaliser leur article.
Cette revue de presse permet d’avoir une image de l’utilisation des
dénominations espérantiste(s) et espérantophone(s) dans la presse
à un moment donné.
En
premier lieu, sous un angle lexicométrique, établissons un tableau quantitatif
avec les occurrences d’apparition des deux dénominations étudiées, classées selon
leur usage morphologique. Suite à cela, nous pourrons déjà établir quelques
premières observations.
n° |
titre |
espérantiste(s) |
espérantophone(s) |
||||||
nom |
adjectif |
nom |
adjectif |
||||||
singulier |
pluriel |
singulier |
pluriel |
singulier |
pluriel |
singulier |
pluriel |
||
1 |
ml |
|
|
|
|
|
|
|
|
2 |
ml |
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2 |
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1 |
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Sous-totaux |
13 |
38 |
12 |
8 |
3 |
12 |
2 |
5 |
|
51 |
20 |
15 |
7 |
||||||
71 |
22 |
||||||||
Total |
93 |
Titres
des journaux et nombre d’articles :
Midi Libre
(ml) : 33
La Gazette
de Montpellier (gm) : 3
La Lettre T
(lt) : 2
Le Figaro
(fig) : 2
La
Marseillaise (mar) : 2
Courrier de
l’Ouest (co) : 2
La Dépêche
du Midi (dm) : 2
Le Monde
(mon) : 2
Le Dauphiné
libéré (dl) : 2
La Croix
(crx) : 1
L’Humanité
(hum) : 1
L’Évènement
du Jeudi (ej) : 1
Ouest
France (of) : 1
La Vie (lv)
: 1
Sud-Ouest
(so) : 1
La
République / L’Éclair / Les Pyrénées (rep) : 1
Forum (for)
: 1
Montpellier
Notre Ville (mnv) : 1
Le Corum
(cor) : 1
Avant-Garde
(ag) : 1
Parmi les 61 articles de la revue de
presse, on trouve en tout 93 occurrences des dénominations espérantiste(s)
ou espérantophone(s). Seuls 27 articles sur les 61, soit 44,3 % de la
revue de presse, comportent au moins une fois l’une des dénominations, dont 6
articles (soit 9,8% du total) où les deux dénominations concurrentes espérantiste(s)
et espérantophone(s) sont présentes.
On
remarquera tout d’abord que la dénomination espérantiste(s) est beaucoup
plus employée que celle de espérantophone(s), avec 71 occurrences contre
seulement 22 pour espérantophone(s). Cela semble confirmer l’impression
que nous évoquions dans la présentation de la problématique, comme quoi le
terme espérantiste(s) serait plus fréquemment employé que celui de espérantophone(s).
Toutefois, la présence majoritaire de la dénomination espérantiste dans
cette revue de presse est d’autant plus étonnante que, si l’on regarde la
brochure Présentation de la langue internationale espéranto, qui était
délivrée avec le dossier de presse, le mot espérantiste y est totalement
absent et l’on n’y peut trouver que la dénomination espérantophone (nous
reviendrons sur cet aspect dans notre analyse des documents endogènes à
destination du public extérieur en 4.2.1.2.). Cela indique soit que le mot espérantiste
est celui que les journalistes ont principalement entendu dans la bouche des
gens qu’ils rencontraient lorsqu’ils venaient sur place, soit que le suffixe -iste
est celui qui vient le plus spontanément à l’esprit lorsque l’on parle de
l’espéranto.
Au
niveau morphologique, nous voyons que les deux dénominations sont utilisées
aussi bien comme substantifs que comme adjectifs, mais que dans les deux cas,
l’usage nominal semble plus fréquent que l’usage adjectival. Peut-être est-ce
dû au fait que l’on ait voulu inconsciemment montrer l’espéranto davantage
comme une identité chez les usagers de la langue que comme un simple
qualificatif. En effet, lorsque la dénomination est utilisée comme adjectif
qualificatif, elle n’indique qu’un complément à une identité formée par le nom
qualifié ; tandis que lorsque l’on utilise la dénomination comme nom pour
désigner la personne concernée, on met en avant cette dénomination comme
identité première de l’individu. Une autre hypothèse d’explication est qu’il
s’agit tout simplement d’économie linguistique, phénomène fréquent dans la
presse.
Ensuite,
on notera que, d’une manière générale, les dénominations étudiées sont le plus
souvent employées au pluriel. Le fait que les articles parlaient d’un congrès
avec plusieurs participants pourrait expliquer en partie l’important usage au
pluriel de espérantistes et de espérantophones. Mais l’on peut
aussi supposer que les journalistes aient préféré désigner les usagers de la
langue espéranto comme un bloc homogène, que l’on met au pluriel pour désigner
une catégorie sociale, plutôt que de s’attacher à l’identité distincte de
chaque usager.
Enfin, sur le plan de la graphie,
signalons que seuls trois articles (art. 3, 37, 49) ont écrit
« Espérantiste(s) » avec une majuscule au début (l’article 61 met un
majuscule dans « Fédération Espérantiste du Travail », mais il s’agit
ici d’initiales d’une association). Cela peut être un procédé pour détacher la
dénomination du reste du texte et pour la faire ressentir comme différente par
rapport à d’autres dénominations que l’on écrit avec une minuscule. Ou alors,
il s’agit tout simplement de rapprocher la dénomination des autres ethnonymes
dont l’initiale prend habituellement une majuscule. Toutefois, l’usage de cette
graphie reste fortement minoritaire dans cette revue de presse.
Regardons
à présent dans le contenu des articles quelles sont les autres dénominations
employées au sujet des personnes traitées. Les dénominations
« congressiste(s) » et « participants » sont parmi les plus
usitées. Cela s’explique facilement par le fait que ces articles traitent tous
d’un congrès et qu’il s’agit des termes les plus appropriés pour désigner les
gens qui y participent. On trouve également d’autres dénominations encore plus
neutres comme « personnes » ou « gens ». Quelques articles
parlent de « délégués » (art. 33, 47, 48) et un autre parle de
« représentants » (art. 55) : cela donne l’impression que les
personnes étaient envoyées à ce congrès presque comme une obligation. Alors que
dans la réalité, il y a, certes, quelques personnes qui viennent pour
représenter une association, voire un pays, mais la plupart des participants
vont à ce genre de congrès par libre choix et dans un but purement distractif.
L’emploi de la 3ème personne, essentiellement
du pluriel, est fréquent. Plusieurs articles emploient le pronom personnel
« ils » pour désigner, et la langue espéranto est présentée comme la
possession de ses défenseurs ou utilisateurs, car l’article 55 parle de
« leur langue ». Cet usage de la troisième personne marque une
certaine distanciation : on montre les personnes désignées comme
différentes, faisant partie du domaine de « l’Autre ». Notons que
l’article 47 de La Dépêche du Midi se sert du pronom « on »,
et deux articles emploient un pronom plus ouvert, « tous » (art. 45
et 61) ; mais dans l’article 45, ce pronom « tous » est suivi
immédiatement de « ils » : « tous ils y croient ».
Un
petit point problématique avec les dénominations espérantistes et espérantophones
est que les journalistes s’en servent tantôt pour désigner l’ensemble des
locuteurs et/ou défenseurs de la langue, tantôt pour désigner seulement les
participants au congrès de Montpellier. Ainsi, dans l’article 44, on peut
lire : « Dans les couloirs du Corum de Montpellier, les
espérantophones se regroupent par affinités », et l’article 50 annonce
dans le surtitre: « Les espérantistes se séparent en chanson ».
Au fil des articles, pour éviter de
répéter les dénominations espérantiste(s) ou espérantophone(s)
dans un but stylistique, ou bien tout simplement pour contourner la
problématique liée à l’usage de l’une ou l’autre des dénominations, on voit que
les journalistes font appel à diverses autres dénominations qu’il convient de
regarder de plus près. On retrouve tout d’abord le terme de
« partisans » dans l’article 7 de La Marseillaise, ainsi que
dans celui de L’Humanité, qui renchérit avec « les fervents
partisans de l’espéranto » (art. 33). Un autre terme proche est celui de
« défenseurs », cité deux fois dans l’article 30 du Midi Libre.
La plupart des qualificatifs et des dénominations utilisés sont du domaine de
l’excessif. Plusieurs tournent autour du thème de la passion : « ces
amoureux de l’idéal » (art. 3), « passionnée » et « les amoureux
de la langue universelle » (art. 26), « accros de l’espéranto »
et « Les fans de l’espéranto » (art. 40), « les plus
fervents » (art. 42), « les passionnés de langue universelle »
(art. 43). Il faut signaler que la plupart des dénominations susmentionnées se
trouvent dans des articles n’utilisant que la dénomination espérantiste(s)
(à l’exception des articles 40 et 42 qui utilisent également la dénomination espérantophones).
Le terme espérantiste est donc perçu dans les discours endogènes avec le
sens que lui donnait le Petit Robert dans sa définition (1991 :
690), il semblerait correspondre à quelque chose de passionnel. D’autres
dénominations sont plus métaphoriques et font référence à l’initiateur de
l’espéranto ou encore au mythe de Babel : « Les héritiers de Louis
Lazare Zamenhof » (art. 40), « les constructeurs de Babel »
(art. 59).
Certaines expressions évoquent le champ
lexical du parti politique : « beaucoup d’autres y ont adhéré »
(art. 6), « engagée » (art. 26), « militant » (art. 34),
« militants » (art. 44). D’autres enfin touchent au domaine du
religieux et de l’appartenance à une religion ou une secte :
« initiés » (art. 34), « converti » (art. 42), « les
adeptes de cette langue apatride » (art. 44), « adeptes » (art.
48), « initiés » (art. 55). Le terme de « pratiquants »
(art. 41) est plus ambigu, car il peut relever à la fois du religieux ou de
l’activité quelconque que l’on pratique régulièrement. Toujours dans le même
champ lexical, on remarque que quatre articles (art. 25, 28, 54, 57) désignent
les personnes extérieures à la communauté linguistique par le terme de
« profane(s) ». Remarquons au passage que ces quatre articles
emploient exclusivement la dénomination espérantophone(s) (et sous sa
forme adjectivale), qui semble pourtant plus neutre que celle de espérantiste(s).
Mais si l’on regarde la définition de profane dans le Petit Robert,
on voit que le dictionnaire donne, à côté de la définition religieuse, une
autre définition plus générale désignant le profane comme celui
« qui n’est pas initié à un art, une science, etc. » (1976 :
1399) ; ce terme conserve toutefois une connotation religieuse. D’une manière
générale, on peut remarquer que toutes ces dénominations qui se substituent à
celle de espérantiste(s), voire parfois de espérantophone(s),
sont des dénominations très connotées, et plutôt négativement. Cela tend à
créer un stéréotype négatif, où les espérantistes seraient vus comme des
personnes défendant l’espéranto de manière passionnelle, à un tel point que
l’espéranto serait presque assimilé à une sorte de religion ou de parti
politique, c’est-à-dire à une doctrine plus qu’à une langue.
L’article
48 dans Le dauphiné libéré n’emploie ni le terme espérantiste(s)
ni le terme espérantophone(s), mais utilise l’expression de
« Congrès mondial de l’espérantisme ». Alors que l’on a déjà vu
précédemment que le terme espérantisme est une notion un peu désuète,
c’est pourtant le terme qui vient spontanément à l’esprit du journaliste (au
lieu de congrès mondial de l’espéranto ou congrès mondial d’espéranto),
à cause de l’existence du terme espérantiste que l’on associe à un -isme,
mais qui du coup prend à nouveau une valeur de doctrine. Ajoutons deux
remarques supplémentaires à propos des suffixes : l’article 40 de L’Évènement
du jeudi parle de « langue espérantiste », au lieu de langue
espéranto ; là encore, on voit que l’identité espérantiste
semble primer par rapport à la langue elle-même et à son nom. Dans l’article 27
de La Gazette de Montpellier, le journaliste déclare, en introduction à
une des questions de son interview : « Reste que 3 millions
d’espérantistes, c’est un peu léger face à 500 millions d’anglophones ».
Il oppose ainsi « espérantistes » à « anglophones »,
c’est-à-dire deux suffixes à valeurs différentes, comme s’il n’existait pas
d’autre terme possible qu’« espérantistes » pour désigner les
locuteurs de l’espéranto, ou comme s’il s’agissait de celui qui semble le plus
naturel.
Une autre dénomination qui a tendance à
créer un stéréotype, en généralisant un type d’individu à toute une catégorie,
est celle de « citoyens du monde », relevée dans l’article 33 de L’Humanité
et l’article 44 du Monde (on retrouve également « citoyenne du
monde » dans l’article 36, mais il s’agit là du propos d’une des
participantes du congrès, qui se définit également comme « membre de
l’humanité »), car le terme de Citoyens du Monde est une
dénomination qui existe déjà pour une autre catégorie d’individus. Il existe,
certes, parmi la population liée à l’espéranto un certain nombre de Citoyens du
Monde, dont la personne interviewée dans l’article 36 fait vraisemblablement
partie ; mais les journalistes de L’Humanité et du Monde,
dans leurs articles respectifs, font un amalgame entre ces deux catégories de
populations.
Enfin, la dénomination qui semble la plus
positive est celle d’« avant-garde », que l’on trouve citée ainsi
dans l’article 40 de L’Évènement du jeudi : « Ils représentent
l’avant-garde des 2 à 3,5 millions d’habitants de cette planète qui parient sur
la langue universelle pour mener vers une mondialisation heureuse ». Mais
lorsque l’on regarde le contexte de cette dénomination, on peut supposer qu’il
y a quelques sous-entendus ironiques dans cette désignation des participants du
congrès. D’ailleurs, ce n’est pas le seul article à faire usage de telles
dénominations un peu ironiques : « le public des congrès » (art.
44), « un congrès des bavards » (art. 45).
Notons
que la tendance religieuse ou politique des journaux de cette revue de presse
influe parfois sur le contenu de certains des articles. Ainsi, la dénomination
« cette chrétienne convaincue », à propos de la personne interrogée
dans l’article 26, peut sembler hors de propos, mais il s’agit d’un article du
journal chrétien La Croix. Par cette dénomination, le journaliste
cherche à attirer l’attention et la sympathie des lecteurs du journal, de même
que par la mention de « Jean-Paul II, lequel a souvent la bonne idée de
glisser de l’espéranto dans ses allocutions du Nouvel An, de Pâques et lors de
ses voyages ». Lorsque Le Figaro, dans l’article 42, parle
d’« un public rajeuni, et débarrassé de toute velléité
soixante-huitarde », cette allusion négative aux idéaux de mai 1968 est
due au fait que Le Figaro est un journal plutôt orienté à droite sur le
plan politique. De la même façon, l’article du journal L’Humanité,
proche du Parti Communiste Français, citera en premier lieu, parmi les membres
du comité d’honneur, la ministre communiste Marie-Georges Buffet. Et le journal
du Mouvement des Jeunes Communistes, Avant-Garde, mentionnera la
présence d’un stand sur l’espéranto à « la fête de l’Huma » (art.
61).
Comme
nous l’avons vu dans le chapitre précédent (cf. 4.1.1.),
le terme espérantophone sert théoriquement à désigner celui qui parle la
langue espéranto, alors que le terme espérantiste désigne le
« partisan de l’espéranto », même si la définition de cette deuxième
dénomination semble davantage sujette à controverses. Regardons brièvement dans
la revue de presse comment la langue espéranto est considérée dans les
articles, car la façon dont la langue est perçue peut nous donner des
explications sur l’emploi de l’une ou l’autre des dénominations.
D’un côté, l’espéranto est qualifié par
son usage : il est « utilisé » (art. 24, 26),
« parlé » (art. 25, 28, 42), « adopté » (art. 40),
« pratiqué » (art.24), bien que cette dernière qualification puisse
parfois avoir un sens un peu ambigu comme nous l’avons déjà vu précédemment. La
langue est donc « pratiquée » (art. 27, 42), il y a des gens qui la
« parlent » (art. 7), et plusieurs articles signalent que l’espéranto
est enseigné et que l’on peut l’apprendre. L’espéranto est donc considéré ici
comme une langue, même si l’article 6 (citant les propos de Guy Béart) parle de
« langage » et l’article 56 de « langage universel », qui
sont des termes connotés péjorativement.
Mais à côté de cela, on peut lire que
« Les espérantistes plaident leur cause » (art. 26). On fait allusion
à une religion « qui prône l’espéranto » (art. 27). Une personne
interviewée parle d’« une culture espéranto » et d’« une diaspora »
(art. 34), tandis qu’une autre précise que « L’espéranto n’est pas
une simple langue, c’est aussi une "idéologie" » (art. 36). Dans
un autre article, on trouve l’expression suivante : « se battre pour
la promotion d’une langue mal reconnue » (art. 37). On parle de
« rêve universaliste » et de personnes « qui parient sur la
langue universelle » (art. 40). On retombe dans le vocabulaire religieux
lorsque l’on parle de « foi déconcertante dans cette langue » (art.
3) ou que l’on lit qu’« ils [les utilisateurs de l’espéranto] y
croient ». Enfin, une autre personne interviewée déclare que les
espérantistes « partagent un idéal » (art. 58). Ainsi, même si
l’espéranto est effectivement reconnu comme une langue parlée, ce que rend la
dénomination espérantophone(s), les expressions qu’emploient les
journalistes, mais aussi les interviewés eux-mêmes, semblent nous dire que
l’espéranto est également un peu plus qu’une simple langue. La forte présence
de telles expressions, à la fois dans les discours exogènes et dans les
discours endogènes repris par les journalistes, peut expliquer que la
dénomination espérantiste(s) soit majoritaire, car elle laisse supposer
que l’espéranto n’est pas seulement une langue avec des locuteurs, mais avant
tout une langue avec des « défenseurs » ou des
« partisans ». Une preuve de cette supposition est que des termes
tels que locuteur(s) ou usager(s), par exemple, sont totalement
absents de cette revue de presse.
Il
est intéressant de se pencher finalement sur les six articles où apparaissent
les deux dénominations espérantiste(s) et espérantophone(s). Ces
articles nous amènent à nous poser plusieurs questions : les deux
dénominations y sont-elles utilisées avec des sens différents ou sont-elles
mises sur un même plan ? y a-t-il conflit entre ces deux dénominations, et
si oui, comment est-il géré ? quelles sont les raisons possibles de la
présence de ces deux dénominations ?
L’article 34 du Midi Libre, qui
est un reportage sur l’un des participants au congrès, semble à la fois
explicite et en même temps hésitant sur l’usage des deux dénominations. Il
distingue les deux dénominations, car il définit leurs significations
respectives (en se basant vraisemblablement sur le discours endogène de
l’interviewé) : « Ce prof [...] se définit lui-même davantage comme
un espérantophone que comme un espérantiste. C’est à dire plus utilisateur de
la langue que militant ». Cette auto-définition sera reprise dans le titre
de l’article « Professeur de français et... espérantophone », les
points de suspension permettant de faire ressortir cette qualité ; et on
la retrouve plus loin dans l’article, où l’interviewé est désigné par
« cet espérantophone ». Néanmoins, la légende sous la photo de
l’interviewé indique « François Degoul, espérantiste », à l’opposé de
ce que précise l’interviewé lui-même dans l’article. Une autre hésitation
similaire sur la dénomination se retrouve en début de l’article, lorsque le
journaliste écrit : « Il [François Degoul] fera partie, cette
semaine, des quelques 3000 espérantistes du monde entier » ; ici,
l’interviewé est à nouveau assimilé comme espérantiste, ce qui prouve
bien que la double dénomination est problématique. Le terme d’espérantistes
sera repris plus loin dans l’article, mais cette fois-ci dans les mots de l’interviewé
et pour désigner une catégorie bien délimitée de personnes liées à l’espéranto,
comme le montre le pronom démonstratif antéposé à la dénomination :
« ces espérantistes qui ont une fâcheuse tendance à la propagande
excessive ». Signalons enfin à propos de cet article que la
dénomination espérantophone n’est employée que comme substantif, et que
lorsque le journaliste a besoin d’un adjectif, il a recours alors à espérantiste(s),
qui semble être perçu comme l’adjectif attitré (sauf lorsqu’il écrit que
« il existe une culture espéranto », où espéranto devient
alors lui-même adjectif).
L’article 36 du Midi Libre est une
interview avec une Japonaise présente au congrès : tout l’article se sert de la
dénomination espérantiste(s), y compris dans les encarts, à l’exception
du chapeau de l’interview où l’on peut lire : « elle reçoit beaucoup
chez elle, au Japon, des espérantophones de tous horizons ». Cet usage
unique d’espérantophones est assez étonnant et s’explique difficilement.
La personne interviewée étant de langue étrangère, il est possible que
l’interview ne se soit pas déroulée directement en français ; auquel cas,
il devait y avoir un(e) interprète pour traduire de l’espéranto vers le
français. Si tel était le cas, étant donné que la dénomination esperantisto
est la plus fréquemment employée en espéranto, on peut supposer que
l’interprète a traduit spontanément ce terme par espérantiste et que le
journaliste l’a ensuite repris. Néanmoins, cela n’explique pas l’usage unique
de la dénomination espérantophones : peut-être le chapeau de
l’article a-t-il été rédigé par une autre personne que l’interviewer lui-même,
ou bien étant donné que l’un des deux encarts parle de
« francophone », cela a pu influencer le journaliste lors de la
rédaction du chapeau...
L’article 40 de L’Évènement du Jeudi
parle presque partout d’« espérantiste(s) ». La dénomination espérantophones
n’apparaît que deux fois, et cela dans la même phrase, vers la fin de
l’article : « un espérantiste ne se séparera jamais ni de son Jar
Libro, qui recense les associations espérantistes de 80 pays, ni de son Pasporta
servo, qui lui donne la liste des espérantophones acceptant de recevoir
chez eux d’autres espérantophones ». La présence des deux dénominations
concurrentes espérantiste(s) et espérantophones dans la même
phrase pourrait sembler être révélateur d’une hésitation de la part du
journaliste, mais en fait la présence de la dénomination espérantophones
s’explique aisément. Dans le dossier de presse envoyé aux journalistes, la
brochure Présentation de la langue internationale espéranto parle des
deux mêmes annuaires de la façon suivante : « le "Jarlibro"
recense toutes les coordonnées des associations et clubs d’espéranto de 80 pays
du monde classées sous 400 rubriques, et le "Pasporta Servo" comprend
les adresses d’espérantophones de plus de 70 pays acceptant de recevoir chez
eux d’autres espérantophones pendant quelque temps » (annexe III.10.). Le journaliste de L’Évènement du Jeudi
a tout simplement repris le contenu et les termes de la brochure qu’il avait à
sa disposition, en changeant toutefois quelques expressions comme
« associations et clubs d’espéranto » par « associations
espérantistes ». Ainsi, même si la brochure Présentation de la langue
internationale espéranto se sert exclusivement de la dénomination espérantophones
et ne mentionne nulle part celle d’espérantiste(s), c’est néanmoins
cette dernière qui semble être la plus spontanée pour un grand nombre des
journalistes de cette revue de presse. Et la présence de la dénomination espérantophones
dans l’article 40 est donc juste due au recopiage de celle-ci à partir d’une
brochure endogène.
L’article
42 du Figaro cite une fois « espérantophones » et trois fois
« espérantistes ». Si l’on regarde le contexte de l’article, le terme
« espérantistes » (présent, entre autres, dans le titre) semble être
employé pour désigner la totalité des usagers de la langue ou, tout au moins,
ses défenseurs d’une manière générale. Tandis que la dénomination espérantophones
semble être utilisée pour désigner les participants du congrès :
« une foule de trois mille espérantophones venus du monde entier »,
bien que ceux-ci soient désignés plus loin par l’appellation « les
espérantistes "encartés" », l’adjectif encartés
restreignant à ceux qui sont inscrits au congrès.
L’article
44 du Monde se sert de la dénomination espérantophones comme
substantif et de celle d’espérantistes comme adjectif. Comme pour l’article
34, cela peut s’expliquer par le fait que la dénomination espérantiste(s)
semble davantage adaptée comme adjectif dans les discours exogènes, bien que le
journaliste du Monde n’emploie que le terme espérantophones comme
substantif, comme si l’une des dénominations avait un usage adjectival et
l’autre nominal. Ajoutons que, en dépit du fait que le journaliste se serve de
la dénomination la plus neutre (c’est-à-dire celle d’espérantophones)
comme substantif dans cet article, on remarque également l’emploi d’autres
dénominations de substitution qui sont par contre très connotées, comme
« les adeptes de cette langue apatride », « ces 3000
militants » ou « le public des congrès [...] chaque année un peu plus
vieillissant ».
Le
dernier article qui fait usage des deux dénominations est l’article 61 du
journal Avant-Garde. L’article se sert de la dénomination espérantiste(s)
comme substantif, et aussi comme adjectif pour donner la signification des
acronymes des associations d’espéranto. Il n’emploie le terme espérantophones
comme substantif que lorsqu’il cite les propos de l’interviewé. Un autre point,
cependant, est plus marquant dans cet article : il s’agit d’un des rares
articles à se servir de la dénomination espérantophone comme adjectif
(avec les quatre articles 25, 28, 54 et 57 dont nous avons déjà parlé à propos
de la dénomination profane(s)). Curieusement, l’encart est intitulé
« ASSOCIATIONS ESPERANTOPHONES », alors que son auteur se sert
justement de l’adjectif espérantiste(s) dans cet encart. Y a-t-il eu
influence des propos de l’interviewé, ou bien donne-t-on ici un sens distinct
par rapport à espérantistes, dans l’expression « associations
espérantophones » prise en tant que terme générique pour regrouper toutes
les associations où l’espéranto est parlé ?
Ainsi,
nous avons vu dans ces discours exogènes que les dénominations espérantiste
et espérantophone semblent être comprises et perçues de façons
différentes. Mais leur usage respectif reste encore problématique, même si
certaines tendances semblent se dégager. La dénomination espérantiste
est celle qui est la plus ancrée dans les discours exogènes, mais elle est
souvent connotée péjorativement et crée un stéréotype plutôt négatif de la
population désignée. Voyons à présent comment cette problématique est perçue
dans les discours endogènes : quelles sont les réactions que cela suscite
et de quelle manière les individus concernés s’identifient à ces
dénominations ?
Afin
d’étudier comment les dénominations espérantistes et espérantophones
sont gérées dans les discours endogènes tournés vers le public extérieur,
examinons dans un premier temps deux documents mixtes contenant des discours à
la fois endogènes et exogènes, le tout à l’intention d’un public exogène. Il
s’agit de transcriptions d’interviews radiophoniques avec des personnes venues
parler de la langue espéranto. Nous n’étudierons dans ces documents que l’usage
qui y est fait des dénominations se référant à notre problématique, bien que
ces documents soient riches en informations et qu’ils pourraient faire l’objet
d’une étude plus approfondie.
Le
premier document est la transcription intégrale d’une interview de deux
responsables d’association d’espéranto avec un journaliste de la station Radio
France Internationale ; elle s’est déroulée le mardi 3 août 2004, dans
l’émission « RFI-Soir » (annexe II.1.). Dans cette
interview, Jérôme Mathieu, le « secrétaire de la Fédération Française
d’Espéranto » (le véritable nom de l’association est Union Française pour
l’Espéranto, ou Espéranto-France) n’emploie que
la dénomination espérantophones. L’autre interviewée, Ludivine Delnatte,
du « mouvement Espéranto-Jeunes » (il s’agissait en fait de la
présidente de l’association Espéranto-Jeunes),
cherche à éviter l’emploi de l’une ou l’autre des dénominations. Ainsi, lorsque
le journaliste lui demande : « On voyage en réunissant comme ça, en
allant retrouver les espérant...istes ? », elle répond en parlant de
« gens du pays qui parlaient espéranto ». Plus loin, elle parlera de
« personnes qui parlent l’espéranto » et de « gens sur place qui
parleront espéranto », mais elle n’emploiera à aucun moment l’une des deux
dénominations étudiées. Pour ce qui est du journaliste, on voit bien que le
choix de la dénomination lui est plus problématique : la première fois, il
hésitera sur la terminaison à employer en laissant un temps avant le suffixe,
pour finalement reprendre la dénomination utilisée précédemment par Jérôme
Mathieu : « espéranto...phones ». Mais plus loin, il hésitera à
nouveau au même endroit en changeant cette fois le suffixe final en
« espérant...istes », alors que cette dernière dénomination n’est
apparue à aucun autre moment dans le début de l’interview. Cela s’explique,
comme nous l’avons vu dans l’analyse de la revue de presse, par le fait que la
dénomination espérantistes se maintient comme la plus courante et la
plus spontanée, du moins dans le discours exogène. En tout cas, cette interview
est bien le reflet d’une insécurité linguistique, aussi bien dans le discours
endogène, où l’on cherche à éviter la dénomination directe, que dans le
discours exogène, où l’on hésite sur la dénomination à employer. Cette
insécurité linguistique est telle pour le journaliste qu’il parlera finalement
d’« espérantologues », terme totalement inapproprié pour désigner les
utilisateurs d’une langue (car le suffixe -logues désigne habituellement
les spécialistes d’une science), mais indice flagrant de l’hésitation sur le
suffixe adéquat. À côté de cela, on remarque la persistance d’un des deux
intervenants endogènes à ne faire usage que de la dénomination espérantophones.
L’autre
document est la transcription d’un court extrait (environ 2 minutes et 40
secondes) de l’émission « Chemins de Terre » du samedi 21 juin 2003,
diffusée sur la station Radio Suisse Romande (annexe
II.2.). Il s’agissait d’un reportage d’une heure sur Claude Gacon, responsable
du Centre de Documentation et d’Étude sur la Langue Internationale (CDELI) de
la Chaux-de-Fonds. Dans ce reportage, Claude Gacon, de la même façon que Jérôme
Mathieu dans l’interview précédente, prenait soin de n’employer que de la
dénomination espérantophone(s). Dans l’extrait retranscrit, Claude Gacon
va jusqu’à parler d’identité « espérantophone ». Cela nous sert de
précieux élément de renseignement pour notre problématique de
l’identification : on voit ici que l’interlocuteur s’identifie à la
dénomination espérantophone ; mais cela se fait dans des propos
destinés à un public exogène, ce qui peut fortement influencer le discours. Si
nous avons sélectionné cet extrait, c’est parce que, plus loin, le journaliste
introduit justement la dénomination espérantiste qu’il considère plus
appropriée pour parler d’« identité espérantiste ». et que s’engage
alors une brève discussion entre les deux interlocuteurs sur cette question de
la dénomination. Tout d’abord, au lieu de reprendre les mots exacts de Claude
Gacon, le journaliste introduit le terme espérantiste en laissant
toutefois une hésitation entre les deux dénominations : « cette...
identité espérantiste, ou espérantophone ». L’introduction de ce nouveau
terme espérantiste, apparemment non-cité précédemment dans le reportage,
se fait pour les mêmes raisons que celles que nous avons invoquées à propos de
l’interview précédente. La réaction de l’interlocuteur est vive et
immédiate : Claude Gacon insiste sur la dénomination espérantophone,
pour chercher à montrer qu’il s’agit de la dénomination exacte en quelque
sorte. On voit là qu’il y a une tentative de la part de l’intervenant endogène
pour faire entrer ce terme dans l’usage. Apparemment, il ne s’agit pas
seulement d’une identification à la dénomination, mais aussi, par la même
occasion, d’un stéréotype positif que l’on cherche à faire passer. Le
journaliste répond par une explication analytique et étymologique de la
dénomination : « espérantophone, c’est lié à la langue ». Nous
n’avons pu retranscrire tous les détails de ce passage, car les paroles se
superposaient et, de surcroît, notre enregistrement était d’une qualité fort
médiocre ; on peut néanmoins signaler que la réaction de Claude Gacon est
assez épidermique. Finalement, après que le journaliste ait démontré de façon
logique la différence entre les deux dénominations, Claude Gacon cherche à
minimiser cette différence en répondant : « si vous voulez, vous
pouvez dire espérantiste, si vous voulez... ». De cette manière, il met en
quelque sorte les deux dénominations sur le même plan, comme si l’on
pouvait utiliser indifféremment l’une ou l’autre sans changement de
signification. La stratégie de redénomination est donc ici clairement visible.
Si
l’on regarde de près quelques brochures d’information sur l’espéranto de
diverses périodes, il est flagrant qu’il y a eu une évolution de l’usage des
dénominations dans ce type de documents. Néanmoins, le passage de la
dénomination espérantiste à celle d’espérantophone semble
difficile à situer précisément. On peut distinguer schématiquement trois
périodes.
Le plus ancien document
d’information sur l’espéranto de notre corpus, le Premier Manuel de la
Langue Auxiliaire Esperanto (annexe III.1.), date de 1939. Ce
document se sert exclusivement de la dénomination espérantiste ;
celle-ci semble être la seule dénomination en usage à cette époque. Le document
met systématiquement une majuscule à « Espérantistes » lorsque cette
dénomination est utilisée comme substantif, comme pour lui donner une plus
grande importance. Lorsque la dénomination aura valeur d’adjectif, l’usage de
la graphie sera plus fluctuant : tantôt elle prendra une majuscule (« Sociétés
Espérantistes françaises ou étrangères », « Congrès Espérantistes
internationaux »), tantôt une minuscule (« des auteurs
espérantistes », « une intéressante revue espérantiste ») ;
la majuscule au mot précédent semble influencer. Par ailleurs, ce document
emploie des expressions qui sonnent aujourd’hui comme désuètes ou ayant une
forte connotation négative : « Sociétés Espérantistes »,
« CATALOGUE DE PROPAGANDE », « Sociétés de propagande »,
etc.
Dans les documents du début
des années quatre-vingts, on voit l’apparition de la dénomination espérantophone.
Celle-ci n’est pas utilisée systématiquement. Le Deuxième rendez-vous avec
la langue internationale (annexe III.4.) est daté de 1981
et n’a jamais été renouvelé depuis, ce document restant assez peu utilisé.
L’ancienne version du Premier rendez-vous avec la langue internationale
(annexe III.2.) date vraisemblablement de la même époque. Ce
dernier document use à deux reprises de la dénomination espérantiste(s)
et n’emploie la dénomination espérantophones qu’une seule fois, dans
l’encart sur « Les services de promotion ESPERANTO-FRANCE ». Le
document utilise ces deux dénominations uniquement comme adjectifs
qualificatifs. Lorsqu’il s’agit de désigner les individus concernés par la
langue, il a recours à d’autres termes, tels que « utilisateurs », ou
« participants » à propos des congrès, autrement dit des termes assez
neutres et descriptifs. Le Deuxième rendez-vous avec la langue
internationale, dans son encart « Fiche Info », a recours plus
abondamment à la dénomination espérantiste(s) (6 occurrences), aussi
bien comme substantif que comme adjectif. On y trouve également des
dénominations plus connotées, comme « premiers adeptes ». La
dénomination espérantophones n’apparaît qu’une seule fois, au milieu de
l’encart « Flash Info » parmi les autres dénominations espérantiste(s) :
ce changement de dénomination attire le regard et peut interpeller le lecteur,
mais la brochure ne semble pas lui donner de sens précis. Tout au plus, si l’on
examine le contexte dans lequel cette dénomination est introduite (« Et la
masse des espérantophones ? La masse de correspondances, échangée entre
eux [...] »), on peut supposer qu’il s’agit là d’une dénomination employée
pour qualifier essentiellement l’usage qui est fait de l’espéranto ;
tandis que les autres dénominations parlent par exemple de « la communauté
espérantiste » ou du « mouvement espérantiste » (les dénominations
qualifient ici des termes qui évoquent quelque chose de plus qu’un simple usage
linguistique). La situation semble assez similaire pour la brochure esperanto
...une approche de la langue internationale (annexe III.5.) de 1984. La dénomination espérantiste(s)
y est partout employée, à l’exception du paragraphe sur les cours par
correspondance, à la page 55, où l’on parle d’« échanges avec les
espérantophones d’autres pays ». Jusqu’ici, la dénomination espérantiste
semble rester fortement majoritaire. La situation change un peu pour la
brochure l’ESPERANTO ça marche (annexe III.6.), de 1986, où le
choix des dénominations semble encore plus hésitant, voire aléatoire : on
y retrouve les dénominations espérantiste et espérantophone sous
diverses formes, bien que espérantophone semble réservé à un usage
adjectival. La preuve de cette hésitation est que l’on retrouve parfois les deux
dénominations à proximité, comme par exemple page 8 : « [...] la
communauté espérantophone existe en France. Il y a des groupes espérantistes
dans presque tous les départements [...] ». Ainsi, dans les documents
d’informations de cette époque, les apparitions de la dénomination espérantophone
sont encore rares et présentes de façon un peu arbitraire. À aucun moment, on
ne distingue clairement les significations des deux dénominations : cet
usage fluctuant les met en quelque sorte sur le même plan, presque comme des
synonymes. Le fait que l’usage de cette nouvelle dénomination espérantophone
ne soit pas systématique dans les documents d’information montre que les
auteurs de ces documents ne cherchaient pas nécessairement à imposer l’usage de
cette dénomination. Il ne s’agit pas d’une redénomination introduite
artificiellement de façon prescriptive. Tout laisse plutôt à supposer que
l’émergence de cette dénomination s’est faite dans la langue parlée (ou l’usage
courant) et qu’elle entraînait alors une hésitation par rapport à l’autre
dénomination en vigueur, hésitation qui transparaît au travers des documents de
cette époque.
Enfin, les documents
d’information plus récents ont définitivement remplacé la dénomination espérantiste
par espérantophone, ou bien ont évité toute dénomination. Ainsi, la
version plus récente du 1er rendez-vous avec la langue internationale (annexe III.3.), qui a dû être refaite aux alentours de 2000,
a évité toute dénomination problématique, se limitant à préciser que
l’espéranto est « utilisé par des millions de personnes dans le
monde ». Le document Présentation de la langue internationale espéranto
(annexe III.10.), comme nous l’avons déjà fait remarquer lors
de l’analyse de la revue de presse, ne se sert que de la dénomination espérantophones
dans son édition de 1999. Il en est de même pour la brochure espéranto mode
d’emploi (annexe III.9.) de 1998, où l’on ne retrouve la racine esperantist-
que dans les noms en espéranto des associations, mais qui est toujours traduit
en français par « espérantophones ». La seule exception à la règle
est le dépliant Le meilleur moyen de goûter aux langues étrangères (annexe III.8.), de 1995, qui utilise uniquement la
dénomination espérantiste(s) et à trois reprises ; tandis que dans
sa version précédente du début des années quatre-vingt-dix, ESPERANTO le
moyen le plus facile de pratiquer une langue Européenne (annexe III.7.), n’apparaissait aucune des deux dénominations.
Toutefois, il s’agit de dépliants de la première moitié des années
quatre-vingt-dix, où l’usage était peut-être encore instable, tandis que les
autres documents des annexes III.3., III.10. et III.9. sont plus récents.
Un autre aspect intéressant à
évoquer est l’évolution de certaines expressions et la redénomination des
associations. Par exemple, le « CATALOGUE DE PROPAGANDE » du Premier
Manuel de la Langue Auxiliaire Esperanto (annexe III.1.), de 1939, a été remplacé par les
« services de promotion ESPERANTO-FRANCE » dans le Premier
rendez-vous avec la langue internationale (annexe III.2.). De la même façon, les « Sociétés
Espérantistes » de 1939, expression démodée que l’on retrouve étonnement
en 1984 dans esperanto ...une approche de la langue internationale (annexe III.5.), sont devenues des « groupes
espérantistes » en 1986 (annexe III.6.), puis des
« associations et clubs d’espéranto » en 1999 (annexe III.10.). Les principales associations d’espéranto ont
été renommées : l’Union Française pour l’Espéranto (annexes III.4., III.5. et III.6.) a été rebaptisée Espéranto-France
(annexes III.3., III.9. et III.10.), et sa section jeunes JEFO a remplacé
l’acronyme peu explicite par Espéranto-Jeunes. D’ailleurs, la brochure espéranto
mode d’emploi (annexe III.9.) a été réactualisée aux alentours de 2000, et
sa nouvelle version a enlevé la mention des acronymes. L’Universala
Esperanto-Asocio, qui au début des années quatre-vingts était traduite par
« association espérantiste universelle » (annexes III.2. et III.5.), devient l’« association mondiale
d’espéranto » en 1998 (annexe III.9.). Et la section
jeunes Tutmonda Esperantista Junulara Organizo passe de
« Organisation Mondiale de la jeunesse espérantiste » (annexe III.5.) à « association mondiale des jeunes
espérantophones » (annexe III.9.) ; la
traduction est moins fidèle, mais évite ainsi des connotations pouvant évoquer
des dénominations similaires comme, par exemple, Jeunesses communistes,
etc. De la même façon, la « Jeunesse Espérantiste Suisse » mentionnée
sur le dépliant Le meilleur moyen de goûter aux langues étrangères
s’appelle aujourd’hui « Jeunesse Espérantophone Suisse » (cf. www.jesperanto.ch). Et le Château de Grésillon, qualifié de
« Maison culturelle espérantiste » (annexe III.5.), est devenu « Maison culturelle de
l’Espéranto » et a également changé son nom en espéranto « Esperantista
Kulturdomo » (annexe III.9.) pour « Kulturdomo de Esperanto »
(cf. http://grezijono.kastelo.free.fr/).
Ces changements de
dénominations, dans les discours endogènes destinés au public extérieur, sont
motivés par des raisons bien précises : ils cherchent par ce biais à
changer l’image de l’espéranto en créant un stéréotype positif[20].
Ces nouvelles dénominations peuvent en quelque sorte être qualifiées de politiquement
correctes. Il y a là une euphémisation de l’aspect extralinguistique, pour
éviter le stéréotype négatif du « partisan », et gommer ainsi toute
connotation négative possible (Siblot, 1999 : 27). Pour désigner à la fois les
locuteurs et les défenseurs de la langue, la dénomination espérantiste a
longtemps été la seule dénomination existante, et elle reste encore majoritaire
dans l’usage courant. Le fait que la dénomination espérantophone soit
apparue bien après cette dernière est logique : le Petit Robert
nous indique que la dénomination francophone n’est apparue qu’en 1949 (1976 :
745). Les dénominations en -phone n’ont donc commencé à être en vogue
qu’à partir de la deuxième moitié du XXème siècle ; la dénomination espérantophone
n’a alors pu apparaître qu’à partir de cette époque-là.
Mais il ne s’agit pas là que
d’un phénomène de mode : contrairement aux apparences, le changement d’un
suffixe n’est pas un acte innocent ni sans conséquences. C’est ce que rappelle
P. Wijnands : « Savoir jouer des suffixes pour les remplacer par des
formes concurrentes et pour, de la sorte, changer les connotations » (Wijnands, 1999 :
145). Dans son article sur les dénominations en Amérique du Nord, Wijnands
précise que « Le suffixe "-ien" dans les ethnonymes et
anthroponymes se voit attribuer une connotation péjorative dès qu’il est
concurrencé par "ois" ou "ais" » (ibid. :
145), et il nous explique plus loin que le suffixe « ois » est une
création inspirée par la connotation méliorative de « Québécois ». De
la même manière, la dénomination espérantophone a été inspirée par la
connotation méliorative présente dans des modèles tels que francophone, anglophone,
etc. Mais, comme nous l’avons déjà évoqué précédemment (cf. 4.1.1.),
c’est l’apparition d’une nouvelle dénomination qui crée l’ambiguïté (Rosier &
Ernotte, 1999 : 115). C’est pourquoi, lorsque espérantiste
était la seule dénomination en usage, il n’y avait alors pas d’ambiguïté ;
c’est l’apparition concurrentielle de la dénomination en -phone qui lui
a donné sa connotation péjorative. Et c’est pour cette même raison que les
concepteurs de documents d’information essaient à présent de remplacer la
dénomination espérantiste, marquée négativement, par la dénomination espérantophone,
marquée positivement.
Toutefois, l’analyse
étymologique des deux dénominations nous a déjà montré que leurs significations
respectives étaient différentes et que ces mots ne désignaient pas exactement
les mêmes référents (cf. 4.1.1.). Mais c’est justement par
l’intermédiaire de cette étymologie que les discours endogènes cherchent à
changer l’image de l’espéranto. Comparons notre cas à celui étudié par P.
Wijnands dans son article : « Par l’unité qui le compose, le mot "Ontarois"
rétablit et exprime aux yeux de tous la pleine appartenance civique de
l’Ontarien d’expression française, lequel affirme ainsi par cette prise de
parole ses droits de "citoyen à part entière dans la Province" »
(Wijnands, 1999 :
146). On voit que la dénomination Ontarien permet d’être reconnu comme
« citoyen à part entière ». Selon un procédé similaire, la langue
espéranto, à laquelle est souvent assignée beaucoup de connotations négatives
et minoratives, cherche par la dénomination espérantophone à être
reconnue comme langue à part entière.
Malgré ces considérations,
nous pouvons soulever une autre hypothèse possible. S. Akin écrit que :
« Les noms ne sont donc pas immuables et changent parce que les objets
qu’ils désignent se transforment eux-mêmes » (Akin, 1999 : 59). Ainsi, si
la dénomination espérantiste est en train de changer au profit de espérantophone,
peut-être est-ce dû au fait que la population relative à l’espéranto change
elle-même, ou du moins ses préoccupations. Ainsi, on passerait de générations
de défenseurs et de partisans de la langue espéranto à de nouvelles générations
préoccupées davantage par le fait de parler et d’utiliser cette langue...
Si
l’on regarde quelques travaux universitaires sur l’espéranto, on remarque que
l’évolution de l’auto-dénomination transparaît également dans le discours des
spécialistes. Nous nous sommes référé à trois thèses en Sciences du Langage,
dont nous avons examiné essentiellement l’introduction et le chapitre ou
passage qui expose ce qu’est l’espéranto.
Dans la plus ancienne de ces
thèses, celle de Lo Jacomo (Lo Jacomo, 1981), la dénomination espérantiste est la
seule utilisée[21].
Lo Jacomo parle à plusieurs reprises de « la communauté
espérantiste ». D’ailleurs, il donne une définition partielle de ce qu’il
faut entendre par espérantiste : « Combien y a-t-il
d’espérantistes ? [...] Les plus réalistes conçoivent qu’avant de compter
les espérantistes il convient d’expliciter des critères permettant de dire qui
est espérantiste et qui ne l’est pas. Car la langue internationale espéranto ne
répond pas, le plus souvent, à un besoin quotidien de communication ; et
il y a tous les intermédiaires entre les "bons" espérantistes qui
manient cette langue aussi aisément que leur langue maternelle, et les simples
sympathisants, les éternels débutants » (1981 : 24). Dans cette
définition, espérantiste semble recouvrir les deux concepts, à la fois
les sympathisants et les locuteurs, qui sont distingués seulement par la
dénomination de « "bons" espérantistes ». Plus loin, la
dénomination espérantiste semble même insister sur l’aspect
linguistique, lorsque Lo Jacomo écrit que « presque tous les espérantistes
connaissent la grammaire de l’espéranto et ont même étudié cette grammaire
avant d’étudier la langue » et que « tous les espérantistes sont
bilingues » (ibid. : 37).
Dans la thèse présentée au
milieu des années quatre-vingts par Marie-Thérèse Lloancy (Lloancy, 1985),
le terme espérantiste est en concurrence avec celui d’espérantophone,
même si celui d’espérantiste semble rester majoritaire. On retrouve donc
une situation un peu similaire à celle des documents d’information des années
quatre-vingts (se reporter au chapitre précédent 4.2.1.2.). Dans sa thèse, Lloancy ne parle pas seulement de
« communauté espérantiste », mais surtout de « monde
espérantiste » ; elle emploie également l’expression de
« culture espérantiste ». M-T. Lloancy semble faire une certaine
distinction de contexte entre les termes espérantiste et espérantophone,
encore que cette distinction reste assez floue. Ainsi, au début de sa thèse,
elle définit la qualité d’espérantiste de la manière suivante :
« par rapport aux lecteurs non-espérantistes, c’est-à-dire ne pratiquant
ni oralement ni par écrit la langue internationale Espéranto » (1985 :
4). Cette définition semble faire référence à la qualité de locuteur ou
d’usager de la langue, mais elle ajoute juste après : « il ne s’agit
pas de convaincre ceux qui "ne croient pas" à l’Espéranto »,
introduisant la notion de croyance qui dépasse le domaine linguistique. La
dénomination espérantophone, elle, est introduite dans la partie de
présentation de la langue, lorsqu’il est fait allusion à l’usage de celle-ci,
comme par exemple : « La cohésion de la langue est maintenue par les
nombreuses rencontres, surtout internationales, entre espérantophones aux
intérêts plus ou moins spécialisés » (ibid. : 36). Mais l’usage
devient plus instable lorsque, à la page 1149, Lloancy parle des
« utilisateurs de l’Espéranto » et ajoute : « C’est
pourquoi, même s’il [R. Schwartz] peut être compris d’un non-espérantophone, il
lui paraîtra probablement insipide, et ne peut être véritablement apprécié que
des récepteurs espérantophones suffisamment initiés aux divers éléments de
l’arrière-plan culturel auquel il fait souvent allusion » ; en plus
de la connaissance de la langue, espérantophone fait ici référence à
l’appartenance à une culture spécifique. Puis juste après, à la page 1150,
Lloancy fera usage à cinq reprises de la dénomination espérantiste,
évoquant notamment une fois « la communauté espérantiste », pour
reparler plus bas d’« une communauté espérantophone ». Toutefois, le
changement d’article entre les deux expressions est peut-être l’indice d’un
changement de référent, car l’usage du pronom indéfini semble donner un cadre
plus flou tandis que « la communauté espérantiste » est plus
clairement délimitée et désignée.
La thèse de Natalia Dankova (Dankova, 1997)
est beaucoup plus récente, cela explique sûrement l’usage majoritaire de la
dénomination espérantophone[22].
Mais contrairement aux documents d’information récents (cf. 4.2.1.2.), l’usage de espérantophone n’y est pas
systématique et reste concurrencé de temps à autre par espérantiste.
Dans son introduction, N. Dankova parle de « mouvement espérantiste »
(1997 :
9), mais dans le premier chapitre, elle écrira : « comme toute
communauté linguistique, le milieu espérantophone (et espérantiste) partage
certaines réalités [...] » (ibid. : 25). Il y a une certaine hésitation sur les
dénominations, ou du moins, leurs définitions respectives ne sont pas
explicitement délimitées. Celle d’espérantophone semble être liée à la
langue, comme le montre la phrase « la communauté espérantophone s’est
formée autour d’une langue, l’espéranto » (ibid. : 26), mais rien ne
nous est précisé à propos du terme espérantiste. Signalons enfin que
Dankova, dans son étude, évoque également des « espérantophones
avancés », qu’elle définit de la sorte : « Un espérantophone
avancé est un sujet métalinguistiquement actif » (ibid. :
26).
Les Actes de la journée d’étude sur l’espéranto, qui s’est
tenue à l’Université Paris VIII, en 1983, sont bien l’image de l’usage
fluctuant des deux dénominations espérantiste et espérantophone
dans les années quatre-vingts. Il s’agissait de discours mixtes (endogènes et
exogènes), car une partie de la journée était intitulée « Point de vue de
non-espérantistes » et était réservée à des discours exogènes de
spécialistes invités à amener leur point de vue sur la langue espéranto. Même
si Louis-Jean Calvet semble distinguer les deux dénominations (sans pour autant
en définir le sens), lorsqu’il débute son intervention par « je ne suis ni
espérantiste ni espérantophone » (1983 : 35), l’usage des
dénominations varie d’un intervenant à l’autre, qu’il s’agisse de discours
endogènes ou non, et parfois même au sein de la même intervention.
Par exemple, Jean-Pierre Van
Deth (1983 :
28), Jean-Claude Michéa (1983 : 30) et François Lo Jacomo[23]
(1983 :
60) emploieront l’expression de « communauté espérantiste », tandis
que Michel Duc Goninaz (1983 : 49) et Jacques Le Puil (1983 : 85) parleront de
« communauté espérantophone ». Mais cet usage est loin d’être stable.
Le Puil parlera de « communauté espérantophone » dans le titre de son
intervention et dans l’introduction de celle-ci (1983 : 85), mais il
n’utilisera par la suite que la dénomination espérantiste(s),
l’associant même au terme de communauté dans la phrase : « Si
la vitalité d’une communauté se juge sur sa presse, il est certain que les
espérantistes n’ont pas à rougir dans ce domaine » (ibid. : 88).
De
son côté, Duc Goninaz semble distinguer le terme d’espérantophone, plus
général, de celui d’espérantiste propre à l’auto-dénomination, lorsqu’il
dit : « C’est alors que l’on assiste à l’auto-institution d’une
communauté espérantophone [...]. Cette communauté, qui se fait connaître sous
le nom de Mouvement espérantiste ne se caractérise pas seulement par
l’usage de la langue [...], mais elle peut se caractériser par une idéologie au
sens étroit du terme » (1983 : 49). Les deux dénominations semblent recouvrir le
même référent, mais leurs enjeux sont différents. Ainsi, le terme d’espérantiste
fait davantage référence à l’identité propre : par exemple, lorsque Duc
Goninaz parle de la « résistance aux tentatives de réformes (la plus importante
a été l’ido, proposé en 1907, et c’est certainement à ce moment-là que le
peuple espérantiste a pris conscience de son identité) » (ibid. :
49). C’est vraisemblablement dans ce sens que l’entend Calvet, qui parle de
« la diaspora espérantiste » (1983 : 43), et qui évoque
plus loin « la visée des espérantistes » en ajoutant : « la
fusion de l’espérantisme n’a pas de lieu de dépôt fossilisé. Je suppose que
votre but n’est pas de dire : "nous avons notre lieu, nous avons
notre langue, et nous existons en tant qu’espérantophones" » (ibid. :
44). Le terme espérantophones est ici compris comme une qualité, et non
comme une identité, rôle davantage joué par la dénomination espérantiste.
Nous
avons donc pu observer, sur un plan diachronique, une évolution de l’usage des
dénominations : nous sommes passés de la dénomination initiale espérantiste
à celle d’espérantophone, qui est en effet plus récente et tend à
concurrencer la dénomination la plus ancienne, perçue comme connotée
négativement. À l’heure actuelle, nous pouvons remarquer qu’il y a, dans les
discours endogènes à l’attention d’un public extérieur, une stratégie
d’évitement de la dénomination espérantiste. Or, nous avons vu dans la
partie précédente (cf. 4.1.) que cette dernière
dénomination est considérée comme la plus officielle et reste la plus fréquente
dans l’usage courant. La récente auto-désignation systématique par le terme espérantophone
provoque alors dans les discours exogènes une certaine hésitation sur la
dénomination adéquate à employer. Voyons à présent quelle est
l’auto-dénomination utilisée pour l’usage interne.
Dans la présentation de notre
problématique (cf. 2.1.), nous faisions remarquer que la question de
l’auto-dénomination était moins problématique en espéranto qu’en français, car
les dénominations concurrentes à esperantisto sont fort peu utilisées.
Toutefois, malgré la prépondérance de la dénomination esperantisto en
espéranto, cette dernière n’est pas sans poser quelques problèmes. Rien que sur
le plan de sa construction lexicale, l’espéranto, qui se réclame généralement
comme une langue logique et sans exception, fait ici preuve d’une certaine
irrégularité en ce qui concerne la dénomination de ses propres usagers. Comme
nous le faisait remarquer Lo Jacomo dans son courriel du 16 août 2004 (cf. 4.1.1.),
on parle de francisto pour désigner le spécialiste de la langue
française[24],
de germanisto pour le spécialiste de la langue allemande, de hungaristo
pour le spécialiste du hongrois, et ainsi de suite. Par contre, esperantisto
ne désignera pas le spécialiste de l’espéranto[25],
comme si l’espéranto était ainsi considéré comme un cas à part parmi les
langues. Mais si l’on regarde la signification du suffixe -ist- en
espéranto dans le dictionnaire monolingue de référence, le Plena Ilustrita
Vortaro [*Dictionnaire Complet Illustré] ou PIV (Waringhien,
2002), on trouve, après le sens premier de suffixe servant à
indiquer l’occupation professionnelle, un deuxième sens assez proche de celui
du suffixe -iste en français : « Adepton aŭ subtenanton
de iu teorio, skolo, doktrino ; ismano [*Adepte ou sympathisant d’une
théorie, d’une école, d’une doctrine ; membre d’un -isme] » (2002 :
491), sens pour lequel esperantisto est cité parmi les exemples donnés
par le dictionnaire.
Ainsi, esperantisto
semble avoir la même signification analytique que la dénomination espérantiste
en français. Pourtant, si l’on regarde dans le PIV la définition de esperantisto[26],
que l’on trouve sous l’entrée de Esperanto, on peut lire :
[esperant]isto. Persono,
kiu uzadas [Esperant]on : ~isto-batalantoz ; idea ~istoz ;
la ~ista mondoz.
[*esperantisto. Personne qui
utilise régulièrement l’espéranto : un combattant espérantistez ;
un espérantiste idéalz ; le monde espérantistez.]
(2002 :
299)
L’ancêtre du PIV, le Plena Vortaro,
était presque plus précis car il parlait de : « Persono, kiu scias k
uzas ~on [*Personne qui connaît et utilise l’espéranto] » (Grojean-Maupin,
1996 : 114). Comme on le voit ici, la définition endogène de la
dénomination ne semble plus concorder avec sa signification analytique. Si l’on
suit cette définition, esperantisto aurait en espéranto
approximativement le même sens que la dénomination espérantophone en
français. On peut alors se demander comment rendre la dénomination espérantiste
en espéranto : on aurait tendance à dire que la dénomination esperantisto
recouvre les deux concepts de espérantiste et espérantophone.
Cependant, toujours sous
l’entrée Esperanto, on trouve également la dénomination esperantano
qui est définie ainsi : « Aprobanto de ~o [*Partisan de
l’espéranto] » (2002 : 299). Mais cette dénomination esperantano,
qui correspond exactement à la définition du Petit Robert de la
dénomination espérantiste, n’est pas utilisée en pratique, ainsi que
nous le signale Bertil Wennergren dans son Plena Manlibro de Esperanta
Gramatiko [*Manuel Complet de Grammaire d’Espéranto] dans le chapitre sur
le suffixe -ist- (21/07/2004 - bertilow.com/pmeg/vortfarado/afiksoj/sufiksoj/ist.html).
Dans ce même chapitre, Wennergren nous précise que « Esperantisto tradicie
kaj kutime estas ĉiu, kiu scias kaj uzas la lingvon [*Esperantisto
traditionnellement et habituellement est toute personne qui connaît et utilise
la langue] », ce qui va dans le sens de la définition du PIV et du Plena
Vortaro ; mais il ajoute juste après : « sed
foje oni renkontas la ideon, ke Esperantisto devus signifi nur
"aktiva ano de la Esperantomovado" aŭ simile [*mais
parfois on rencontre l’idée que Esperantisto devrait signifier seulement
"membre actif du mouvement espéranto" ou
similaire] ».
La « Deklaracio pri
Esperantismo », bien que vétuste, donne une définition plutôt ambiguë de esperantisto :
5. Esperantisto estas nomata ĉiu
persono, kiu scias kaj uzas la lingvon Esperanto, tute egale, por kiaj celoj li
ĝin uzas. Apartenado al ia aktiva societo esperantista por ĉiu
esperantisto estas rekomendinda, sed ne deviga.
[5. Est nommé
espérantiste celui qui sait et emploie la langue Espéranto, pour quelque but
que ce soit. L'adhésion à une société espérantiste est recommandable, mais non
obligatoire.]
(traduction issue du
site www.lingvo.info)
La première partie de cette définition semble donner
une description assez neutre de l’utilisateur de la langue, mais la deuxième
phrase qui recommande l’« adhésion à une société espérantiste »
évoque tout de suite un aspect militant. On voit donc que l’usage en espéranto
de la dénomination esperantisto a pris les deux sens, celui de partisan
et celui d’usager de la langue. Cela influe donc certainement sur la traduction
de la dénomination dans les langues nationales, et cela expliquerait pourquoi
la dénomination espérantiste serait encore majoritairement présente, y
compris dans les discours endogènes.
Pour obtenir les équivalents
officiels du paradigme espérantiste / espérantophone en
espéranto, regardons dans un dictionnaire bilingue, comme le Grand
Dictionnaire / Français – Espéranto (Le Puil & Danvy, 1992).
Celui-ci nous indique pour espérantiste :
espérantiste (adj.) esperanta,
esperantista.
(subst.) esperantisto.
(1992 :
337)
Pour espérantophone, qui y est présent alors
que la préface annonce que le dictionnaire a privilégié « les termes
enregistrés dans les dictionnaires français courants » (1992 :
5), on trouve :
espérantophone esperantoparolanto.
(1992 :
337)
On voit que ce dictionnaire bilingue donne un sens
différent aux deux dénominations, puisqu’il les traduit par des termes différents.
D’après ce dictionnaire, esperantisto ne semble pas recouvrir les deux
significations, bien qu’il en soit autrement dans l’usage courant. On
remarquera également que le Grand Dictionnaire / Français – Espéranto
donne un usage adjectival et nominal à espérantiste, tandis qu’il ne
reconnaît espérantophone que comme substantif (nous avions déjà observé
l’usage minoritaire de espérantophone comme adjectif dans la revue de
presse en 4.1.2.).
Pour
voir comment se fait la traduction dans l’autre sens, c’est-à-dire de
l’espéranto vers le français, nous avons consulté un logiciel d’apprentissage
de l’espéranto. Il s’agit du programme Kurso de Esperanto (disponible
sur le site www.ikurso.net), dans sa version 3.03 du 20 juin 2004. Ce
logiciel a été traduit depuis l’espéranto vers 23 langues. Dans la version en
français, sur la page de présentation de la langue espéranto, la traduction a
mentionné les deux dénominations : « [...] les
espérantophones (ou "espérantistes"), personnes qui parlent
l'espéranto, par leur connaissance de la langue internationale, peuvent
établir des contacts directs avec d'autres hommes et femmes d'autres pays
[...] ». Il y a ici une surabondance de dénominations : le fait de
mettre la dénomination espérantistes entre parenthèses et entre
guillemets tend à la minorer, tandis que la dénomination espérantophones
ne semble pas être assez explicite à elle seule car elle est paraphrasée par
« personnes qui parlent l’espéranto », la précision « par leur
connaissance de la langue internationale » ne faisant que surenchérir
cette définition. Dans le reste du logiciel, la dénomination esperantisto
sera toujours traduite par espérantophone[27].
Mais la traduction des
abréviations en espéranto à la leçon 11 est particulièrement
intéressante car on peut y lire, l’une à la suite de l’autre :
e-isto = esperantisto espérantophone
s-ano = samideano espérantiste
La dénomination samideano est une dénomination
typiquement endogène. Il s’agit d’un mot composé sam+ide+an+o,
qui signifie de façon analytique [*même + idée + membre + terminaison du
substantif], c’est-à-dire « celui qui fait partie de la même idée, qui
partage la même idée ». Bien qu’elle ne corresponde pas toujours à la
réalité (nous avons vu dans la présentation historique et sociologique de
l’espéranto, en 2.3.1., que les différents
usagers de l’espéranto sont loin de partager la même idée à propos de la langue
espéranto), il s’agit d’une dénomination endogène, employée parfois en
remplacement de esperantisto, pour s’adresser à un ou plusieurs autres
usagers de la langue. Le terme de samlingvano, « celui qui partage
la même langue », serait plus adéquat ; mais l’on voit justement que
la dénomination samideano insiste davantage sur l’aspect idéologique que
sur l’aspect linguistique[28].
De nos jours, cette dénomination tend à être un peu démodée, et notamment les
générations les plus jeunes ne l’emploient plus guère. Si cette dénomination a
été traduite par « espérantiste », et celle d’esperantisto par
« espérantophone » (alors que graphiquement et étymologiquement, esperantisto
semble plus proche de la dénomination espérantiste), c’est sans doute
parce que la dénomination samideano est aujourd’hui davantage connotée
idéologiquement en espéranto que celle d’esperantisto, qui est d’un
usage plus courant et presque plus neutre. Ainsi, on a donné la dénomination la
plus connotée en français, c’est-à-dire celle d’espérantiste
(comparativement à espérantophone), à la dénomination qui était la plus
connotée en espéranto, celle de samideano : dans cette traduction,
la valeur de connotation l’a emporté sur celle de la graphie et de
l’étymologie.
Nous
avons finalement pu remarquer que l’étymologie de esperantisto en
espéranto n’était pas tout à fait régulière, ce qui n’est pas sans poser
certaines problématiques parfois. Néanmoins, il s’agit de la dénomination la
plus couramment utilisée en espéranto : cela influe certainement sur
l’usage des dénominations en langue nationale et explique l’emploi majoritaire
de espérantiste en français. Face à ce constat, voyons à présent comment
quelques articles endogènes traitent ce sujet.
L’article
de Gaby (annexe IV.1.) est un petit encart en bas de la dernière page
du bulletin régional de la Fédération Espéranto-Bretagne, dans le numéro 14
d’octobre 2003. En fait, il s’agit davantage d’un appel à réflexions lancé aux
lecteurs du bulletin qu’un véritable article à proprement parler. Néanmoins,
ces quelques lignes nous apportent des informations intéressantes.
On y
trouve pour commencer une définition endogène, destinée a priori à un public
également endogène, des deux dénominations espérantiste et espérantophone.
La dénomination espérantiste est indiquée comme problématique à cause de
son suffixe qui évoque « un esprit de parti ». Le terme espérantiste
est alors rapproché d’autres termes en -iste évoquant cette connotation.
Mais Gaby élargit cette définition par d’autres exemples montrant que le
suffixe en -iste n’est pas uniquement réservé pour faire référence à
« un esprit de parti », ajoutant au passage une pointe d’humour en
risquant une comparaison avec le terme « dentiste ». Pareillement, la
dénomination espérantophone est ensuite définie par comparaison à
d’autres mots du même paradigme en -phone.
Mais
cette deuxième définition est récusée, étant désignée comme inadéquate au cas
particulier de l’espéranto. Il ne s’agit pas ici d’affirmations définitives,
mais juste d’un point de vue strictement personnel car, à deux reprises, Gaby
appelle explicitement les lecteurs à apporter d’autres points de vue :
« Et vous, qu’en pensez-vous ? », « J’aimerais savoir ce
que chacun en pense ». Elle donne sa définition personnelle de
l’espéranto, considéré comme « plus qu’une langue », pour argumenter
sa position en faveur de la dénomination espérantiste. Le fait de mettre
une majuscule à cet endroit au mot « Espéranto », tandis qu’elle n’en
mettait pas dans la phrase précédente (« Un espérantophone est celui qui
parle espéranto »), va également dans le sens de cette argumentation.
C’est la remarque d’un ami,
lequel préférait se dire espérantiste plutôt qu’espérantophone,
qui a amené Gaby à réfléchir à cette question de la dénomination et l’a incité
à écrire ce court article. Néanmoins, pour Gaby et son ami, leur attitude par
rapport à la dénomination ne semble pas se placer sur un même niveau :
pour son ami, il s’agit vraisemblablement d’une image dépolitisée[29]
que l’on cherche à donner, tandis que pour Gaby, il s’agit d’une forte
identification à la dénomination espérantiste. Nous aurons l’occasion de
revenir sur cet article dans le cadre de l’analyse des entretiens, car Gabrielle
(dite Gaby) a fait partie de nos informateurs.
L’article
de Germain Pirlot (annexe IV.2.) est, en revanche,
davantage prescriptif. Certes, il définit les dénominations annoncées dans son
titre « Espérantiste - espérantophone - espérantophile », mais il
juge également au passage les personnes auxquelles ces définitions se
rapportent.
En
premier lieu, il reconnaît à la dénomination espérantiste la valeur de
terme générique pour désigner la population liée à l’espéranto, car il
l’emploie également pour désigner ceux qui « préfèrent se coller
l’étiquette "espérantophone" ou "espérantophile" ».
Mais il définit essentiellement la façon dont cette dénomination espérantiste
est perçue par le public exogène, désigné par le terme de
« profane ». En plus de la « connotation péjorative » dont
nous avons déjà parlé, Pirlot ajoute que cette dénomination comporte une image
« controversée » et « pas sérieuse ». Puis, il décrit de
façon assez détaillée la représentation que l’on se fait d’un certain type
d’« espérantiste », dont l’image déteint sur toute la communauté et
constitue le stéréotype négatif qui lui est accolé. Il s’agit ici de la même
catégorie d’individus que F. Degoul désignait par « ces espérantistes
qui ont une fâcheuse tendance à la propagande excessive », dans
l’article 34 de la revue de presse (annexe I).
Après
avoir jugé de façon très négative ce type d’« espérantiste », il
exprime aussi son opinion sur ceux qui emploient les dénominations espérantophone
ou espérantophile, usant cette fois-ci du qualificatif positif
d’« espérantistes plus réalistes ». Ces deux dernières dénominations
sont donc considérées comme correspondant davantage à la réalité. Étonnamment,
Pirlot n’entend pas la dénomination espérantophone de la même façon que
nous l’avons définie précédemment : pour lui, « espérantophone »
ne désigne que les locuteurs dont l’espéranto est la « langue
parentale ». Il emploie alors « espérantophiles » comme terme
adapté pour désigner à la fois les locuteurs et les sympathisants de
l’espéranto qui ne parlent pas la langue. Cette proposition, qui tendrait à
remplacer les deux programmes de sens déjà recouverts par la dénomination espérantiste,
est assez surprenante, car on aurait tendance à comprendre de façon analytique
le terme d’espérantophile dans sa deuxième acceptation évoquée, celle de
simple sympathisant ou ami de l’espéranto.
Si
l’on se sert du moteur de recherche Google pour
se faire une idée du nombre d’occurrences de ces dénominations sur Internet, en
se limitant à la recherche parmi les pages francophones, on remarque que la
différence d’usage entre les trois dénominations évoquées par Pirlot est
flagrante. La dénomination « espérantiste » est de loin la plus
utilisée avec 2550 occurrences (et 2200 au pluriel). Celle de
« espérantophone » est nettement moins utilisée, mais toutefois assez
présente, avec 770 occurrences (et 867 pour « espérantophones »).
Enfin, la dénomination préconisée par Pirlot, et à laquelle il semble s’identifier,
puisqu’il signe son article par « Germain PIRLOT, espérantophile
pratiquant », se révèle être quasiment un hapax : au singulier, les 6
occurrences d’« espérantophile » sont des usages de Germain Pirlot
lui-même (cette dénomination est reprise néanmoins sur le site de Voxlatina par
Michel Arlès, qui se définit également comme « Occitan » et
« Citoyen EUROPEEN »). Et la dénomination au pluriel
« espérantophiles » donne un total de 31 occurrences, dont plusieurs
renvoient à la même page. Comme autre néologisme, Pirlot emploie également le
terme de « "espérantophobes" » pour désigner les personnes
hostiles à l’espéranto, mais qui là, pour l’occasion, constitue véritablement
un hapax.
Enfin,
signalons que les programmes de sens pour distinguer la population relative à
l’espéranto sont fort nombreux. En effet, Bernard Golden, dans son étude sur la
possibilité d’un recensement de cette population, répertorie les dénominations
suivantes « esperantisto », « esperantismano »,
« esperantofono »[30],
« esperantlingvulo / esperantlingvano » et « esperantano »,
en les définissant de façon distincte, même si les limites sémantiques de
certaines de ces définitions sont parfois assez floues ou se recoupent avec
celles d’autres dénominations (Golden, 1994 : 2). Ainsi, la profusion de ces
dénominations[31]
avec des significations distinctes est bien l’indice de la multiplicité des
programmes de sens que nous évoquions plus haut. Toutefois, Sikosek nous
précise que les dénominations indiquées par Golden sont à peine utilisées en
espéranto (1999 :
35) ; il suffit de les rechercher avec le moteur de recherche Google pour s’en rendre compter. Sikosek, quant à lui,
reconnaît esperantisto comme terme générique en espéranto, mais il
conseille, dans son ouvrage sur l’information à propos de l’espéranto (Sikosek, 1999),
de faire usage des équivalents de « esperanto-parolanto » et
« esperantlingvano » dans les langues nationales, c’est-à-dire
d’utiliser les mêmes termes que l’on utilise pour les locuteurs d’autres
langues (par conséquent, en français, il s’agit de la dénomination espérantophone).
On voit donc ici, à nouveau, l’aspect prescriptif donné à la dénomination espérantophone
pour ce qui est des discours endogènes à l’intention d’un public extérieur.
Afin
de vérifier les observations que nous avons pu faire lors de l’analyse des
autres parties de notre corpus, il conviendrait de commencer par regarder le
nombre d’occurrences des dénominations espérantiste et espérantophone
parmi les cinq entretiens de notre corpus (annexe V).
|
espérantiste(s) |
espérantophone(s) |
Flavie |
2 |
5 |
Adélaïde |
3 |
4 |
Michaël |
4 |
0 |
Gabrielle |
8 |
4 |
Thierry |
23 |
4 |
Total |
40 |
17 |
Il convient toutefois de relativiser ces statistiques
du fait que, pour trois de ces entretiens, nous avons eu recours aux questions facultatives
de notre questionnaire par lesquelles nous abordions plus ou moins directement
la question de la dénomination. Ainsi, nous avons introduit le terme espérantophone
lors des entretiens avec Gabrielle, qui avait déjà bien réfléchi à la question,
comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent (4.2.2.2.), et avec Thierry, qui lui ne connaissait absolument
pas le terme. D’autre part, nous avons introduit le terme espérantiste
pour l’entretien avec Adélaïde. De ce fait, en considérant seulement les
dénominations utilisées avant que nous-même ne les ayons introduites lors des
entretiens, nous arrivons alors à 29 occurrences de la dénomination espérantiste(s)
et à 6 occurrences pour espérantophone(s). Nous constatons donc que,
dans tous les cas, de la même façon que nous avons pu l’observer dans les
précédentes parties du corpus, la dénomination espérantiste reste la
plus fréquemment, voire la plus spontanément, employée.
Chez
une partie des informateurs, on remarque une hésitation sur la dénomination
adéquate à employer. Ainsi, certains emploieront le terme espéranto
comme adjectif (alors que, normalement, il s’agit juste d’un substantif réservé
à désigner le nom de la langue) : « les rencontres espéranto »
(A50), « sa:... sa conversation espéranto.. espérantiste.. » (T236),
« y’a un hymne: national... enfin.. pas national... un hymne
espéranto.. » (T372). Cet usage du terme espéranto comme adjectif
peut être la marque d’une hésitation sur l’adjectif correspondant à la langue
espéranto. Il pourrait s’agir également d’une stratégie d’évitement de
dénomination, afin de ne pas avoir à faire un choix entre deux dénominations
concurrentes. Enfin, cela pourrait être aussi le résultat de l’influence de la
langue espéranto elle-même, où le terme Esperanto est souvent accolé à
un nom pour le qualifier, comme par exemple « Esperanto-renkontiĝo »,
« Esperanto-kongreso », « Esperanto-asocio », etc. L’usage
de périphrases, comme lorsque Adélaïde déclare « on rencontre d’autres
gens qui parlent espéranto » (A50), peut également faire partie des
stratégies d’évitement. D’ailleurs, c’est également Adélaïde qui, plus loin,
hésite à propos de la dénomination d’une association dont elle est
membre : « j’me suis in.. inscrite pour la première fois à une association... d’espérantophones.. d’Espéranto-J..
Espéranto-Jeunes... » (A54).
Toutes
ces marques d’hésitations indiquent une insécurité linguistique de la part des
locuteurs. Nous pouvons émettre deux hypothèses d’explication de cette
insécurité. D’une part, la dénomination espérantophone est présentée
comme nouvelle ; il s’agit d’un changement de dénomination récent, comme
le précise Adélaïde :
A60- alors..
euh:... chuis en train d’beaucoup changer (rire)... disons qu’avant
j’disais toujours espérantiste pour des gens qui parlent espéranto... et:
maint’nant j’emploie les deux.. espérantiste espérantophone...
Gabrielle également nous le fait comprendre, mais de
façon plus indirecte, car après nous avoir parlé de son article sur les
dénominations espérantiste et espérantophone, elle ajoute :
G116- [...]
mais alors.. y’a quelqu’un qui a x.. qui a trouvé
encore autre chose... c’est espérantien espérantienne.. la première fois
qu’j’ai entendu ça.. mais qu’est-ce qu’i rac..
L’usage de l’expression « a trouvé encore autre
chose » nous indique que les dénominations « espérantien
espérantienne »[32], de même que celle d’« espérantophone »,
mentionnée précédemment, sont considérées comme récentes et ayant été créées de
façon réfléchie et délibérée. Or, cette nouvelle dénomination espérantophone
semble être perçue comme une certaine norme prescriptive. C’est ce qu’expriment
aussi bien Adélaïde que Gabrielle :
A70- [...]
en espéranto on dit esperantistoj [esperɑntistoj] pour les gens euh.. qui parlent espéranto:..
euh::... en français.. ben c’est vrai qu’y’a un terme qu’est plus exact qu’est
espérantophone.... maintenant.. que les gens disent espérantiste espérantophone
ça m’choque pas tellement...
G114- oui::..
y’a quand même une différence... mais.. je suis.. prête à me rallier à ceux qui
préfèrent euh.. espérantophone [esperɑ̃tofon]... vis-à-vis d’l’extérieur.. peut-être c’est
mieux... boh.. peut-être..
Le terme espérantophone
est, dans un cas, qualifié de « plus exact » et dans l’autre de
« c’est mieux ». Pour ce qui est de Gabrielle toutefois, il s’agit
d’une norme à utiliser à l’adresse d’un public extérieur essentiellement car,
contrairement à Adélaïde, elle considère que le terme espérantophone ne
correspond pas de façon plus exacte à la réalité de la population désignée
(nous reviendrons sur ce point par la suite).
D’autre
part, lorsque l’insécurité linguistique ne résulte pas du sentiment de malaise
induit par une norme prescriptive, c’est qu’il s’agit alors d’une dénomination
manquante. Ainsi, Thierry, qui au début de l’entretien ne connaissait pas
encore la dénomination espérantophone, se définit de manière
périphrastique, car on sent qu’il lui manque une dénomination adéquate pour
cela :
T334- j’me:..
j’me considère pas comme espérantiste..
[...]
S343- //
tu t’considères comme... comme quoi.. euh... ?
T344- comme
personne qui a appris l’espéranto.. qui r’grette pas...
À un autre moment de l’entretien, Thierry nous
désigne son père comme le seul « espérantiste » sur Yvetôt (T82-T86),
puis se reprend en distinguant son père par la dénomination de
« espérantiste vraiment actif » (T88). Il lui manque alors une autre
dénomination pour désigner les autres membres du groupe d’Yvetôt :
T90- y’avait
lui... le reste euh.. y’avait des gens qui avaient.. appris l’espéranto.. qui
f’saient partie.. d’un groupe espérantiste qui.. à l’époque.. était quand
même:... assez.. assez euh:... en tant qu’groupe.. assez actif
[...]
Thierry fait finalement usage de la dénomination espérantiste,
mais pour désigner le groupe et non ses membres. D’ailleurs, on peut ici
remarquer que, d’une manière générale, Thierry fait usage d’espérantiste
comme d’adjectif attitré pour tout ce qui est relatif à l’espéranto, car même
après avoir découvert la dénomination espérantophone, il continuera à
utiliser le terme espérantiste pour la fonction d’adjectif
qualificatif :
T372- [...]
y’avait pas mal.. par exemple.. d’espérantophones sur Yvetôt... c’était.. des
gens qui.. en dehors du.. du groupe espérantiste d’Yvetôt... n’utilisaient
jamais l’espéranto.. ne rencontraient jamais d’étranger... alors que:..
euh::... ça p.. ça pour moi.. il s’ra espérantophone...
De la même façon, Michaël désignera son frère Lino
comme un simple locuteur (« M80 : [...] lui.. euh l’espéranto il
le:.. il le parle.. i s’débrouille évidemment: ...correctement.... mais::.. il
le.. il.. i court pas après.. disons.... [...] au niveau de l’idéologie.. et
tout ça.. il est pas très:... pas très investi.. ») et sa soeur, comme
juste une utilisatrice de la langue (« M84 : [...] elle.. e::: ..elle
est plutôt euh.. intéressée par le côté correspondance.. communication avec les
autres et.. elle fait... bon.. elle
s’intéresse pas encore.. énormément:... au côté idéologique.. et:... tout ça [...]), sans pour autant les désigner par des
dénominations distinctes, tandis qu’il n’emploie que la dénomination espérantiste
dans tout le reste de l’entretien. Nous voyons donc que des référents
différents sont distingués, mais les locuteurs n’ont pas toujours à leur
disposition les dénominations adéquates pour les désigner autrement que par des
périphrases.
Si
le choix des dénominations semble si problématique, c’est que derrière ces dénominations
se cachent souvent des stéréotypes. C’est ce que rappelle Michéa lorsqu’il
déclare : « On se définit un profil type de l’espérantiste, et c’est
à partir de cette image qu’on s’en fait que on porte un certain nombre de
jugements sur l’espéranto lui-même » (1983[33]). Au fil des entretiens, on retrouve en filigrane le
stéréotype négatif de l’espérantiste que nous décrivait Pirlot dans son article
(annexe IV.2.). Ainsi, on peut trouver les remarques
suivantes :
F46- [...]
après c’est sûr que j’ai pas une démarche.. spécialement euh... de propagande
euh [...] ..pour moi c’est pas ..un devoir.. de de... de::: ..de
faire en sorte que tout le monde apprend.. apprenne l’espéranto [...]
F56- [...]
c’est pas la peine de les marteler avec euh [...]
A34- je
parle: ..rarement de l’espéranto... parce que je cherche pas absolument à.. à
en parler aux gens [...]
M80- [...]
il.. i court pas après.. [...] il est pas très:... pas très investi [...]
T216- j’vais
pas faire du prosélytisme [...]
Certains propos réagissent directement à des
stéréotypes colportés par les espérantistes eux-mêmes :
G110- [...]
m’enfin moi.. je considère..que... l’espéranto c’est pas une panacée
[...]
D’autres relient explicitement ce stéréotype à la
dénomination espérantiste :
G112- ben
c’est-à-dire que:.. je comprends: ceux qui trouvent que le::.. xx le suffixe -iste euh... (petit bruit d’embarras) euh:::.. bon...
leur fait penser.. à d’autres -istes et qu’ça le.. je
comprends.. je comprends ça.. que ça les: gène un peu [...]
T88- non..
j’dis des bêtises.. quand.. j’dis qu’y’avait que mon père euh::..
espérantiste... mais euh:.. espérantiste vraiment actif euh::: ..comment
dire.. ? ..qui.. qui prêche la bonne nouvelle.. là...
T372- [...]
l’espérantiste.. [...] vit un peu pour l’espéranto... comme on peut vivre pour
la religion.. comme on peut vivre euh.... bon.. y’a des excès.. quand même...
y’a des gens pour qui euh.. l’espéranto: est:.. c... y’a un côté fascisant.. des fois.. quoi [...]
L’observation de Michéa est d’autant plus justifiée
que l’on remarque que dans certaines villes, la langue espéranto n’est
identifiée qu’à une seule personne, comme c’est le cas de Gabrielle à
Saint-Quay-Perros (G70-G72) ou du père de Thierry à Yvetôt (T82-T86).
Par ailleurs, on peut remarquer dans les
propos mentionnés ci-dessus qu’il y a un certain rejet, notamment de la part
des jeunes, de ce stéréotype. On cherche à s’en démarquer par des tournures
négatives (pas de « propagande », « devoir »,
« prosélytisme », etc.), car ce stéréotype est perçu comme gênant
(G112). Le seul jeune parmi nos informateurs à ne pas rejeter ce stéréotype de
façon catégorique est Michaël qui, au contraire, revendique d’une certaine
façon cet aspect militant (« M106 : [...] dès qu’j’en aurai la
possibilité.. j’ai x.. j’ai l’intention
d’étudier ça euh.. beaucoup plus à fond... passer les examens euh.. qui
permettent euh... dans.dans l’cadre
d’EFI [øfoi].. qui permettent d’enseigner... et euh:.. vraiment.. m’investir..
beaucoup plus là-d’dans... »), qu’il considère même comme un modèle
lorsqu’il parle de son frère Vinko :
M138-
[...] lui il est beaucoup plus actif que moi... mais i.. i vient d.. d’entrer
à::.. à l’École Normale de Lyon.. donc il a beaucoup plus de temps et:... si
j’pouvais suivre sa voie.. et le rejoindre et ..l’épauler ..dans c’qui fait..
ça me... ça m’plairait bien...
Toutefois, pour le cas de Michaël, il ne s’agit pas
tant d’un militantisme pour la langue espéranto, que d’un militantisme pour
l’association SAT, dont l’espéranto n’est pas
le but principal comme le souligne Michaël lui-même (M132-M134, M150-M152). En
outre, si Michaël admet que d’autres locuteurs de l’espéranto n’aient pas le
même militantisme que lui (par exemple, lorsqu’il parle de son frère Lino et de
sa soeur, comme nous l’avons vu plus haut), il semble en revanche avoir plus de
mal à accepter le fait que certaines personnes approuvent l’espéranto sans
l’apprendre :
M112- [...]
c’qui m’é:.. c’qui me:.. me.à chaque fois que:.. que j’en parle c’qui m’étonne
le plus... c’est qu’les gens en général.. sont tout à fait pour
l’espéranto..
S113- mm
(acquiescement)
M114- ils
disent oui ! super ! génial !... et::.. quand j’leur demande
pourquoi ils s’y mettent pas eux.. i m’disent.. parc’que personne le parle... (léger
rire) ..donc.. évidemment.. c’est n.c’est tout à fait
contradictoire.. j’leur dis ça.. et i m’disent.. i savent pas trop quoi
répondre.... ça en reste là bien souvent..
D’ailleurs, on trouve un constat similaire dans les
propos d’Adélaïde et de Gabrielle, qui toutefois se montrent plus
compréhensives sur le fait que ces personnes-là n’apprennent pas la
langue :
A40- [...]
des gens assez ouverts ..et:: qui trouvent que l’espéranto doit.. bla dans l’ensemble ..qui trouvent que l’espéranto c’est une bonne idée...
que ce serait bien si tout l’monde le parlait.. mais qui ressentent pas la
nécessité de l’apprendre [...]
G84- [j’ai
beaucoup d’amis] ..qui sont favorables.. à l’espéranto... mais qui n’y
viennent pas... sauf qu’ils n’ont pas le temps.. ou:.... voilà...
Il s’agit ici en quelque sorte d’un stéréotype plutôt
négatif collé à la population extérieure à l’espéranto, désignée comme celle
qui se contenterait d’approuver sans faire davantage d’efforts.
Un
autre stéréotype encore plus négatif de la population extérieure à l’espéranto
est celui des personnes qui jugent l’espéranto : ceux-ci parlent souvent
sans connaître le sujet (« A40 : ils savent pas c’que c’est »,
« T280 : on s’rend qu’en fait euh.. il sait même pas c’que
c’est »), ils se basent sur l’ouï-dire (« A40 : je t’rouve
qu’y’en a quand même pas mal qui ont des a priori », « T280 :
ils ont tellement entendu dire [...] »), leur réaction est souvent
épidermique (« T278 : c’est....
Pagny... qui euh... quand il entend le:.. l.le terme
d’espéranto... mais alors.. aussitôt.. grande gueule hein... euh:: démarre très vite et euh.. dit beaucoup
d’mal de::... mais alors.. et.. enfin.. j’veux dire euh.. casse la conversation pour placer.. sa
tirade... »). Les jugements portés sont souvent des comparaisons
péjoratives (« A40 : ils pensent que c’est soit c’est une secte ..que
c’est une danse ..que c’est... un peu tout et n’importe quoi on va dire.... », « T274 : la comparaison...
d’l’espéranto avec le volapük »), certains de ces jugements sont assez
catégoriques (« A36 : c’est nul.. faut pas faire », « T280 : c’est con
[...] ils vont te dire.. mais c’est complètement con.. mais c.c’est n’importe
quoi.. c’est une langue artificielle..») et vont même souvent jusqu’à renier
l’existence de la langue en tant que langue vivante (« F48 :
ah ! c’est cette langue qu’a pas marché ! », « F56 :
ah ! mais ça a pas marché ! ..souvent j’entends.. ah c’est dommage
que ça ait pas marché ! », « A40 : ah tiens ! y’a
encore des gens qui le parlent.... », « M114 : personne le
parle », « T280 : c’est un échec »). Toutefois, les
différents informateurs relativisent ces avis extérieurs :
F48- [...]
pas forcément positif [...]
F54- j’en
n’ai jamais vraiment eu des réactions négatives...
A36- [...]
disons qu’y’a pas eu d’réaction totalement négative [...]
G64- oui...
oui oui... certains étaient favorables.. d’autres moins... m’enfin.. en
général.. oui:[...]
G78- oh:..
c’est variable.. hein... certains.. trouvent que l’idée est ..très bonne...
d’autres.. pensent.. que c’est:.. (soupir) ..que c’est.. chimérique...
enfin bon.. les avis sont:.. sont partagés.... c’est très d.. c’est très
divers..
Ensuite, il s’agit de réagir à ces jugements portés
sur l’espéranto : Thierry fait allusion à des arguments traditionnels
(« T280 : si t’arrives euh:::.. à te faire entendre.. et puis à dire
euh... qu.quelques éléments d’base euh:::... un p’tit peu traditionnels... »,
« T282 : je sais seulement qu’j’ai les arguments.. quoi.. »).
Néanmoins, les propos de Flavie donnent l’impression que le fait d’expliquer ce
qu’est l’espéranto est perçu presque comme une corvée, car elle emploie
l’expression « alors fallait expliquer » (F48), comme si, par ce
biais-là, il s’agissait à chaque fois de justifier son identité.
Dans
les entretiens, on peut repérer plusieurs marques de l’altérité au sein de la
communauté. À plusieurs reprises, des personnes de la même communauté
linguistique sont indiquées comme autres :
A48- je
r’sens ça comme un microcosmos... c’est-à-dire dans l’sens où:.. c’est un monde
que re.. qui s’retrouve dans l’espéranto.. c’est-à-dire qu’y’aura des tout..
tous genres de personnes... y’aura des gens qu’auront envie que d’faire la
fête.. d’aut’ qui auront envie d’apprendre des choses sérieuses...
vraiment ouais.. un peu de tout quoi [...]
A54- par
rapport aux associations.. j’ai un parcours qu’est un petit peu atypique..
on va dire.. par rapport par
exemp’ dans Espéranto-Jeunes ..la
plupart des gens [...]
G38- [...]
il a fait appel aux espérantistes euh:: ..enseignants ...et puis après aux
autres [...]
G112- [...]
le suffixe -iste [...] leur fait penser.. à d’autres -istes et [...] ça les:
gêne un peu [...]
T90- y’avait
lui... le reste euh.. y’avait des gens qui [...]
T190- [...]
elle.. c’est un choix euh::::.. volontaire [...]
T324- [...]
on m’a convaincu que::.. c’était pas une.. c’était pas.. quelque chose qu’il
fallait que j’renie... enfin.. on m’a convaincu.. c’est-à-dire qu’on m’a mis dans des situations où j’me suis dis
[...]
À aucun moment, on ne précise qui est désigné par les
pronoms « leur », « les », « on » cités
ci-dessus. La différence est donc marquée entre les membres de la communauté
linguistique, indiquant par là même son hétérogénéité. On peut supposer qu’il
s’agit d’une réaction en opposition justement aux stéréotypes négatifs, qui ont
tendance à être étendus à toute la communauté, considérée souvent de
l’extérieur comme homogène.
Une
autre manière de réagir aux stéréotypes négatifs est de présenter un stéréotype
positif. Gabrielle mentionne plusieurs fois l’idée d’ouverture et de
sympathie :
G88- ben
g.. en général.. ce sont des gens:.. sympathiques.. ce sont des gens qui sont
ouverts.. qui sont.. très ouverts.. sur le monde [...]
G102- [...] je
les trouve sympathiques [...]
G110-
[...] l’espéranto [...] ça va dans le sens.. ça va dans le sens euh..
d’une vie.. meilleure... d’une vie.. euh:.. de plus de:... d’une
vie plus ouverte.. un
peu plus sur le monde... [..]
l’espéranto nous donne plus de facilités ..de communication [...]
On retrouve cette idée d’ouverture à propos des
personnes à qui l’on va parler de l’espéranto :
A40- disons
qu’moi d’abord j’vais répondre dans un premier temps par rapport aux amis qu’je
connais... qui sont des gens assez ouverts [...]
T230- en
général.. quand j’en parle.. c’est déjà.. à des gens qui peuvent y être
sensibles...
L’accent est également mis sur la découverte des
autres cultures et sur l’envie de connaître des points de vue différents :
A48- [...]
mais c’est vrai qu’j’aime aussi parler: ..par exemple euh: ..récemment hier
j’ai parlé avec un Norvégien.. i m’a raconté un peu c’qu’i f’sait:.. comment i
voyait la vie et tout ça quoi...
G86- [...]
que c’est quand même intéressant: de pouvoir communiquer avec euh.. des gens
de:.. tous les:.. de tous les continents.... quand on va à des.. congrès..
comme... comxx à Göteborg [gøtøbɔrg] ..eh
bien.. on rencontre des gens de soixante.. soixante-cinq euh... nationalités...
y’a pas seulement qu’des Européens.. je.j’ai parlé avec
une Américaine.. j’ai parlé avec des Chinois.. et des Japonais... c’est très..
c’est quand même intéressant de pouvoir.. de pouvoir échanger avec.. avec des
gens de:.. de tous les:.. continents ..et sur des sujets.. très divers [...]
T258- [...]
cette envie.. de:: savoir comment vit l’autre.. de s’y.. de s’intéresser à sa.. à sa culture.. //
T286- [...]
ceux qui vraiment.. ont envie d’savoir c’que vivent.. les autres gens à l’autre
bout [...]
À toutes ces notions, Thierry opposent celles des
« nationalismes » (T250), des « enjeux économiques » (T250)
et du « racisme » (T258), qu’il considère comme incompatibles avec la
langue espéranto. Adélaïde désigne d’ailleurs l’espéranto comme « une
langue de l’amitié » (A42). La langue semble se prêter également à la
rencontre (« G52 : c’est la rencontre avec cet espérantiste suédois..
qui m’a: ...encore plus motivée... », « T64 : nous aussi euh..
on veut parler espéranto.. parc’que ..d’abord.. on rencontrait pas mal de
gens », « T288 : ils
ont la possibilité.. s’i veulent... y’a le::.. le p’tit livre d’adresse.. là...
qui permet... de rencontrer des gens.. qui::... qui sont
espérantistes.. »).
Enfin, on remarque chez
certains de nos informateurs un vif intérêt pour les langues, ce qui indique
encore une marque d’ouverture. Cet intérêt se manifeste entre autres par un
regret de ne pas avoir pu en apprendre davantage (« G18 : comme je
faisais du latin.. je n’ai pas pu apprendre euh::... j’ai pas pu faire de
l’allemand.. », « T28 : quand à l’allemand.. euh non.. j’ai un
peu moins.. m’est arrivé d’écouter du Wagner.. quand même (sourire)..
mais euh... voilà.. j’ai laissé tomber
l’allemand.. », « T210 : ceci dit.. j’aime beaucoup.. j’aime
beaucoup les langues euh.. même si euh:... euh j’ai dit tout à l’heure que j’ai
appris.. l’allemand que pendant deux ans.. ») et un fort attachement aux
connaissances déjà acquises (« T350 : tout ça me:.. me donne une certaine
disposition.. euh:.. une certaine compréhension du.. comment sont construites
les langues.. et ça euh.. j’y tiens
beaucoup.... »). À ce propos, Thierry parle d’une « culture de
langues » (T354), et il met l’espéranto au même niveau que les autres langues
(même si cela n’est pas toujours le cas pour les autres informateurs). Ainsi,
on voit se dessiner un stéréotype positif de l’usager de l’espéranto comme
quelqu’un d’ouvert aux autres cultures, aux langues et aux points de vue
nouveaux, avec une certaine disposition à la rencontre.
Par
ailleurs, certaines autres remarques de nos informateurs peuvent laisser
apparaître des stéréotypes plus ambigus. Michaël, par exemple, nous décrit la
façon dont les locuteurs de l’espéranto sont perçus de l’extérieur :
M116- ben
j’ai l’impression qu’i sont::.. qu’i sont perçus un peu comme des marginaux...
plus ou moins.... mais.mais pas::.. comme.plutôt comme des gens intéressants...
mais euh:.. des ex.. peut-être des exemples à suivre.. mais qui sont
malheureusement jamais suivis... donc euh...
Dans sa remarque, le terme de « marginaux »
peut, dans un premier temps, être compris comme un stéréotype négatif. Mais
Michaël donne ensuite un sens positif à cette dénomination : selon lui,
ces « marginaux » sont en quelque sorte des modèles, mais il déplore
le fait que ces modèles ne soient pas suivis. Thierry, quant à lui, qualifie la
communauté liée à l’espéranto comme « une élite » ou « un club
de passionnés » (T294) ; ces dénominations ont ici une valeur plutôt
péjorative. Parfois, c’est au sein même des discours endogènes que l’espéranto
est rattaché à d’autres courants d’idées ou à d’autres catégories sociales.
Gabrielle rapproche le mouvement de l’espéranto à celui des citoyens du monde
(« G88 : moi je suis citoyenne
du monde.. alors je pense que ça.. ça va bien:.. ça va bien ensemble...»),
tandis que Thierry le perçoit comme proche du mouvement anti-mondialiste
(« T338 : qu’est un peu.. très proche de l’anti-mondialisme »).
Thierry insiste surtout sur le fait que, d’après lui, l’espéranto est lié en
quelque sorte à une époque donnée, qu’il associe au stéréotype du
« peace’n love » (T250-T258), ainsi qu’à celui des
« hippies » et des « soixante-huitards » (T266). Et il
explique que, cette époque étant définitivement révolue, c’est pour cela que
les idées qui y étaient rattachées sont également raillées de nos jours (T258).
Il associe donc l’espéranto, qu’il qualifie de « grande idée
communautaire » (T268), à un problème de société plus général.
Deux
de nos questions touchaient aux motivations qui avaient amené nos informateurs
à apprendre l’espéranto et à celles qui les avaient amenés à continuer ou non.
L’analyse de ces motivations peut nous renseigner sur la façon dont les sujets
s’identifient à la langue. Tout d’abord, regardons comment les dénominations espérantiste
et espérantophone sont comprises par les informateurs. D’une part,
Adélaïde considére les deux dénominations comme des synonymes, elle les place à
un même niveau (« A60 : j’emploie les deux.. espérantiste
espérantophone », « A70 : que les gens disent espérantiste
espérantophone ça m’choque pas tellement... »).
Pour elle, l’apparition de la nouvelle dénomination espérantophone, et
cette évolution diachronique dans l’usage de cette dénomination, est juste due
au fait que espérantophone est à ses yeux une traduction « plus
exacte » du terme esperantisto (A70) : selon elle, quelle que
soit la dénomination, le référent reste le même. Elle neutralise le conflit de
dénominations par la phrase : « personnellement c’est que des
mots » (A64).
D’autre part, Gabrielle et Thierry, quant
à eux, perçoivent les deux dénominations comme ayant des sens bien distincts.
Gabrielle définit la dénomination espérantophone ainsi :
G112- [...]
ce.celui qui est espérantophone [esperɑ̃tofon].. il parle espéranto... mais.. il n’a pas
forcément.. l’idéal.. qu’é::... qu’était celui de:.. Zamenhof.. le:: fondateur
d’espéranto... on peut parler espéranto.. pour faire du commerce.. ou
pour faire.. je sais pas.. un..
Même Thierry, qui n’avait pourtant jamais entendu le
terme espérantophone auparavant (T356), le comprend immédiatement :
il l’analyse de façon comparative (« T358 : j’vais l’comparer à
francophone », « T368 : j’le compare à francophone.. à
anglophone... et puis à:.. pas à saxophone..
non non.. ») et lui donne une définition similaire à
celle de Gabrielle :
T358- [...]
c’est-à-dire quelqu’un.. qui:... oui.. qui utilise l’espéranto.. oui... qui sait l’utiliser.. qui sait l’parler.. qui sait l.. l’entendre //
T364- [...]
à la limite.. je dirai qu’e:::.. espérantophone.. c’est juste euh quelqu’un
qui::.. connaît la langue.. mais qui n’a pas cette //
T372- [...]
on peut être espérantophone.. c’est-à-dire.. avoir euh:.. pris la méthode ASSIMIL
euh::... avoir euh: appris.. et pis savoir prononcer.. et pis savoir
comprendre.. et cetera... tout en étant dans son coin... de.. n’avoir jamais
cherché à rencontrer un Allemand.. pour lui parler espéranto [...]
Par opposition à cela, il donne une définition
distincte de la dénomination espérantiste :
T336- euh::...
si.si j’devais dire espérantiste... euh::... c’est
quelqu’un.. qui ...d’une part.. en a suffisamment appris... et d’autre part.. a
cet état d’esprit.. de.. euh::... de fraternité... euh.. avec... euh.. le.la
langue.. euh: espéranto.. [...]
T364- [...]
espérantiste.. c’est quelqu’un qu’a l’idéal espéranto [...]
T372- [...]
c’est quelqu’un.. qui: se sent.. membre.. quand même.. d’un::.. d’un groupe...
[...] l’espérantiste.. [...] vit un peu pour l’espéranto... comme on peut vivre
pour la religion [...]
Il y a donc une « différence » entre les
deux référents désignés par ces dénominations, comme le précise Gabrielle
(G114). Néanmoins, Gabrielle se dit prête à se « rallier à ceux qui préfèrent
[...] espérantophone », qui est perçu par le public extérieur comme une
dénomination méliorative, même si, selon elle, cette dénomination ne recouvre
pas exactement la même réalité.
Par
ailleurs, on remarquera que lorsqu’il s’agit d’espérantiste, on évoque
souvent la notion d’idéal commun. Dans l’entretien avec Michaël, celui-ci nous
parle à plusieurs reprises d’« idéologie » (M70, M80, M84, M122,
M132, M146). Il distingue ce qu’il appelle l’« idéologie interne » de
l’espéranto, qu’il rattache aux notions de « paix » et de
« fraternité », des buts de l’association SAT, qui sont dans la continuité de cette « interna
ideo », mais qui s’appliquent davantage au monde moderne (M144-M150). Le
terme de « fraternité » est d’ailleurs fréquemment mentionné dans les
propos de Thierry (T258, T266, T268, T336), qui parle également de
« communion entre les peuples » (T256). Cet idéal évoqué est souvent
rattaché à Zamenhof, l’initiateur de l’espéranto :
M146- [...]
on parle d’idéologie interne... parce que c’est:.. évidemment.. Zamenhof qui
l’a conçu.. il avait une idée derrière la tête.. donc euh..
G112- [...]
espérantophones... ce
n’est.. ça n’indique pas.. l’idéal de
Zamenhof... ce.celui qui est espérantophone [esperɑ̃tofon].. il parle espéranto... mais.. il n’a pas
forcément.. l’idéal.. qu’é::... qu’était celui de:.. Zamenhof.. le:: fondateur
d’espéranto [...]
T256- [...]
mais ça.. je:.. je pense que c’était très... c’était très.. très dans l’esprit
d’Zamenhof.. hein.. il avait ça [...]
Mais si espérantiste
et espérantophone sont envisagés comme des identités distinctes, il ne
s’agit pas pour autant d’identités exclusives. Ces identités peuvent se
superposer, car elles interviennent à des niveaux différents, comme c’est le
cas pour Gabrielle :
S115- et
toi.. tu t’considères comment... ?
G116- ah
bé.. à la fois espérantiste.. et à la fois espérantophone [....]
D’un autre côté, ces identités ne sont pas
nécessairement complémentaires comme nous le fait comprendre G.R. Ledon dans sa
brochure :
En nia Esperanto-movado ni tro ofte
renkontas "esperantistojn" (fanatikaj dogmemuloj) kiuj eĉ ne
balbutas la Zamenhofan lingvon, aliflanke ekzistas kelkaj Esperanto-parolantoj,
kiuj ne povas akcepti, ke oni nomu ilin esperantistoj ĉar ili ne havas
specifan "internan ideon", ne kongruas al iu mistika homaranismo aŭ
io simila.
[*Dans notre mouvement espéranto
nous rencontrons trop souvent des "espérantistes" (des dogmatistes
fanatiques) qui ne balbutient même pas la langue de Zamenhof, d’un autre côté,
il existe quelques espérantophones [espéranto-parlant] qui ne peuvent accepter
qu’on les nomme espérantistes car ils n’ont pas d’"idée interne"
spécifique, ils ne correspondent pas à un certain homaranisme[34] [membre de l’humanité – isme]
mystique ou quelque chose de similaire.]
(Ledon, 1996 : 13)
Pourtant, cette non-complémentarité n’est pas
toujours perçue de la même façon dans les deux sens. Ainsi, Gabrielle et
Thierry s’accordent à dire que l’on peut être espérantophone sans être
pour autant espérantiste, c’est-à-dire sans partager l’idéal commun que
nous avons déjà évoqué :
G112- [...]
ce.celui qui est espérantophone [esperɑ̃tofon].. il parle espéranto... mais.. il n’a pas
forcément.. l’idéal [...]
S377- //
donc on peut être espérantophone.. sans être espérantiste.. ? mais est-ce
//
T378- //
ah oui.. complètement...
Pour Thierry, cependant, la
situation inverse n’est pas tout à fait possible :
S379- mais
est-ce que l’inverse est xxx... ? être espérantiste.. sans être...
T380- sans
être.. euh... ?
S381- espérantophone...
T382- du
tout.. du tout.. du tout.. ? non.. on peut pas...
Selon lui, l’identité espérantiste présuppose
quand même une certaine compétence linguistique (« un minimum de vocabulaire »),
en plus de ce qu’il appelle « l’esprit espérantiste » (T386).
Dorénavant,
si nous nous basons sur les définitions proposées par Gabrielle et Thierry d’espérantophone,
en tant que locuteur potentiel, et d’espérantiste, en tant que défenseur
d’un certain idéal, nous pouvons essayer d’analyser les motivations des
informateurs et voir à quelle dénomination correspond chaque motivation. De
façon schématique, nous distinguerons 3 types de motivations à l’apprentissage
de l’espéranto.
Pour
Jean-Pierre Van Deth, l’espéranto est, comme pour toute autre langue, un outil
d’identification :
Mais s’il est vrai qu’une langue est
d’abord outil d’identification avant d’être outil de communication, alors
l’espéranto, parce qu’il existe, est aussi désignation d’une certaine façon
d’être au monde. La preuve ultime de ce que j’avance est dans le fait qu’il
existe réellement, à la mesure même de l’existence réelle de l’espéranto, une
communauté espérantiste. Qu’ils séduisent ou qu’ils agacent, les espérantistes
semblent avoir en commun un idéal, une certaine vision de l’homme, optimiste au
demeurant, comme le dit le nom qu’ils ont choisi et, parce qu’ils sont encore –
relativement – peu nombreux, un esprit militant, une sensibilité souvent vive.
(Van Deth, 1983 : 27-28)
Dans cette remarque, Van Deth semble rattacher la
dénomination espérantiste à une identité d’appartenance à une
communauté, comme le ressent également Thierry : « [espérantiste]
c’est quelqu’un.. qui: se sent.. membre.. quand même.. d’un::.. d’un
groupe » (T372). Tandis que espérantophone semble davantage être
compris comme une dénomination descriptive d’une compétence, il s’agit
seulement d’une identité linguistique de locuteur (« T364 :
espérantophone.. c’est juste euh quelqu’un qui::.. connaît la langue »).
Dans les divers entretiens de notre
corpus, les informateurs nous indiquent une identification plus ou moins forte
par rapport à la langue espéranto d’une manière générale. On peut remarquer que
la plupart d’entre eux témoignent un attachement assez fort à l’espéranto.
Flavie et Adélaïde le considèrent comme une partie intégrante de leur vie
(« F28 : ça fait partie.. intégrante de ma vie quoi »,
« F46 : enfin ça fait partie intégrante de ma vie »,
« A16 : pour moi c’est:: ...c’est que’qu’chose qu’a toujours existé
en fait.. », « A18 : qui fait partie de moi comme le
français ») ; il s’agit donc d’un des aspects de leur identité
globale. L’idée de l’espéranto comme partie intégrante d’une identité multiple
se retrouve d’autant plus chez Michaël, par le fait qu’il possède deux prénoms
distincts (« M6 : ce sont mes deux prénoms officiels... Vito c’est
mon deuxième prénom espérantiste »). D’ailleurs, on voit que pour Michaël
l’espéranto est un sujet qui lui tient à coeur lorsqu’il en parle autour de
lui : « c’qui m’é:.. c’qui me:.. me.à chaque fois que:.. que j’en
parle c’qui m’étonne le plus [...] », il y a une forte identification au
sujet chez lui. Flavie parle plus directement de « rapport affectif »
à la langue (F34, F56). Gabrielle, quant à elle, voit dans l’espéranto une
identité complémentaire qui n’est pas indispensable mais qui donne un atout
supplémentaire par rapport aux autres personnes : « d’autres.. mais je c.. je con.. x’autres qui sont
pas espérantistes aussi.. vont dans.. dans le même sens... mais quand même..
l’espéranto nous donne plus de facilités ..de communication.... » (G110).
Remarquons toutefois qu’il y avait déjà chez elle une forte attente vis-à-vis
de l’espéranto, lorsqu’elle raconte à propos de sa découverte de
l’espéranto : « nous devrions tous parler la même langue... et mon
père me répond.. il y’a l’espéranto ! ...mais.. il n’en savait pas
beaucoup plus.... alors.. je suis restée sur ma faim... » (G26).
Thierry,
contrairement aux autres informateurs, n’a cessé de marquer ses distances par
rapport à l’espéranto et à son utilisation effective :
T282- je::..
c’est pas mon combat l’espéranto.. alors j’réagis euh::... calmement.. quoi...
je::....c.. j’me sens.. j’me sens pas plus concerné qu’ça
[...]
T312- mais
euh::... faire le tour du monde en stop.. c:.c’était pas mon truc... euh::...
T316- [...]
ça m’a tenté.. mais ç’aurait pas:.. euh.. ç’aurait pas
été utiliser ..l’espéranto dans mes activités.. [...] mais ç’aurait été.. [...]
d’abord pour me.. pour m’essayer.. à la: rédaction.. de.. d’un texte euh:...
qui essaye de::.. au maximum.. de réunir toutes les informations [...]
T318- [...]
pas pour communiquer avec des gens qui s’intéressent euh.. aux même sujets
qu’moi... et qui ont euh::.. en commun avec moi.. le.. la langue.. espéranto...
T324- [...]
c’est pas mon combat euh:.. l’espéranto... c’est pas mon:..... est pas ma passion.. c’est
pas.....
Il met l’accent sur le fait que son apprentissage de
l’espéranto n’était « pas par choix » (T30), se démarquant ainsi des
autres locuteurs de l’espéranto (« T190 : elle.. c’est un choix
euh::::.. volontaire.. »). Enfin, Thierry précise que ses usages
occasionnels de l’espéranto ont chaque fois été dus à des concours de
circonstances, et non à un choix délibéré (T144, T186, T200). Thierry n’est pas
le seul à avoir eu une prise de distance avec l’espéranto : Flavie nous
mentionne qu’elle a eu un décrochage à l’adolescence (« F60 : ben y’a
eu un moment en fait où j’ai décroché... c’est entre::: ..quatorze ..quinze
..et dix-huit ans... [...] à cette période-là ..l’adolescence.. bon y’a un
espèce de ..de recul euh ..qui se fait... »), ce fut également le cas pour
Adélaïde (« A34 : ben d’nonante-trois à nonante-huit euh j’ai passé
cinq ans euh.. sans parler espéranto... »). Mais chez Thierry, ce
décrochage a été définitif :
T324- non...
esp.. espéranto.. à un moment donné.. j’ai dis non.. j’veux pas...
S167- [...]
quelle est la place euh::.. d’l’espéranto pour toi dans la vie ..d’tous les
jours..... ? au.aujourd’hui //
T168- de.de
tous les jours.. ?
S169- oui
T170- aucune....
[...]
Néanmoins, Flavie et Thierry s’accordent à dire
qu’ils ne rejettent pas cet aspect de leur identité (« F62 : j.j’avais
pas du tout de rejet par rapport à ça », « T228 : j’en
ai pas honte »), qu’ils ne le regrettent pas (« F62 : chuis
contente de l’avoir fait », « T324 : j’vais pas renier...
chuis content d’l’avoir appris.. j’vais conserver c’que j’ai.... euh... pas
activement », « T344 : [...] r’grette pas »,
« T346 : et ça.. j’regrette pas non plus euh::... j’aime
bien »), même si, pour Thierry, cet aspect-là appartient désormais à son
passé.
Bien
que parmi nos informateurs aucun n’ait eu l’espéranto comme véritable première
langue parlée, trois d’entre eux la qualifient de langue maternelle.
Ainsi, Flavie, qui commence par préciser qu’elle est « une fausse
espérantiste de naissance » (F6), précisera plus loin que
« l’espéranto c’est euh.. c’est une l’au.. une autre langue maternelle
quand même quelque part.. » (F36) ; on retrouve là l’idée de
l’identité à multiples facettes. Adélaïde compare son apprentissage de
l’espéranto à celui d’une langue maternelle (« A24 : ils nous ont
appris l’espéranto comme on apprend à un
enfant sa langue maternelle »), même si cet apprentissage a eu lieu à un
âge bien plus avancé. Il n’empêche que son lapsus au début de l’entretien
(« A8 : donc ma langue maternelle.. c’est l’espéranto.... euh pardon (fort
rire de la part des deux) ...non ma langue maternelle c’est l’français.. »)
est, d’une certaine manière, révélateur du rapport privilégié qu’elle
entretient avec l’espéranto. Michaël, quant à lui, place l’espéranto parmi ses
langues maternelles (M10), mais ajoute tout de suite après que
« l’espéranto.. j’ai connai.j’ai
commencé à l’parler.. que très tardivement... » (M12). Sur un plan
psycholinguistique, on peut remarquer que, pour aucun des trois informateurs,
l’espéranto n’est la langue de référence[36], qui est pour eux le français. On ne peut pas non
plus considérer l’espéranto comme leur parler vernaculaire. S’ils
considèrent l’espéranto comme une langue maternelle, c’est qu’il s’agit
là de leur langue d’appartenance ; c’est une marque d’appartenance
à la communauté linguistique de l’espéranto.
On
voit donc que l’approche de l’espéranto est très marquée par tout ce qui touche
à l’affectif. Une explication possible à cela est que, chez tous les
informateurs interrogés, on note une présence de l’influence parentale[37]. Chez Flavie, cette influence reste plutôt discrète
(« F8 : l’espéranto on le parlait que: ..dans les congrès ou euh:
avec les amis euh::: ..de mes parents... », « F60 : jusqu’à
maint’nant c’était que: ..les fami:lles ..tout ça mes parents.. même si.. les
enfants d’mes parents [...] »). Pour Adélaïde, l’influence parentale
semble avoir davantage marqué son apprentissage de l’espéranto
(« A24 : ils ont parlé un p’tit peu s.surtout mon père.. ils ont
parlé un p’tit peu avec nous... [...] s’posait pas vraiment la question euh:..
pourquoi on l’fait ? ...on l’faisait parce que les parents m... voilà..
comme on va en colonie d’vacances parc’que les parents nous y inscrivent.. des
choses comme ça.. »). En ce qui concerne Michaël, il s’agit tout d’abord
de l’attribution du deuxième prénom (« M2 : Vito de mon prénom
espérantiste.. que m’a donné ma mère »). Par ailleurs, chez lui,
l’espéranto est la langue parentale (« M60 : euh mes parents..
entre eux.. parlent espéranto ») et l’activité associative semble se
faire en famille (« M132 : j’adhère à SAT [sɑt] comme:.. pas mal de membres de ma.. membres de ma
famille »). Gabrielle fait référence à son père, qui lui a parlé pour la
première fois de l’espéranto (G26). Dans l’entretien avec Gretel, celle-ci nous
confiait qu’elle ne parlait espéranto avec son frère que « quand mon père
voudrait qu’on l’fasse » ; l’espéranto est ici perçu presque comme
une obligation émanant du père. Enfin, dans le cas de Thierry, l’espéranto est
à la base la langue secrète des parents (T48). Chez les autres enfants qui
apprenaient l’espéranto avec Thierry, on retrouve également l’influence de la
famille (« T78 : des gens dont les parents étaient déjà espérantistes »,
« T108 : mais.. euh: le père était aussi espérantiste.. donc c’était
pas::... euh.. une grande nouveauté... son oncle était aussi espérantiste..
donc c’était pas pour lui une nouveauté »). Cette influence est telle que
Thierry reproduira par la suite le modèle parental avec sa compagne
(« T136 : on l’a utilisé nous en couple:.. aussi.. on a beaucoup parlé espéranto pour cacher aux
enfants ouais ») ; de ce fait, l’espéranto est perçu par lui comme la
langue des grands, la langue des adultes (« T138 : maint’nant on est
grand (coup sur la table).. c’est nous qui parlons espéranto »).
À ce
propos, l’âge semble également avoir une certaine influence sur
l’identification à la langue. D’une part, la prise de conscience semble venir à
un certain âge, comme Michaël le laisse entendre lorsqu’il parle de sa
soeur : « j’pense qu’elle y viendra quand elle s’ra un peu plus.. âgée.. » (M84). Ensuite, les jeunes semblent avoir
« un autre état d’esprit » (T304) que les générations plus âgées, ce
que sous-entend également Flavie (F60). Enfin, l’arrivée à un âge avancé semble
souvent limiter la capacité d’activité, comme le dit Thierry à propos de son
père (« T250 : mon père aussi a vieilli.. il est moins
actif.. ») ou Gabrielle à propos d’elle-même (« G68 : maintenant..
que je suis âgée.. que j’peux pas faire... grand’chose »,
« G106 : bon.. j’pense qu’à mon âge.. maintenant ...je me contente
..d’enseigner l’espéranto.. pour que l’espéranto continue »). On trouve
ici, par l’allusion à l’enseignement, l’idée de la transmission d’une langue,
et peut-être aussi d’une identité (« G106 : je vois.. quand même..
quelques élèves.. là... qui::.. qui pourront prendre la suite... »,
« T250 : y’a personne qui a pris le flambeau d’mon père »).
Si
l’on examine l’usage que les informateurs font des dénominations étudiées,
avant que celles-ci ne soient introduites expressément dans les entretiens, on
peut observer comment les informateurs s’identifient spontanément à ces
dénominations.
Avant les questions finales, Adélaïde
n’emploie qu’une seule fois la dénomination espérantophone et n’emploie
pas du tout celle d’espérantiste. Mais à ses yeux, comme elle nous le
précise à la fin justement, il ne s’agit que d’un changement de dénomination
pour un même référent (A70) : il n’y a donc pas vraiment de changement
d’identité (qui, pour elle, est une identité de locuteur), mais juste un
changement dans la manière de s’y identifier.
Michaël, quant à lui, emploie
exclusivement la dénomination espérantiste. Le stéréotype de militant
idéaliste, qui est souvent accolé à cette identité, ne semble pas le gêner car
il assume cette identité ; même si, paradoxalement, il dit ne concevoir la
langue espéranto que comme « un outil » (M120).
Gabrielle, avant nos questions sur le
sujet, emploie exclusivement, elle aussi, la dénomination espérantiste.
Et elle revendique cette identité lorsque nous l’interrogeons à ce sujet
(G116). Toutefois, elle se considère également comme espérantophone, car
elle place cette dénomination sur un autre plan que celle d’espérantiste.
Thierry ne connaissait absolument pas la
dénomination espérantophone avant notre entretien, il ne pouvait donc
employer que celle d’espérantiste. Mais, comme nous l’avons déjà vu
précédemment, on sent au cours de l’entretien qu’il ne s’identifie absolument
pas à cette dénomination, et même qu’il la rejette de façon catégorique quand
nous l’interrogeons à ce sujet : « j’me considère pas comme
espérantiste » (T334). Ainsi, lorsque nous lui présentons la dénomination espérantophone,
il semble davantage s’y identifier (« S363 : tu t’qualifierais pas non plus.. comme espérantophone... ? – T364 : oui.... un peu plus.. ouais... »), même s’il
ne s’agit pas d’une identification absolue.
De ce fait, la seule personne à osciller entre
les deux dénominations sans que nous ayons à l’interroger à ce sujet est
Flavie. Il n’y a pas d’identification à une dénomination précise : tantôt
elle parlera d’« espérantiste de naissance » (F6), tantôt elle
utilisera l’expression « espérantophones de naissance » (F60).
Néanmoins, on peut remarquer qu’elle n’emploie la dénomination espérantiste
que deux fois au début de l’entretien, et cela dès sa première réponse (F2),
tandis qu’elle emploie espérantophone pendant tout le reste de
l’entretien. Faut-il y voir une identification à la dénomination espérantiste
qu’elle utilise tout à fait spontanément au début de l’entretien ? Le
changement de dénomination par la suite serait alors la marque d’un
ressaisissement, dû au contexte de cet entretien susceptible d’être divulgué
auprès d’un public extérieur.
En
fin de compte, nous avons pu remarquer, dans ces cinq entretiens, que les
positionnements par rapport à la langue, et de ce fait aux dénominations des
individus qui s’y rattachent, sont très hétérogènes. Cela est bien la marque
d’une problématique explicite. Mais peut-être l’hétérogénéité de ces quelques
points de vue indique également le caractère fondamental de la communauté
étudiée, c’est-à-dire une communauté très variée et changeante.
Dans
notre enquête, nous nous sommes efforcé de montrer quels étaient les enjeux
sous-jacents aux différentes dénominations servant à désigner la population
liée d’une manière ou d’une autre à la langue espéranto.
Le terme espérantiste a longtemps
été (et reste toujours) investi de plusieurs programmes de sens, notamment
celui de locuteur de la langue espéranto ainsi que celui de défenseur de cette
langue. Cette polysémie est sans doute due au fait qu’à l’origine, on
considérait ces deux notions de locuteur et de défenseur comme nécessairement
liées. Or, nous avons pu constater qu’à présent, cela n’est plus le cas. Un
changement (ou du moins, une évolution) de la population concernée s’est
produit depuis.
De ce fait, avec la prise de conscience
de cette polysémie et dans ce contexte d’une réalité en profonde évolution, une
nouvelle dénomination est apparue, celle d’espérantophone. Cette
dénomination a été créée pour différencier et définir avec plus de précision
l’un des deux programmes de sens de la dénomination espérantiste, celui
de locuteur de la langue. La mise en place de ces deux termes, aux sens a
priori distincts, est encore hésitante, aussi bien dans les discours endogènes
qu’exogènes. En effet, les champs sémantiques de ces dénominations ne sont pas
toujours bien délimités ou tout à fait connus, et il n’y a pas nécessairement
d’identification explicite à l’une ou à l’autre de ces dénominations.
Cependant, la dénomination espérantiste, avec l’apparition d’une
dénomination concurrente (bien que complémentaire à la base), a pris une
connotation négative dans les discours exogènes, ce qui provoque, forcément,
une réaction de la communauté désignée.
Ainsi, pour esquiver ce stéréotype
négatif, on observe une tendance récente qui consiste à remplacer
systématiquement, dans les documents d’information sur l’espéranto, la
dénomination espérantiste par celle d’espérantophone, considérée
comme « politiquement correcte ». En conséquence de quoi, la
dénomination espérantophone ne recouvre plus toujours la réalité
étymologique pour laquelle elle avait été initialement créée, un glissement de
sens euphémique s’étant opéré. Cette dénomination espérantophone se
trouve alors à son tour investie des deux programmes de sens que recouvrait
autrefois le terme espérantiste. Et, comme cela se produit fréquemment
en pareil cas, cette nouvelle polysémie du terme espérantophone n’est
pas toujours acceptée sans résistance.
Ce changement de dénomination peut
également s’expliquer par le fait que les générations actuelles ne se
reconnaissent plus tout à fait dans l’identité véhiculée par la dénomination espérantiste,
identité qui évoque un idéal attaché à une époque révolue. Or, comme le dit
Wijnands : « Avoir un nom, c’est s’approprier une identité. La perdre
ou la voir menacée, c’est se défaire de ce nom pour en chercher, ou plutôt,
pour en essayer un autre » (Wijnands, 1999 : 135). De ce
fait, l’apparition de la dénomination espérantophone pourrait être
l’indice révélateur d’une communauté indécise en quête d’une nouvelle identité.
Dans le cadre théorique de notre mémoire,
nous nous demandions si la dénomination espérantophone avait créé deux
identités distinctes ou si, au contraire, ces deux identités existaient déjà et
n’attendaient qu’une mise en mots. Comme nous l’avons vu dans la présente
étude, le terme espérantophone est probablement apparu à une époque où
les dénominations avec le suffixe -phone étaient en vogue. À partir de
là, les usagers s’en sont servis progressivement pour désigner une autre
réalité, réalité qu’ils ont dissociée de celle d’espérantiste.
Néanmoins, rien n’empêche de supposer que ces deux identités existaient déjà en
filigrane auparavant, mais qu’elles n’étaient pas encore exprimées par des
dénominations différentes (ainsi que le montre l’entretien avec Thierry :
ce dernier, à la base, n’avait pas à sa disposition la dénomination adéquate
pour désigner les locuteurs de l’espéranto non-espérantistes, qu’il
distinguait cependant de l’identité espérantiste à proprement parler).
Nous constatons donc que l’identité espérantiste
existe toujours, mais les nouvelles générations ont tendance à la considérer
comme démodée, aussi cherchent-ils à s’en démarquer au moyen de la dénomination
espérantophone. Cette autre identité espérantophone envisage la
langue avant tout comme un outil, et plus seulement comme un idéal à
poursuivre. L’évolution de ces identités, à travers un changement de
dénomination, est sans doute le reflet d’une évolution de la société actuelle
en général.
Ce travail voudrait contribuer à
expliquer comment s’effectue un processus de redénomination autour d’une
communauté relativement réduite en nombre, mais de nature hétérogène et très
disséminée géographiquement. Nous voulions par là même montrer quelles sont les
incidences de cette redénomination sur l’identité des membres de cette
communauté. Cette recherche permet aussi de mettre le doigt sur une
problématique qui n’est pas toujours perçue comme telle par les personnes
concernées.
Soulignons que ce travail n’a fait
qu’évoquer l’aspect sociolinguistique de la problématique. La question de
l’identification chez les locuteurs de naissance n’y a été abordée que
superficiellement. Il s’agit là d’un choix délibéré de notre part, et nous
restons conscient que l’appréhension de la langue espéranto comme langue
maternelle reste encore un domaine d’études porteur de multiples
interrogations, non seulement sur la langue espéranto elle-même, mais aussi sur
les conceptions actuelles relatives à l’acquisition du langage.
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par leur nom. Problématiques du nom, de la nomination et des
renominations » dans AKIN S. (dir.), Noms et renoms : la dénomination
des personnes, des populations, des langues et des territoires, PUR, Rouen,
pp. 13-31
SIKOSEK Z.M., 1999, Esperanto sen mitoj. Mensogoj kaj memtrompoj en la
esperanto-informado, FEL, Anvers, 311 p.
TIŠLJAR
Z., 1997, Esperanto vivos malgraŭ
la esperantistoj, Libro TIM, Zagreb, 177 p.
VAN DETH
J-P., 1983, « Point de vue de
non-espérantiste » dans Actes de la journée d’étude sur l’espéranto,
Université de Paris VIII-Vincennes, Saint-Denis, pp. 24-28
WARINGHIEN
G. (dir.), 2002, La Nova Plena
Ilustrita Vortaro de Esperanto, Sennacieca Asocio Tutmonda, Paris, 1268 p.
WIJNANDS
P., 1999, « Le rôle du
signifiant dans les appellatifs de peuples, de langues et de territoires chez
les francophones d’Amérique du Nord » dans AKIN S. (dir.), Noms et
renoms : la dénomination des personnes, des populations, des langues et des
territoires, PUR, Rouen, pp. 125-150
ZAMENHOF L.L., 1992, Fundamenta Krestomatio, 18ème éd., UEA, Rotterdam, 446 p.
2.3.
Présentation de la langue espéranto
2.3.1. D’un point de vue
historique et sociologique
2.3.2. D’un point de vue
interlinguistique
2.3.3. D’un point de vue
linguistique
3.1.2. Entretiens
semi-directifs
3.1.2.1. Justification de la technique de recueil de données
3.1.2.2. Choix des sujets et contexte des entretiens
3.1.2.3. Les questions
initiales de l’enquête
3.2.
Méthodologie d’analyse de discours
4.1. espérantiste / espérantophone dans les discours exogènes
4.1.2. Dans la presse, à
l’occasion d’un évènement spécifique
- Occurrences et usage
morphologique des deux dénominations
- Les autres dénominations
employées
- Les représentations sur la
langue espéranto
- Usage simultané des deux
dénominations
4.2. espérantiste / espérantophone dans les discours endogènes
4.2.1. À l’intention du public
extérieur
4.2.1.1. Dans des interviews
radiophoniques
4.2.1.2. Dans les documents
d’information
4.2.1.3. Dans des travaux
universitaires
4.2.2. Au sein de la
communauté linguistique
4.2.2.2. Analyse d’articles traitant
de la dénomination en espéranto
4.2.2.3. Analyse des
entretiens et processus d’identification
- Les occurrences des
dénominations espérantiste et espérantophone
- Motivations et dénominations
- L’identification à la langue
et aux dénominations
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du mémoire
Espérantistes et
espérantophones :
dénominations
d’identités sociolinguistiques en mutation
présenté par Sébastien Erhard
sous la direction de M. Salih Akin
octobre 2004
Sommaire des annexes
Annexe
II : Transcriptions d’interviews radiophoniques
II.1. Radio
France Internationale - « RFI-soir » - mardi 3 août 2004
II.2. Radio
Suisse Romande – « Chemins de Terre » - samedi 21 juin 2003
Annexe
III : Documents d’information sur l’espéranto
III.1. Premier
Manuel de la Langue Auxiliaire Esperanto
1939, Librairie Centrale Espérantiste, Paris
couv. I-IV ; pp. 1-3, 32
III.2. Premier
rendez-vous avec la langue internationale
ancienne
version, vers 1981, ESPERANTO-FRANCE
III.3. 1er
rendez-vous avec la langue internationale
nouvelle
version, vers 2000, Espéranto-France
III.4. Deuxième
rendez-vous avec la langue internationale
1981,
Union française pour l’espéranto
III.5. espéranto
...une approche de la langue internationale
1984, Union Française pour l’Espéranto, Paris
couv. I-IV ; pp. 1-7, 52-60 ; encart central 1-2
III.6. l’ESPERANTO
ça marche
1986,
UFE, Paris, 16 p.
III.7. ESPERANTO
le meilleur moyen le plus facile de pratiquer une langue Européenne
vers
1992, jeunEsperantO, Paris
III.8. Le
meilleur moyen de goûter aux langues étrangères
1995,
JES / JEFO
III.9. espéranto
mode d’emploi
1998,
UFE / JEFO, 16 p.
III.10. présentation
de la langue internationale espéranto
1999, Espéranto-France, 18 p.
Annexe
IV : Articles traitant de la dénomination en espéranto
IV.1. TRÉANTON G., 2003, « Espérantiste
ou Espérantophone ? »
dans BULTENO n°14, Espéranto-Bretagne, Saint-Brieuc, p.16
IV.2. PIRLOT G., 1990, « ESPERANTISTE
- ESPERANTOPHONE - ESPERANTOPHILE »
http://www.angelfire.com/ny2/ts/pirlot.html
Annexe
V : Transcriptions des entretiens
V.1. Entretien
1 (Flavie)
(non disponible dans la version électronique)
journaliste : Hervé Guillemot
invités : Ludivine Delnatte et Jerôme Mathieu
RFI en
espéranto, c'était de décembre 1947 à mars 1950, ce que rappelait d'ailleurs la
semaine dernière la série « Si RFI m'était conté ».
« Bonan tagon,
Esperanto. »
Alors j'ai deux
invités qui sont très intrigués, qui sourient à l'écoute de ce petit message.
C'était ce que nous diffusions entre 1947 et 1950 sur RFI. Nous sommes avec
Ludivine Delnatte du mouvement Espéranto-Jeunes en France et Jérôme Mathieu,
secrétaire de la Fédération Française d'Espéranto. Bonvenon ! ?
Jerôme Mathieu :
c'est ça !
RFI:c'est ce que disait l'annonce tout à
l'heure, Bonvenon à RFI... enfin, en espéranto
J.M.: oui,
oui !
RFI: c'est ça ! Alors, espéranto, dont le
Congrès Universel, 89ème du genre, vient de s'achever à Pékin. Près de deux
milliers de participants, dont une bonne moitié de Chinois. Jérôme Mathieu,
c'est presque paradoxal, c'est dans le pays dont la langue a le plus de
locuteurs dans le monde – 1,3 milliard – que l'espéranto semble-t-il est le plus
vivace, ou en tout cas a les plus ardents militants ?
J.M.: Comme
vous l'avez dit, la Chine est un grand pays, un quart de la population mondiale
presque ; donc c'est logique qu'il y ait beaucoup d'espérantophones en Chine.
Cette année, ils accueillent le congrès mondial d'espéranto, un des plus grands
rassemblements espérantophones. C'est aussi normal qu'ils soient représentés à
ce congrès
RFI: Mais c'est une longue
tradition, le lien entre l'espéranto et la Chine. Très tôt, il faut le
rappeler, l'espéranto, langue universelle, langue pour la paix des peuples,
créée en 1887 par...
J.M. :
Zamenhof, qui était un russe qui vivait à Bialystok, une ville aujourd'hui en
Pologne, quelqu'un qui était très sensible aux conflits ethniques qui étaient
nombreux dans cette ville et il pensait que si les gens pouvaient partager la
même langue, ils s'entendraient mieux et il y aurait moins de conflits.
RFI : Il crée donc une langue en s'appuyant sur l'origine
indo-européenne de l'essentiel des langues européennes, c'est ça ?
J.M.: ce
qu'il a cherché, c'est à créer une langue déjà très facile à apprendre et cette
facilité se base sur la logique, la grande logique de la langue, et ensuite sur
un vocabulaire qui s'appuie sur des racines qui existent déjà dans d'autres
langues et principalement dans les langues indo-européennes. Donc il a pris des
racines qu'on trouve souvent dans le latin mais aussi dans les langues
germaniques ou slaves, par exemple.
RFI :et donc a priori c'est une langue qui
devrait, Ludivine Delnatte, parler à tout le monde... C'est un peu ça, au fond,
le principe, non , c'est ça ?
Ludivine Delnatte: Non, le principe c'est que ce soit une langue facile à apprendre,
c'est-à-dire...
RFI :parce qu'il y a une grammaire simplifiée
?...
L.D.: il y a
une grammaire très simple. Là vous parliez des langues indo-européennes : c'est
vrai que, au niveau du vocabulaire, ça se rapproche des langues latines,
germaniques et slaves. Par contre, au niveau de la grammaire, ça ressemble
beaucoup plus aux langues asiatiques comme le chinois, par exemple ; le chinois
qui est une langue grammaticalement très simple, puisqu'elle a une grammaire
très simple. Bon, dans le chinois, le plus dur ce sont les idéogrammes,
l'écriture...
RFI: vous pouvez nous donner un exemple précis
de grammaire simplifiée ?
L.D. : oui,
par exemple au niveau de la conjugaison, il n'y a qu'une terminaison par temps,
donc il y aura une terminaison pour le présent qui est la terminaison « -as ».
Donc il suffit de prendre le verbe à l'infinitif, de lui mettre la terminaison
« -as »...
RFI : je parle à RFI, donc,
vous...
L.D.: mi
parolas al RFI
RFI: et tout le monde a la même
terminaison... ?
L.D. :
voilà, quelle que soit la personne
RFI: quel que soit le genre...
L.D. : c'est
la même terminaison, donc on apprend une fois la terminaison du présent et
ensuite on peut conjuguer n'importe quel verbe au présent. Il n'y a pas
d'irrégularité.
RFI: et en sortant du studio,
vous direz : « j'ai parlé.. » donc...
L.D. : mi
parolis, donc « -is » étant la terminaison du passé
RFI: vous faisiez allusion à
la grammaire chinoise relativement simple. On va revenir juste un mot à la
Chine, parce que dès la fin du XIXe, des intellectuels chinois de retour
d'Europe reviennent et puis essayent de propager, de faire connaître en Chine
l'espéranto. Ensuite c'est le régime communiste -- j'ai étudié avant de vous en
parler -- c'est le régime communiste qui est très très intéressé par
l'espéranto, ne serait-ce que pour lutter contre l'impérialisme de l'anglais ou
du français. Il y a une revue, évidemment en espéranto, en Chine, il y a des
émissions de radio, Radio Chine International poursuit la diffusion de
l'espéranto. Vous avez eu l'occasion d'avoir accès à ces documents ?
J.M. : oui,
donc, j'étais parti en Chine, j'étais à Pékin il y a quatre ans, en fait, à
l'occasion d'un voyage que j'ai fait avec des espérantophones, au départ de
Moscou jusqu'à Hong-Kong, en passant par Pékin. Et à Pékin donc, on tenait
justement à aller visiter la rédaction de cette revue chinoise assez réputée..
RFI: el popola cinio ...
J.M. :
« El popola ĉinio »
RFI: « ĉinio »,
pardon
J.M. : tout
à fait. Donc on a été très bien reçus, mais c'est là aussi qu'on s'est rendu
compte que la Chine était réellement gouvernée par le Parti, puisque même le
directeur de la revue était en fait nommé par le gouvernement et il ne parlait
pas un mot d'espéranto, mais il était directeur de la revue.
RFI:enfin, en 86, 400 000
locuteurs de l'espéranto, c'est un record, non ? Pour un seul et même pays
évidemment. Aujourd'hui il n'en reste qu'une dizaine de milliers. Est-ce qu'une
dizaine de milliers d'espéranto...phones en Chine, c'est le chiffre le plus
important ? En France, il y a combien d'espérantophones ?
J.M. : c'est
très difficile à évaluer. On pense qu'en France on a peut-être quelques
dizaines de milliers mais c'est...
RFI:ah ? tout de même !...
J.M. : mais
c'est très difficile à évaluer. La plupart ne sont pas inscrits dans des
associations, il y a des gens qui parlent l'espéranto, qui l'apprennent seuls,
et ensuite...
RFI: c'est un peu paradoxal.
Pour une langue qui théoriquement est là pour unir les gens, il y a des gens
qui font ça en solo sans le dire à personne
J.M. : en
solo des autres français, par exemple, mais ça ne veut pas dire qu'ils ne vont
pas voyager avec, échanger avec cette langue en trouvant des correspondants à
l'étranger
RFI: en voyage..., vous, par
exemple, Ludivine Delnatte, vous incarnez, je veux dire, l'avenir de
l'espéranto, puisque vous êtes du mouvement Espéranto-Jeunes. On voyage en
réunissant comme ça, en allant retrouver les espérant...istes ?
L.D.: oui,
tout à fait, moi je ne suis pas allée jusqu'en Chine mais j'ai voyagé en Europe.
J'ai été quasiment dans tous les pays d'Europe et j'ai eu à chaque fois la
possibilité d'être hébergée par des gens du pays qui parlaient espéranto, et
c'est une façon franchement différente de découvrir une culture, je pense
RFI: expliquez-nous
L.D.: eh
bien quand vous n'avez pas la possibilité de loger chez l'habitant, déjà c'est
autre chose que d'être à l'hôtel. Vous êtes aussi en dehors du circuit
touristique normal, disons que l'habitant va vous faire voir des choses qu'un
touriste...
RFI: parce que vous parlez la
même langue que l'habitant en question
L.D.: voilà.
Enfin, même sans parler sa langue, mais disons que l'espéranto permet très
facilement de rencontrer d'autres personnes qui parlent l'espéranto un peu
partout dans le monde. Il y a d'ailleurs des annuaires, des choses comme ça,
qui sont disponibles. Donc c'est vrai que si vous allez demain, que ce soit à
Pékin ou n'importe où, vous pouvez contacter des gens sur place qui parleront
l'espéranto et qui vous feront découvrir leur ville ou bien tout ce dont vous
pouvez avoir besoin.
RFI: l'espéranto étant enseigné
dans des cercles évidemment privés ou par des circuits strictement privés. En
Chine – ce sera ma dernière référence à la Chine puisque le congrès se tenait à
Pékin – on enseigne officiellement l'espéranto à l'université ou dans le
système scolaire alors que dans le reste du monde, c'est évidemment une
démarche privée, individuelle ?
J.M. :il y a
d'autres universités dans le monde où on peut apprendre l'espéranto, aux
États-Unis, à San Francisco, je crois ; en France il me semble que c'est encore
possible à Lyon, en Pologne ce doit être possible également d'apprendre
l'espéranto à l'université ; en Hongrie on peut présenter l'espéranto au bac et
d'ailleurs ça a provoqué un fort engouement en Hongrie pour l'espéranto
puisqu'il y a 4000 lycéens qui présentent l'espéranto au bac chaque année,
depuis l'année dernière
RFI: alors comment
expliquez-vous ce phénomène, pour une langue qui ne s'est pas imposée, ou en
tout cas pas tel que ses fondateurs ou ses créateurs le souhaitaient ? Quel est
l'avenir de l'espéranto et quelle est aujourd'hui sa diffusion ? Elle s'étend
ou pas ?
J.M. :alors,
c'est dernières années...
RFI: vous devez avoir ces chiffres,
si vous n'avez pas le nombre d'espérantologues en France, vous devez avoir au
moins...
J.M. :malheureusement,
non, on n'a aucun chiffre précis. Par contre ce qu'on mesure c'est que ces
dernières années, l'Internet a peut-être donné un coup de fouet à l'espéranto.
On a évidemment un nombre incroyable de pages qui se sont créées en espéranto
et sont disponibles sur le web. L'Internet a donné la possibilité aux
espérantophones surtout de pratiquer la langue quotidiennement, au moins à
l'écrit. Il n'y a avait pas cette possibilité auparavant. Auparavant c'était le
courrier et donc beaucoup plus épisodique. Avec maintenant aussi la téléphonie
par Internet qui est en train d'apparaître, les espérantophones vont pouvoir
parler l'espéranto quotidiennement également s'ils le souhaitent, à très bon
marché. Donc ça c'est favorable au développement d'une langue qui n'a aucun
pays de prédilection et qui est disséminée un peu dans le monde entier
RFI: mais quel argument,
Ludivine, quand vous rencontrez d'autres jeunes comme vous, quel argument
avancez-vous, à part effectivement cette facilité de voyages et de contacts,
mais qu'on peut avoir d'une autre manière à partir d'une autre activité, c'est
pas propre à l'espéranto ?
L.D. : non,
c'est pas propre à l'espéranto mais il y a quand même une idée de neutralité
qui m'est quand même assez chère ; c'est-à-dire que quand vous utilisez
l'espéranto, vous êtes au même niveau que votre interlocuteur. Celui qui parle
anglais avec un anglais, il a un certain avantage sur moi, c'est évident, au
niveau de la langue mais quelque part ce n'est pas très juste que moi, je fasse
un effort de parler sa langue et que lui n'en fasse aucun. Et moi, c'est ça
aussi que j'aime beaucoup dans l'espéranto, cette idée de neutralité. On est sur
le...
RFI:... c'est ce que disait
Jerôme Mathieu, en n'appartenant pas à un territoire particulier, à une culture
particulière, on est effectivement tous exactement au même niveau. Juste encore
un mot, l'espéranto, langue de l'Europe, comme certains le souhaitent ? ça, ça
peut..., vous l'imaginez, vous ?
J.M. :on
l'imagine très bien, maintenant est-ce que c'est possible, est-ce que ça sera
une réalité demain ? ça c'est autre chose. Mais en tout cas ce serait facile de
laisser..., de proposer cette solution et donner la possibilité aux gens de
l'apprendre plus facilement, par exemple, comme en Hongrie en la proposant en
option au bac, on verrait rapidement si ça remporterait l'adhésion des jeunes
par exemple, et plus tard...k
RFI: plus l'Europe sera nombreuse,
plus ce sera possible. Ludivine Delnatte, merci, Jerôme Mathieu, merci, juste
pour terminer Jacques Yvart, vous connaissez, c'est un chanteur, un petit air
connu, en espéranto, bien sûr!
(source : http://perso.wanadoo.fr/e.jj.richard/EO/RFI20040803.html
; transcription de Emmanuelle Richard)
journaliste : Jean-Marc Falcombello
invité : Claude Gacon
[...]
Jean-Marc Falcombello : oui mais alors,
Claude Gacon, est-ce qu’on peut aller à dire que du même coup... euh, la
personne qu’apprend l’espéranto, c’est juste, c’que vous dites //
Claude Gacon : elle s’inscrit dans un monde
J-M.F. : oui, elle s’inscrit
dans un monde... mais est-ce qu’elle se sent... faisant partie, partie prenante
d’un monde... différent ?
C.G. : alors, très vite, c’est une affaire
d’identité... très vite, les espérantophones ont deux identités... ça veut
dire : grâce à l’espéranto, souvent, ils s’inscrivent plus profondément
dans leur propre identité... parce qu’ils doivent, souvent, recevoir des
hôtes... j’ai dû recevoir chez moi des japonais ; j’leur ai montré, c’que
c’était... à c’moment j’vivais à la Lausanne [lasan], Lausanne, n’est-ce
pas ? et puis ma région, l’creux du Vaux [vã]... alors on leur montre,
notre identité... mais, notre identité, elle devient aussi, xxx [sekõtãsõ] directe,
de gens avec qui on peut vraiment parler... y’a plus de de limites, de
barres... et puis, cette identité //
J-M.F. : y’a plus d’limites
et d’barres, il faut quand même objecter que si vous parler avec un japonais,
le japonais reste mâtiné de sa culture... nippone... et que vous, vous
êtes mâtinés de votre culture //
C.G. : mais oui, mais on échange... on en discute...
v’voyez ?
J-M.F. : bien sûr, mais y’a
pas, y’a pas plus d’limite... on peut pas s’imaginer que, d’un coup,
j’apprendrai l’espéranto, j’aurai plus aucune limite
C.G. : ah non, ça s’acquière, ça
s’acquière ; c’est c’qu’on appelle la culture... et puis, y’a certains mots...
euh, qui portent ; n’est-ce pas ? ...quand les espérantophones
se rencontrent, ils rencontrent tout d’suite un autre... et c’est un
humanisme, euh... très marqué, vous voyez... et, peu à peu ils
acquièrent une identité, très forte... et j’me rappellerai toujours ma
mère, elle a appris l’espéranto... euh, quand lorsque elle avait soixante
ans... et lorsqu’elle a eu... nonante ans, elle m’a dit : tu s, tu sauras
hein, mais... quand tu voudras parler de moi, quand vous voudrez parler de moi,
il faudra dire : j’étais espérantophone... donc elle sentait : elle
était francophone... ou, ou... Neufchateloise... plus
espérantophone... donc c’est des gens qui sont marqués par deux identités...
très profondément...
J-M.F. : mais comment on
d... et alors, comment vous décriveriez, Claude Gacon, cette... identité
espérantiste, ou espérantophone //
C.G. : espérantophone !
J-M.F. : oui mais
espérantophone, c’est lié à la langue... donc, quand vous parlez //
C.G. : à la langue, oui !
J-M.F. : mais quand vous
parlez d’identité... euh, c’est... disons, on peut être helvète en parlant
suisse-allemand et en parlant français
C.G. : oui
J-M.F. : d’accord... donc
euh... étophone, c’est un peu que lié à la langue...
C.G. : oui mais... y’a la culture, là derrière...
lisez xxx //
J-M.F. : on est d’accord,
mais mais mais, oui... mais, mais elle est comment xxx //
C.G. : si vous voulez, vous pouvez dire espérantiste,
si vous voulez...
J-M.F. : espérantiste,
d’accord, pourquoi pas... mais, elle est comment cette culture ?
C.G. : eh bien... elle était marquée //
J-M.F. : xxxtophone
C.G. : elle était marquée par l’auteur... vous avez
son portrait là-bas... Zamenhof... [...]
(source : http://www.rsr.ch/view.asp?DomID=209&language=
; transcription de Sébastien Erhard)
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(non disponible dans la
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Un ami me déclare « Je préfère dire que je suis espérantophone, plutôt qu’espérantiste ».
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Le suffixe «ist» est mal perçu par certaines personnes, leur faisant penser à un esprit de parti (socialiste, communiste, anarchiste, mais aussi universaliste..., dentiste (aïe, aïe !).
Alors Espérantophone ?
Un espérantophone est celui qui parle espéranto comme d’autres parlent l’anglais (anglophone), français (francophone)... mais pas forcément dans le but qui a poussé Zamenhof à créer la langue.
Pour moi l’Espéranto est plus qu’une langue, mais aussi un état d’esprit d’amitié, un volonté de paix mondiale.
J’aimerais savoir ce que chacun en pense. Gaby, St-Quay-Perros
Généralement un partisan de l’espéranto est appelé « espérantiste »
(esperantisto) mais, parfois, l’on trouve aussi les termes « espérantophone »
(esperantolingvano) ou «espérantophile » (esperantoparolanto, esperantemulo).
Quel personnage se profilerait-il derrière ces dénominations ?
«
Espérantiste » semble se couvrir d’une connotation péjorative (peut-être due au
suffixe -iste), d’où ce besoin chez certains de se placer sous une étiquette moins
controversée, plus sérieuse.
Si
l’espérantiste est le plus souvent une personne tolérante, de contact facile et
agréable, respectueuse des autres langues, ouverte aux nombreuses cultures,
quelques marginaux se comportent néanmoins de façon assez irrationnelle et
jettent le discrédit sur l’ensemble de la communauté.
Ainsi, pour le profane, l’espérantiste serait plutôt un farfelu bardé d’étoiles
vertes qui ne jure que par Zamenhof, rêve d’établir la paix universelle, voire
interplanétaire, par la seule imposition de sa langue bien-aimée. Prête-t-on un
semblant d’intérêt à ses propos ? Il pérore longuement sur les qualités,
avérées ou présumées, de l’espéranto, vous inculque sans tarder les rudiments
de la grammaire et vous presse de vous inscrire aux cours du club local. -
Met-on ses paroles en doute ? Il interrompt l’impertinent qu’il abreuve
d’arguments plus ou moins convaincants. - Quelqu’un propose-t-il l’anglais ? Le
voilà qui devient vert, de rage cette fois, trépigne, pousse de hauts cris et
se lance dans une violente diatribe contre l’impudent qui a osé proféré une
telle obscénité. - Un quidam inconscient suggère-t-il d’employer l’espéranto à
des fins mercantiles ? Il en avale de travers son Fundamento et voue aux
gémonies cet hétérodoxe satanique.
Bref, il parle beaucoup de l’espéranto, le pratique beaucoup moins et souvent
ne le maitrise même pas ! C’est aussi ce zélote verdoyant qui se vante des
années d’avoir entrainé deux, trois nouveaux membres dans le movado, mais qui
oublie de dresser la longue liste des « espérantophobes » (esperantomalemuloj)
qu’il a formés par son comportement sectaire et ses discours immodérés.
Cela expliquerait, en partie, pourquoi des espérantistes plus réalistes
préfèrent se coller l’étiquette « espérantophone » ou « espérantophile ». Les
premiers sont encore bien peu nombreux ; rares sont en effet les personnes qui
ont appris l’espéranto comme langue parentale, maternelle ou paternelle.
Restent les « espérantophiles », soit esperantouzantoj qui usent de
l’espéranto, soit esperantoemuloj favorables à cette langue, mais qui ne
l’étudient pas pour diverses raisons. Pour eux, l’espéranto est avant tout un
excellent moyen de communication international qu’il faudrait utiliser, non
seulement dans des clubs recroquevillés sur leurs fantasmes - même s’ils
permettent à l’espéranto de surnager - mais aussi et surtout pour des activités
scientifiques, techniques, commerciales, professionnelles, si possible de
concert avec d’autres langues, y compris l’anglais, langue actuellement
incontournable au niveau mondial.
Pour être pris
au sérieux, l’espéranto a besoin, non de théories idéalisantes, mais de faits
concrets, vérifiables sur pièces. Une action probante vaut mieux que dix mille
mots !
Germain PIRLOT, espérantophile pratiquant 08.05.1990
..
... .... Les pauses et les courts silences sont marqués par des
points de suspension, plus ou moins nombreux selon la durée de la pause.
// Un
chevauchement de paroles dans le récit, ou une rupture soudaine, est marqué par
une double barre oblique.
: :: ::: L’allongement d’une syllabe est
indiquée par deux points, répétés éventuellement en fonction de la durée de
l’allongement.
(exemple) Les
commentaires sur les conditions de l’entretien ou sur l’attitude de ses
protagonistes sont écrits entre parenthèses et en italique.
[ekzãpl] La prononciation en
Alphabet Phonétique International de certains passages, notamment lorsqu’il y a
des mots en espéranto, est indiquée entre crochets.
exemple Les
passages en gras signalent un haussement de ton.
exemplexxx Lorsque
la volume sonore de la voix baisse fortement, les mots sont indiqués en plus
petits caractères, voire par des XXX lorsque c’est inaudible.
S1- La
majuscule S initiale au début d’une réplique indique qu’il s’agit de
l’enquêteur (c’est-à-dire nous-même, Sébastien). Les autres majuscules en début
de réplique indiquent l’initiale de l’informateur. Pour des raisons d’anonymat,
je masque les noms de famille avec des astérisques. Toutes les répliques sont
numérotés dans l’ordre chronologique de l’entretien.
S1- hop.. c’est parti…. Alors, est-ce que tu peux:: ben te présenter euh… rapidement..
en quelques.. en quelques mots..
F2- alors
euh.. je m’appelle Flavie A*******... j’habite à: Toulouse.. dans le Sud de la
France: ..je:: travaille dans le spectacle... j’ai fait du mime et de la
danse.. et::: je suis espérantiste euh: depuis euh pratiquement ma
naissance parce que mes: parents se sont rencontrès par l’espéranto..
S3- euh:::
ben alors.. quel â.. quel âge as-tu.. justement ?//
F4- j’ai
vingt-sept ans
S5- vingt-sept
ans... euh: et alors.. quelle est ta langue maternelle ? ..tu as un peu
anticipé.. mais...
F6- ..ma
langue maternelle.. c’est le français... je suis.. comme on.. comme on dit
une... une fausse espérantiste de naissance... c’est-à-dire que.. euh les vrais
(rire).. en fait euh: euh parlent l’espéranto: ..à la maison ...avec
leur père et leur mère: c’est euh.. on on peut dire qu’c’est leur langue maternelle...
S7- t’en
connais ?
F8- j’en
connais euh:: ...pas mal.. qui participent.. aux mêmes rencontres que moi...
de.. de jeunes espérantophones et cetera (reniflement) ...mais euh::
dans mon cas c’était euh: ..c’était pas tout à fait pareil.. on parlait
français à la maison.. et comme:: ma mère est japonaise.. mon père est
français.. on parlait français pour qu’elle apprenne:: quand même mieux le
français.. et l’espéranto on le parlait que: ..dans les congrès ou euh: avec
les amis euh::: ..de mes parents... qu’on allait.. qu’on visitait.. sur les
chemins.. ou au retour des congrès...
S9- donc
à à ta naissance.. au début.. t’as appris //
F10- à
ma naissance..
S11- //
que le français ?
F12- c’était
plutôt français.. ouais... mais très vite euh:: //
S13- et
ensuite.. justement.. //
F14- très
vite y’a eu l’espéranto.. et puis.. aussi le japonais euh:: puisque j’étais //
S15- //
en même temps ou.. ? //
F16- euh:::
..c’était à peu près les trois en même temps.. euh::::: ..peut-être l’espéranto
plus tôt que l’japonais.. puisque ma première visite au Japon euh::... bon
la première fois j’étais bébé... mais après c’était euh: j’avais sept ans.. et
j’y suis allé tous les deux ans.. et je parlais japonais euh.. parce que
c’était la l.seule langue que je pouvais parler là-bas.. avec.. ma famille...
euh::: ..et j’pense que: j’ai dû participer euh ..à des congrès d’espéranto:..
où j’ai dû entendre l’espéranto.. euh plus souvent en
tout cas euh:::: ..avant sept ans.. quoi ...avant.. de parler
japonais...
S17- mais
donc tu l’as... jamais appris vraiment //
F18- j’l’ai
jamais //
S19- consciemment //
F20- non..
j’ai jamais pris de cours euh:: ...euh::: j’ai jamais euh.. suivi euh écrit la
grammaire et tout ça:... non..
S21- et
alors.. est-ce que.. en plus de ces trois langues.. est-ce que tu: ..parles
..ou est-ce que tu as appris d’autres langues ?...
F22- j’appris:..
l’anglais:: et l’allemand...
S23- et
euh:.. et est-ce que tu t’en sers euh.. ? enfin.. tu les as appris
uniquement dans le cadre scolaire ?
F24- euh::
..oui ..l’anglais oui... et puis bon bah.. ça sers toujours un p’tit peu.... et
l’allemand: euh.. j’ai fait.. comme j’ai fait un BTS commerce international..
j’ai fait.. on devait faire un stage à l’étranger j’l’ai fait en Allemagne...
donc j’ai passé un mois et demi en Allemagne.. et puis euh... ça m’a servi.. un
peu plus tard.. quand j’ai dû.. aller faire un spectacle de mime ..en
Autriche... et.. l’allemand avait été la seule langue avec laquelle je pouvais
parler.. avec mon metteur en scène... donc euh.. voilà... ça m’a servi quand
même...
S25- alors
pour euh.. pour revenir ..à l’espéranto euh:.. ben j’vais t’poser.. com... comment as-tu entendu parler de l’espéranto pour la première
fois ? mais j’pense que.. là t’en as pas conscience euh...
F26- non..
c’est un peu.. c’est un peu //
S27- //
naturel //
F28- difficile..
parce que c’est... ça fait partie.. intégrante de ma vie quoi c’est euh:.. c’est..
je peux pas dire quelle est la première fois qu’j’ai qu’j’ai entendu parler l’espéranto.. puisque que: ..j’l’ai entendu parler..
j’pense dans l’ventre de ma mère.. parce que::.. c’était par contre la langue
de communication de mes parents..
S29- avant
ta naissance ?
F30- avant
ma naissance... ils c’est grâce à l’espéranto qu’ils se sont rencontrés...
S31- et
quand tu es née euh:: ..ils sont parl.. ils sont passés au.. au.. au f //
F32- ben
j’pense que quand.. je suis née euh::: ...je sais pas quel niveau: de français
avait ma mère.. ça f’sait à peu près.. j’pense euh un an qu’elle était en
France... donc elle avait déjà un peu appris le français... mais euh:::
..j’pense que.. ils essayaient d’parler ..plutôt français pour ma mère.. mais
quand il y avait des des explications à avoir avec des.. des.. pour des sujets
précis euhm... où elle comprenait pas c’était en espéranto...
S33- ..et..
euh::... est-ce que il t’arrive utiliser par exemp’ l’ex.. l’espéranto dans
ton: ..dans ton travail ..dans tes activités: ? ...si oui.. comment ?
F34- euh::::
..m..non.. pas vraiment... euh:: ..c’est surtout dans le:: ...j’utilise
l’espéranto ..avec des espérantophones euh.. pas forcément avec des étrangers
ça m’arrive de parler espéranto euh.. avec des français... pour euh:.. par
plaisir... parc’que j’aime bien.. j’aime bien parler les langues étrangères et
euh.. quand j’parle pas.. pendant longtemps.. une langue ça me manque.. et
surtout l’espéranto parce que ça.. y’a aussi un rapport affectif à ça... euh
m..
S35- tu
la ressens comme une langue étrangère ?... ou c’est... ou c’est naturel //
F36- ben
disons que:.. ma langue quotidienne c’est quand même le français... mais euh..
l’espéranto c’est euh.. c’est une l’au.. une autre langue maternelle quand même
quelque part..
S37- ça
t’gênera pas de parler que en.. en... en espéranto avec des... avec des
français par exemple ?
F38- non...
non.. même si euh.. bon parfois.. euh... euh: les ustensiles.. de la vie
quotidienne.. j’connais pas forcément leur nom.. en espéranto ..ou quoi.. comme
le une casserole.. une poêle... y’a des choses ..dont
j’me sers pas.. même dans les rencontres donc euh.. mais... si j’avais besoin
d’m’en servir.. j’l’apprendrai une fois et puis euh.. ça ça viendrait quoi...
S39- et
euh:... donc.. ben quelle est la place de l’espéranto justement pour toi.. un
peu dans la vie ..d’tous les jours... euh ..au quotidien ?...
F40- Alors
euh:... la place de l’espéranto euh:... j.je fais partie d’l’association:
..d’espéranto de Toulouse... donc euh.. y’a euh:: ..dans les.. enfin qui qui
euh.. organise pas mal d’évènements.. justement pour faire vivre:.. la culture
espérantophone.... euh: ..y’a des repas: ..d’organisés: ..euh mm.. y’a des
fêtes ..des conférences ..des cours.. donc je participe: comme je peux quand je
peux... par exemple la dernière fois c’était m.. en décembre.. y’a eu la
Zamenhof-festo... Zamenhof donc euh c’est l’créateur de
l’espéranto... et euh mmm:.. les différentes ..en général toutes les
associations organisent une petite fête donc euh.. celle de Toulouse a fait..
et moi j’ai.. j’ai fait une petite improvisation de danse et euh: ..j’ai joué
euh un... un: petit morceau de ..de mime de:: de Marcel Marceau.. comme j’ai fait l’école... et:.. voila ..et sinon bah.. j’garde contact avec
certains amis euh:.. par Internet euh: ..en espéranto: ..on dialogue en
espéranto: euh:... parfois j’parle espéranto avec mes parents aussi:.. si on a
des amis communs.. et cetera..
S41- et
au.. au niveau d’ton: ...entourage parmi les gens qui parlent pas espéranto //
F42- mmm
S43- //
qui savent absolument pas c’que c’est.. qu.quelles sont les réactions ? bon ben:.. est-ce que tu leur en parle parfois d’l’espéranto ou même sans
leur en parler quelles sont les réactions ..qu’ils ont ? ..le regard
qu’ils peuvent avoir ou.. ?
F44- ben
si j’leur en parle pas.. ils vont pas l’deviner que j’parle espéranto (rire)
ça c’est sûr.. parc’que:.. euh c’est quand même pas tellement répand//
S45- mais
est-ce qu’il t’en arrive d’en parler.. ?
F46- bien
sûr.. ouais ouais... oui oui j’en parle: ...comme on parlerai de: ..d’un loisir
..de sa famille ..enfin ça fait partie intégrante de ma vie ..donc euh.. je le
cache pas.. au contraire euh.. mais euh.. après c’est sûr que j’ai pas une
démarche.. spécialement euh... de propagande euh... j.j’pense que: si ça
intéresse les gens.. ils vont me poser des questions et puis j’pourrai les
orienter euh: ..vers l’association: ...s’ils ont envie d’prend’ des cours et
cetera... moi j’veux bien leur donner tous les renseignements qu’i veulent..
après euh ..pour moi c’est pas ..un devoir.. de de... de::: ..de
faire en sorte que tout le monde apprend.. apprenne l’espéranto... mais euh..
j’ai beaucoup quand même de réactions euh:.. de curiosité quoi... et euh:: ..et
c’qu’est bien.. c’est que:: maint’nant en tout cas ..y’a p.plus de gens que
j’rencontre avec qui j’en parle... qui euh.. qui en en ont déjà entendu
parler.. au moins..
S47- tu
vois une ..évolution dans la perception.. ?
F48- ouais...
ouais ouais ...avant euh:.. y’avait beaucoup moins de.. beaucoup moins de gens
qui avaient ..déjà.. ne serait-ce qu’entendu le mot espéranto... maintenant
euh:: ..quand j’dis je parle espéranto.. euh: y’a déjà pas mal de gens qui
savent que c’est une langue... euh qui savent un p’tit peu c’que c’est ..de
quoi il s’agit ..ou au moins qu’ont entendu le nom.... avant c’était ah !
qu’est-ce que c’est l’espéranto ? alors fallait expliquer euh ..maint’nant
c’est.. ah ! c’est cette langue qu’a pas marché ! ..bon c’est pas..
pas forcément positif... mais en tout cas.. ils ont le m ...ils ont le nom dans
l’oreille ..et c’est déjà pas mal..
S49- mais
justement ouais ..parfois le fait d’savoir... s.souvent... ça pourrait parfois p’têt’ des réactions plutôt négatives ou... ?
F50- non
S51- non..
p.pas nécessairement //
F52- moi
je n’ai //
S53- pas
néc.. //
F54- j’en
n’ai jamais vraiment eu des réactions négatives... mais j’pense que ça dépend
beaucoup de:: ..comment soi-même on le ..on l’aborde... comment on perçoit
euh.. soi-même ..et comment on le transmet:: aux autres...
S55- et::
..et justement pour toi.. ben qu.que r’présente la langue: ..son utilisation..
et: ..ses utilisateurs d’une manière générale ?...(rire)
F56- euh:
mm:: ..bah comme j’disais bon c’est ..pour moi c’est avant tout ..affectif... parc’que..
parc’que c’est euh:.. depuis depuis mon enfance: je baigne dans... dans des.des
rencontres des congrès.. euh:... un esprit d’échange
..qu.qui... pour moi l’espéranto c’est avant tout un état d’esprit quoi...
après euh::: ..ben jff:.. j’trouve ça simplement beau que ça puisse fonctionner
..malgré euh.. malgré c’qu’on dit.. ah ! mais ça a pas marché !
..souvent j’entends.. ah c’est dommage que ça ait pas marché !... j’leur
dit.. ben si ça a marché.. mais euh... (rire) personne le sait c’est
tout... et parfois ça suffit pour susciter l’intérêt des gens.. c’est pas la
peine de les marteler avec euh.. mais sinon.. ben au niveau mondial.. ben
c’est clair qu’c... c’est une idée euh c:... c’est une idée
peut-être un peu: utopique.. que que de vouloir réunir le monde entier euh
..grâce à une seule langue quoi... mais euh: m... moi j’ai envie d’y croire..
donc euh: je le vis à ma façon et j’pense que:.. c’est:: ...si chacun euh::...
si chacun décide de le vivre à sa façon ...ben ça p. ça pourra que évoluer...
S57- parc’que.. est-ce..est-ce tu as eu.. des motivations qui t’ont poussé à
...continuer à pratiquer la langue ? ou est-ce que ..est-ce que tu penses
qu’il y aurait eu un moment où t’aurais pu euh.. te dire finalement euh //
F58- euh:::
S59- //
j’accroche pas... ça reste le truc de...
F60- ben
y’a eu un moment en fait où j’ai décroché... c’est entre::: ..quatorze ..quinze
..et dix-huit ans... et j’ai r’marqué là ..en parlant avec euh.. avec plusieurs
personnes qu’étaient à peu prés dans mon cas ..qu’avaient appris l’espéranto
euh ff.. ou qu’étaient espérantophones de naissance... à cette période-là
..l’adolescence.. bon y’a un espèce de ..de recul euh ..qui se fait... mais:::
..bon j’ai quand même euh:: ..à partir d’un certain moment j’ai eu envie de savoir
euh: ..c’qui s’passait ..au niveau euh : ..de la jeunesse espérantophone
parc’que jusqu’à maint’nant c’était que: ..les fami:lles ..tout ça mes
parents.. même si.. les enfants d’mes parents avaient des enfants d’mon âge et
que j’pouvais jouer avec eux finalement c’était pas mes: amis: à moi.... donc
euh... ben j’me suis quand même lancé un jour euh..
S61- donc..
c’est de toi-même qu’est v’nu la:.. ?
F62- ouais
chuis re: ..même si.. j.j’avais pas du tout de rejet par rapport à ça...
mais euh:.. j’étais pas euh:.. en:: ..en action vers.. je suis pas j’allais pas
vers l’espéranto quoi... mais:: ..chuis contente de l’avoir fait...
S63- et
est-ce que tu fais euh.... justement parti d’b.. alors euh de plusieurs
..beaucoup d’associations d’espéranto:: ?
F64- non...
juste euh celle de //
S65- juste
celle de Toulouse ?
F66- //
Toulouse... ouais... et puis euh:.. et puis celle des jeunes euh::
..français....
S67- et
euh...
F68- JEFO
[jefo]
S69- ....euh:::
....oui ben j’pense qu’ce s’ra bon (rire)
F70- c’est tout ?
S71- xxx.. j’te r’mercie !
F72- avec
plaisir...
S1- c’est partx ...donc.. est-ce que tu ben peux te présenter ..en ..quelques
mots ? (rire)
A2- eh
ben.. j’m’appelle Adélaïde C******* euh:: ...j’parle espéranto depuis mille neuf-cent
quatre-vingt neuf... euh::.. ben qu’est-ce que j’fais dans la
vie ? chuis enseignante en mathématique et informatique depuis peu....
S3- tu
as ..t’as quel âge ?
A4- j’ai:
vingt-trois ans.. donc j’habite en Haute-Savoie.. je travaille en Suisse à
Genève.....
S5- et
euh.. qu..qu.. alors ben pour rentrer euh: //
A6- quelle
est::.. ?
S7- quelle
est ta langue de.. ta langue maternelle ?
A8- donc
ma langue maternelle.. c’est l’espéranto.... euh pardon (fort rire de la
part des deux) ...non ma langue maternelle c’est l’français..
mais... ben y’a d’autres langues que je parle aussi couramment.. comme::
..l’espéranto..
S9- alors
lesquelles as:-tu apprises ? ..dans quel ordre ? et...
A10- donc
euh::... dans l’ordre j’ai commencé par apprendre l’espéranto ..donc à neuf
ans... beaucoup en correspondant.... ensuite eh ben j’ai au collège j’ai appris
l’allemand première langue... puis l’anglais.. donc j’ai fait sept ans
d’allemand collège-lycée ..et:: j’ai fait aussi du latin.... donc euh: ..et je
suis parti //..donc euh voilà.. allemand ..anglais ..donc je maîtrise
l’allemand:.. couramment.. puisque j’chuis parti un an en Allemagne....
l’anglais j’me débrouille.. j’ai appris euh: ..le danois aussi... donc j’me
débrouille ..un peu moins bien qu’l’anglais.. voilà... j’commence un peu à
apprendre le polonais....
S11- et
euh::.. //
A12- //
par rapport aux langues...
S13- euh
tes parents eux-mêmes parlent l’espéran.. ? //
A14- alors
l’espéranto ..j’l’ai appris avec mes parents et mon p’tit frère... donc eux
ont suivi des cours dans mon village... j’ai suivi
quelques-uns d’ces cours.. mais en fait.. j’ai surtout appris: ..en
correspondant ..c’est-à-dire en:: ..en écrivant en espéranto à des enfants
..b.eaucoup d’Europe de l’Est.. donc de Russie de Pologne... aussi avec un du
Brésil et une en Espagne..
S15- alors
comment tu as: entendu parler de:: ..l’espéranto pour la : première
fois.. ?
A16- ouuf:
(rire des deux) ..une question difficile ..parc’que: ..j’m’en rappelle
pas.... ben disons qu’c’est mes parents qui:.. (soupir) qui l’ont appris
pis ..en fait i.. déjà avant qu’je naisse i::... ils
connaissaient la langue.. ils ont eu envie d’l’apprendre.. pis finalement ils s’y sont mis ..ben à
c’t’époque-là quoi... euh j’ai pas vraiment d’souv’nir d’avoir entendu parler
d’l’espéranto.. pour moi c’est:: ...c’est que’qu’chose qu’a toujours existé en
fait..
S17- (acquiescement)
..et euh.. //
A18- qui
fait partie de moi comme le français
S19- et
est-ce que.. est-ce qui.. est-ce que t’as eu des motivations particulières
qui.. t’avaient ..à l’époque poussé à l’apprendre ou.. ?
A20- eh
ben à l’époque c’est une collection d’timbres qui m’a beaucoup poussée en
fait.. parc’que j’ai correspondu avec pas mal de russes qui m’envoyaient des
timbres magnifiques.... et:::.. // ouais.. quand améliorer cette
collection d’timbres.. et pis aussi ben.. découvrir euh:.. un peu comment
vivent les autres ...qu’est-ce qu’i font: et tout ça quoi..
S21- c’est-à-dire
..que tes parents avaient déjà.. euh commencé à l’apprendre.. et euh:.. ?
A22- en
fait.. ils ont commencé à l’apprendre:.. ils l’avaient déjà vu sur un forum
associatif à Chambéry.... en mille neuf-cent soixante-dix-neuf.. je crois... et
euh:.. ils l’ont vraiment commencé à l’apprendre à c’t’époque-là
parc’qu’il y’avait justement Alain F**** qui nous a... qui a commencé un
cours.. qui parle assez bien espéranto.. qui habitait à trois kilomètres de chez nous... donc voilà...
S23- et
euh:.. m... mais qu’est-ce qui:.. est-ce que c’est eux qui t’ont: conseillé..
ou c’est toi qui leur a demandé: ou:.. ?
A24- ben
disons qu’ils nous ont appris l’espéranto comme on apprend à un enfant sa langue maternelle.. le français en fait... on a:.. ils ont
parlé un p’tit peu s.surtout mon père.. ils ont parlé un p’tit peu avec nous...
pis après.. en un an ou deux ..on a été à un.. à un congrès en Autriche avec donc mon p‘tit frère
et mes parents... on s’posait la.. disons moi j’avais douze ans mon frère avait
neuf ans on s’posait pas vraiment la question euh:.. pourquoi on l’fait ?
...on l’faisait parce que les parents m... voilà.. comme on va en colonie
d’vacances parc’que les parents nous y inscrivent.. des choses comme ça..
S25- et
est-ce.. et tu f //
A26- et
après.. pourquoi j’ai continué ? ben parce que:.. ben mon frère a arrêté..
le dernier congrès c’était en nonante-huit qu’il l’a fait... pourquoi moi j’ai
continué ? ben parce que: d’une part.. j’ai beaucoup d’amis qui parlent
espéranto... que j’ai rencontrés donc à.. un congrès d’enfants particulièrement..
en nonante-trois.. à Valence en Espagne.... euh parce j’ai continué parce que
j’aime bien voyager.. et: que c’est une façon pour moi de voyager...
alternative on va dire.... voilà...
S27- donc
c’est ça qui t.. qui t’a motivée à continuer euh... alors qu’ton frère ..lui
..est-ce qu’il continue à l’utiliser euh ?
A28- mon
frère ne continue pas à l’utiliser.. simplement.. ben quand j’ai des amis qui
viennent par exemple.. y’a deux ans j’ai des
amis qui sont v’nus chez moi... ben mon frère a essayé d’re..parler un p’tit
peu.. en.. espéranto...
S29- et::
..est-ce qu’il t’arrive d’utiliser parfois le..l’espéranto.. dans ton..
travail... ou dans tes activités euh ....de tous les jours ou..xxx ? //
A30- dans
mon travail non.. je l’envisage:: ...dans quelques années peut-être.... par’ce
que... par exemple enseigner l’espéranto... pour l’instant j’me sens pas prête
à l’enseigner ....euh dans ma vie d’tous les jours.. ben:: ..avec mes parents
j’parle français.. mon père peut-être :.. non... on parle.. parle pas en
espéranto.... avec mon ami.. Alain:: ça nous arrive souvent d’parler en
espéranto... et aussi en allemand.... voilà....
S31- et
euh::... et est-ce.. est-ce que:.... est-ce tu parles souvent de l’espéranto
autour de toi.. par rapport à t.. l’entourage.. ben ton //
A32- non
S33- //
ton entourage qui parle pas espéranto: ..et qui.. //
A34- je
parle: ..rarement de l’espéranto... parce que je cherche pas absolument à.. à
en parler aux gens... si le sujet arrive sur les langues.. et voilà.. donc j’en
parle... maintenant euh.. ben d’nonante-trois à nonante-huit euh j’ai passé
cinq ans euh.. sans parler espéranto... au lycée.. personne ne savait
espéranto.... euh: moi j’vois plus ça comme une façon de moi me faire
plaisir... si les gens veulent ..veulent en savoir plus... j’en parle....
maint’nant j’chais qu’chuis très bavarde sur ce sujet et.. (rire) quand
le sujet arrive... j’essaie de faire attention pour pas trop gêner les gens...
S35- et
euh::... et alors justement quand l’sujet arrive.. quels sont les...
les diverses réactions euh: ? ...plutôt ..positives ? ..plutôt
négat.... ?
A36- ben
récemment j’en ai parlé à mon travail justement.. parc’que:: ..pour
l’assemblée générale chais plus.. j’devais rédiger donc euh: donc pour
Espéranto-Jeunes une lettre... et i m’ont vu en train d’rédiger.. puis m’ah qu’est-ce que c’est: ?
...et euh.... bon la réaction a été plutôt bonne quoi.. sans... disons qu’y’a
pas eu d’réaction totalement négative.. c’est nul.. faut
pas faire.... maint’nant j’chais qu’dans ma famille par exemple i savent qu’fallait qu’j’participe à des congrès.. où on parle espéranto...
je sais qu’y’en a certains qu’y’en a certains qui sont ..totalement contre
..d’autres qui bon:.. s’en fichent un p’tit peu on va dire..
S37- même
si tes parents.. eux: aussi euh...
A38- ben
disons que.. ils considèrent que j’vis ma vie... et voilà ils.. ça les... tant
que j’les oblige pas eux à l’parler: euh.. à écouter c’que j’raconte
là-d’ssus euh.. ça les dérange pas plus que ça..
S39- et...
comment d’après toi.. l’espéranto d’une manière générale est ..est perçu euh:
..de l’extérieur ? ..euh... ou du moins pour ceux
qui //
A40- disons
qu’moi d’abord j’vais répondre dans un premier temps par rapport aux amis qu’je
connais... qui sont des gens assez ouverts ..et:: qui trouvent que l’espéranto
doit.. bla dans l’ensemble ..qui trouvent que l’espéranto c’est
une bonne idée... que ce serait bien si tout l’monde le parlait.. mais qui
ressentent pas la nécessité de l’apprendre... par rapport euh: ..aux gens.. en
général qui ne parlent pas l’espéranto.... je trouve qu’y’en a quand même pas
mal qui ont des a priori dans l’sens.. où:: euh: ...ils savent pas c’que
c’est... ils pensent que c’est soit c’est une secte ..que c’est une danse ..que
c’est... un peu tout et n’importe quoi on va dire.... qui
s’étonnent ..ah tiens ! y’a encore des gens qui le parlent....
S41- et
pour toi.. euh:: ...aujourd’hui.. que représente.. euh::: ...la langue.. à f.à la fois son utilisation: ..et ses utilisateurs euh.. ?
A42- pour
moi.. c’est principalement une langue de l’amitié... euh::: ..j’m’en sers.. ben vu qu’je travaille dans une association.. française.. d’espéranto
...j’m’en pour la.. pour l’association.... euh:: j’m’en sers pour
voyager pendant les vacances... euh: ben pour euh.. simplement pour revoir mes amis.. parc’qu’à force
d’y’aller.. j:’ai noué des liens... et euh:... qu’est-ce que ça représente par
rapport à ::... à la vie en général.... ?
S43- oui.....
ou:::...
A44- ben
j’.. j’chais qu’avec mon ami: euh.. ça arrive très souvent
euh... ça nous arrive de parler en espéranto.. par exemple quand on est chez
nous ben la plupart du temps on parle en français parce que c’est la langue
dans laquelle on est le plus à l’aise pour exprimer certaines choses... et
ici on parle qu’en espéranto.... sans même se poser la question pourtant
même quand on est tous les deux euh:.. on s’pose même plus la question..
S45- et::...
comment:... //
A46- chxx...
S47- //
comment tu perçois euh... ou même d’une manière.. ouaip pl.plus générale... ben
les::... les gens qui: euh:.. qui parlent aujourd’hui l’espéranto euh: ?
....qu’est-ce que ça:.. //
A48- je
r’sens ça comme un microcosmos... c’est-à-dire dans l’sens où:.. c’est un monde
que re.. qui s’retrouve dans l’espéranto.. c’est-à-dire qu’y’aura de tout..
tous genres de personnes... y’aura des gens qu’auront envie que d’faire la
fête.. d’aut’ qui auront envie d’apprendre des choses sérieuses...
vraiment ouais.. un peu de tout quoi... maint’nant moi j’chais que j’recherche
plus les gens.. qui ont envie d’s’amuser et:... mais c’est vrai qu’j’aime aussi
parler: ..par exemple euh: ..récemment hier j’ai parlé avec un Norvégien.. i
m’a raconté un peu c’qu’i f’sait:.. comment i voyait la vie et tout ça quoi...
S49- et
euh::.. est-ce que t’as ....souvent l’occasion de pratiquer euh:..
l’espéranto.. d’le parler ou
de: ..l’utiliser... ?
A50- euh:::
..ben j’dirais qu’les principales occasions c’est les rencontres espéranto
que:.. j’fais en moyenne ...une par an on va dire... maint’nant les occasions
d’parler:.. ben:.. c’est vrai qu’les français j’aime pas trop
parler espéranto parc’que... puisqu’on a une langue qu’on
parle très bien.. au:.tant la parler ensemble... sauf Estelle avec qui.. (rire)
je parlais espéranto pendant un an au tout début qu’on s’est connu... euh::..
les autres occasions ben c’est des: ..semajnfinoj [semɑjnfinoj] ..donc des week-ends euh:.. en France.. en
Suisse... où on rencontre d’autres gens qui parlent espéranto et euh:.. on parle ensemble...
S51- et
euh::.. est-ce que tu fais partie.. euh:.. d’associations... (léger rire)
d’espéranto.. ? et pis si oui.. euh::... qu’est-ce que tu fais au.. au sein de ces... ?
A52- alors..
//
S53- (rire)
A54- //
par rapport aux associations.. j’ai un parcours qu’est un petit peu
atypique.. on va dire.. par rapport par exemp’ dans
Espéranto-Jeunes ..la plupart des gens.... euh::... jusque très p.. jusqu’en deux mille un je f’sais pas partie d’associations.... et en
fait.. c’est euh:.. à l’IJK [ijoko] à Veszprem [vεʃprεm] en mille neuf-cent nonante-neuf.. où Alain F****
donc m’a beaucoup parlé de:... de JEFO [jefo].. de c’qu’on pouvait y faire..
de:.. la pochette des actifs.. du fait d’êt’ coordinateur... et en fait.. deux
ans après.. donc en deux mille un.. j’me suis in.. inscrite pour la première
fois à une association... d’espérantophones.. d’Espéranto-J.. Espéranto-Jeunes... et euh:... en:.. janvier deux
mille trois j’ai commencé à faire le travail de coordination régionale... donc
pour Espéranto-Jeunes... et j’ai pensé euh.. commencé à m’.. poser la question
tiens: ! ..pourquoi pas m’ ..présenter au conseil d’administration: ?
et tout ça... et donc c’..en depuis août deux mille trois j’fais partie du
conseil d’administration donc d’Espéranto-Jeunes... entre-temps.. j’ai aussi
été: euh:... très enthousiasmée par euh.. donc.. la fédération: dans ma région
Rhônes-Alpes... j’fais aussi partie donc de ce conseil d’administration... et
aussi donc euh des suisses depuis octobre deux mille trois... donc pour résumer
actuellement.. j’fais partie de trois associations... donc euh Espéranto-Jeunes.. euh:: ..la fédération.. Espéranto-Rhônes-Alpes.. et
euh:.. JES [jes].. donc euh:.. l’association suisse... j’fais partie du cons..donc de ces trois conseils d’administration: ...dans Espéranto-Jeunes
j’m’occupe de coordonner: euh les coordinateurs régionaux... est-ce qu.. j’me suis posée un peu la question euh: ..comment:
..comment on fais c’travail ? ..qu’est-ce qui pourrait être apporté pour
améliorer ?... au niveau de la fédération Rhônes-Alpes.. donc je suis
vice-présidente.. responsable des jeunes... j’m’occuppe du lien: euh:.. entre
les associations locales.. et euh.. et les jeunes de la région qui veulent
apprendre l’espéranto.. comment faire qu’y’ait plus de jeunes qui soient
motivés: ? ..pour venir à des rencontres ..et tout ça.... euh j’m’occuppe aussi
de:.. réaliser un site Internet.... pour euh donc //
S55- pour
la fédération ?
A56- pour
la fédération ..donc euh.. le site est:.. est en cours de réalisation avec
d’autres personnes du conseil d’administration.... pour l’association suisse..
donc euh:.. ben vu qu’je travaille en Suisse euh j’me suis
dit qu’ce s’rait intéressant d’faire un partenariat... et euh:.. vu qu’en fait y’a très peu d’monde..
j’ai été élue euh.. vice-présidente... voilà...
S57- et
euh:.. en tant que:.. en tant que locutrice de:.. de l’espéranto comment..
comment tu t’.. quali:fi:erais.. ? (léger rire)
A58- comment
ça ? ..comment j’me qualifierais euh.. ? ...quelle est ma personnalité:...
ou::.. ?
S59- ben:::..
mm:... euh par exemple qu’est-ce ..qu’est-ce que représente
pour toi le.. le mot espérantiste ?...qu’est-ce que ça t.... ? qu’est-ce //
A60- alors..
euh:... chuis en train d’beaucoup changer (rire)... disons qu’avant j’disais
toujours espérantiste pour des gens qui parlent espéranto... et: maint’nant
j’emploie les deux.. espérantiste espérantophone...
S61- et
est-ce que tu:.. //
A62- et::..
S63- //
vois une différence ?
A64- (soupir)
...personnellement c’est que des mots.. et bon.. bah... j’veux dire pourquoi..
pourquoi cet objet on l’appelle table... pourquoi on l’appelle pas chenille:..
ou:: fauteuil...
S65- donc
pour toi.. ça a:.....
A66- tu
veux dire le s.la signification du nom d’la langue par rapport à la langue..
?
S67- bah...
est-ce que:.. espérantiste espérantophone.. est-ce que c’est la même cho:se..
ou::... pour toi.. ou c’est... //
A68- ouais ben disons
//
S69- //
c’est xxx ?
A70- //
qu’en espéranto on dit esperantistoj [esperɑntistoj] pour les gens euh.. qui parlent espéranto:..
euh::... en français.. ben c’est vrai qu’y’a un terme qu’est plus exact qu’est
espérantophone.... maintenant.. que les gens disent espérantiste espérantophone
ça m’choque pas tellement...
S71- d’accord...
(rire) ..merci (rire) ...top
S1- alors..
est-ce que tu peux te: présenter euh.. en quelques mots.. ? (léger
rire)
M2- quelques
mots.. donc euh: je suis... Michaël M*****.. Vito de mon prénom espérantiste..
que m’a donné ma mère.... euh:.. j’habite Montigny-le-Bretonneux.. à côte
d’Versailles... dans la région parisienne...
S3- tu
as ces deux prénoms depuis euh:...
M4- depuis:...
S5- ta
naissance ?
M6- voilà..
c’est:... ce sont mes deux prénoms officiels... Vito c’est mon deuxième prénom
espérantiste..
S7- quel
â:ge.. as-tu ?
M8- 17
ans depuis l’cinq février...
S9- alors..
euh:... une première question.. même
si j’ai:.. une petite idée... mais
quelle est ta::... langue maternelle ?
M10- langue
maternelle.. c’est:... le français.. o.euh en ..c’qui
concerne l’école ...et l’espéranto.. que j’connais.. depuis euh: ma naissance.. puisque mes parents parlent entre eux.. en espéranto..
S11- et..
laquelle des deux t’as:.. appris en premier ? ..ça s’est fait euh... ?
M12- euh:..
l’espéranto.. j’ai
connai.j’ai commencé à l’parler.. que
très tardivement... parc’que j’le parlais pas: avec mes parents moi-même...
mais le français oui.. évidemment c’est la langue de l’école.. donc j’l’ai..
c’est celle-là que j’ai pal.. que j’ai parlé en premier.. ouais..
S13- et
à tes parents.. au début.. donc tu parlais... //
M14- //
en français
S15- //
en français ?
M16- mm
(acquiescement)
S17- ..
tes premiers mots ça dû être.. en français.... ? (rire)
M18- euh:..
oui.. je pense //
S19- //
sûr’ment.. ouais..... euh:.. et est-ce que tu
parles euh: ...une.. ou:.. d’autr.ou plusieurs aut’ langues ?
M20- euh..
je:... mon père est serbo-croate.. donc euh:... mais j’connais très peu la
langue.. parc’que i m’a:.. jamais vraiment parlé euh ..dans cette langue...
et bon:.. j’étudie.. le.. l’allemand.. à l’école ..et j’me débrouille pas mal
là-d’ssus... et l’anglais en deuxième langue.. chuis moins bon déjà..
S21- et:..
l.le serbo-croate.. tu l’.. comprends un peu.. ?
M22- je
l’comprend un p’tit peu.. mais:.. vraiment très peu puisque j’le pratique
jamais ..et: chuis allé euh... une fois.. une fois quand j’étais tout p’tit..
en:... en Croatie... et pis j’y suis allé euh..
récemment en quatre-vingt dix-neuf... mais je comprend euh... évidemment
beaucoup plus que j’parle...
S23- hein.. mais tu l’parles quand même un p’tit peu de:.. //
M24- vraiment
très très //
S25- //
de bases ?
M26- //
très peu
S27- (acquiescement)..
t’as d’la famille.. encore euh: ?
M28- j’ai
encore d’la famille oui il est..
S29- et
qui parle.. //
M30- //
du côté d’mon père
S31- //
et qui parle: ..quelle langue.. ?
M32- mais
qui parle pas espéranto..
S33- donc
euh //
M34- //
enfin seulement.. le serbo-croate..
S35- donc
avec eux.. t’es obligé d’te:.. ?
M36- ouais ouais..
S37- et
euh:::.. donc euh.. d.dans l’cadre scolaire t’as appris... l’allemand.. en
premier ?
M38- l’allemand
en premier ..et l’anglais en deuxième..
S39- xxx et euh:.. //
M40- //
comme tous mes frères et soeurs..
S41- et
après.. est-ce qu’y’a eu d’autres langues.. que t’as appris euh: ..comme ça ?
M42- ben
euh... je::.. j’étudie l’latin..
S43- le
latin... ?
M44- ouais (acquiescement)
S45- ....euh:::..
alors.. bon ça c’est (rire) ..peut-être une question.. je sais pas... comment: euh.. as-tu entendu parler de
l’espéranto pour la première fois ? ..est-ce que (rire)
M46- ouais..
c’est une question euh...
S47- (rire)
est-ce que toi.. t’es..
M48- ben..
c’que j’peux dire c’est que.. l’espéranto:... inconsciemment j’l’ai:... j’le
connaissais ..depuis ma naissance... mais:.. on peut dire vraiment que l’ai:.. que
j’l’ai découvert.. que j’m.j’ai commencé à m’investir là-d’dans depuis.. euh...
la première fois où chuis allé euh:.. dans une rencontre euh... // bon.. quand
j’étais tout p’tit.. chuis allé dans un congrès euh... le congrès d’Belgique..
je crois... je sais même plus si c’était... qu.. quelle association c’était...
S49- mm
(acquiescement)
M50- mais
bon.. j’en ai pas:... bon en c’qui concerne l’espéranto c’était pas..
S51- ouais
M52- j’en
ai pas vraiment grand souvenir ..comme j’étais tout p’tit.. mais
en.. //
S53- //
mais tu l’parlais.. tu l’parlais déjà ?
M54- j’peux
pas m’souvenir.. mais j’pense que euh:.. j’étais capable de m’débrouiller un.. un minimum.... et donc euh:.. en quatre-vingt dix-huit.. c’est là
qu’chuis allé la première fois en milieu espérantiste vraiment pour aller à un
stage... donc c’était à Bouresse.. au centre La Kvinpetalo [la kvinpetɑlo]..
S55- jes
[jes]..
M56- Kvinpetalo
[kvinpetɑlo].. sans La... bon (rire)
...et donc euh.. c’est là vraiment où j’ai pris conscience de c’que c’était
l’espéranto et qu’j’ai commencé à m’intéresser vraiment à ça...
S57- et
euh:.. à:... à la maison.. ici.. vous... en quelle langue vous parlez justement
avec ..ton père ? //
M58- alors..
donc //
S59- //
tes.. ? //
M60- //
euh mes parents.. entre eux.. parlent espéranto... euh.. nous
euh.. entre les.. entre les enfants.. on parle.. évidemment français puisque
c’est notre euh.. la langue qu’on.. notre langue maternelle et on n’a jamais eu
l’habitude de parler espéranto entre nous.. mais euh.. on est capable de.d’en
parler.. ça nous arrive euh... enfin bon.... le..le.. //
S61- mais
habituellement //
M62- //
on l’fait pas
systématiquement.. //
S63- //
entre frères et soeur //
M64- //
ouais
S65- //
..vous parlez:... en français... ?
M66- //
puisque.. dès l’enfance.. c’est cette habitude qu’on a eu..
S67- et
ta mère est: ...de langue française ?
M68- ma
lèr.. ma mère.. oui... de langue française....
S69- euh:::..
et euh:.. bien
qu’t’aies un peu partiellement répondu..mais
qu’est-ce.. quelles ont été les motivations qui:.. qui t’ont
continué.. qui t’ont motivées à continuer à... à utiliser cette langue
euh... ?
M70- ouais..
bah.. de:... j’ai tout d’suite euh.. quand j’ai:.... les.les personnes que j’ai
rencontrées en quatre-vingt dix-huit quand chuis allé à: .. la Kvinpetalo [kvinpetɑlo]...
quand j’ai participé au stage.. ça m’a.. évidemment bien plu.. et:... les
milieux le milieu.. les personnes euh.. que j’.que j’y ai rencontrées et
j’ai:... j’ai commencé à apprendre un peu sur l’idéologie.. et:... tout c.tout c’qui
va avec...
S71- mm
(acquiescement)
M72- donc
euh... c’est ça qui m’a intéressé...
S73- et
euh::... et tes frères.. euh:... par rapport à toi.. justement est-ce que ça
été le même processus.. ? c’est à la même époque qu’ils se sont
intéressés ? ..ou::... ils s’y étaient déjà xxx...//
M74- alors
euh:... mon frère... le.. le plus aîn...
l.l’aîné.. Vinko [vinko]... i s’y xx.. il y a commencé:.. à ce.. à cette émergence euh::... plus tôt.. j’crois...
en quatre-vingt dix-sept... p’têt même avant... enfin par un.. un congrès à.. à
Augsburg [osbur].. .qu’il a fait avec euh.. en compagnie de:.. de mon
grand-père qu’est lui-même espérantiste... donc c’est à partir de là que
..vraiment i s’est.. s’est.. investi.. qu’il a commencé
à s’investir là-d’dans..
S75- grand-père..
euh::... paternel ou maternel ? //
M76- //
paternel..
S77- paternel...
M78- mm
(acquiescement) .....ouais.. et:: ....sinon.. le deuxième.. Lino...
lui.. i::.. //
S79- qu’est
plus âgé qu’toi également ?
M80- qui
est plus âgé qu’moi.. aussi... qui est entre les deux... euh::... lui.. euh
l’espéranto il le:.. il le parle.. i s’débrouille évidemment:
...correctement.... mais::.. il le.. il.. i court pas après.. disons.... il
le:... ch’peux dire que i::.. i participe à des rencontres euh.. pour euh:...
apporter.. son:... son:.. son aide musicale.. parc’qu’i fait d’la musique..
et::... l’espéranto.. il y participe surtout dans c’cadre-là.... mais euh.. au
niveau de l’idéologie.. et tout ça.. il est pas très:... pas très investi..
quoique il a:.. il a quand même particip.. i quand même.. il a quand même participé à la.. à l’écriture de La Juna Penso [lɑ junɑ penso].... donc euh:.. mais i f’sait là.. il
utilisait ses talents de dessinateur..
S81- mm
(acquiescement) ...mais... ouais.. j.justement.. i.moi... et::... et ta
soeur euh:.. ?
M82- ma
soeur euh:... elle est:... bon.. elle est encore beaucoup plus jeune ..elle...
mais.. mais en même temps qu’moi elle s’est... e chuis allé..
elle est allée avec moi aussi en quatre-vingt dix-huit //
S83- à
Bouresse
M84- //
à Kvinpetalo [kvinpetɑlo]... e s’est:.. elle
aussi.. elle a rencontré des gens très bien et:... elle.. e::: ..elle est
plutôt euh.. intéressée par le côté correspondance.. communication avec les
autres et.. elle fait... bon.. elle s’intéresse pas encore..
énormément:... au côté idéologique.. et:... tout ça mais...
j’pense qu’elle y viendra quand elle s’ra un peu plus.. âgée..
S85- alors..
toi actuellement.. t’es:: ...lycéen c’est ça ?
M86- en
terminale
S87- terminale...
et::.. est-ce qu’il t’arrive parfois d’utiliser euh:... l’espéranto.. m... dans
tes activités ben... en dehors euh:::... en dehors euh:.. du domaine familial.. ou... ?
M88- ben..
i y’a... bon.. euh depuis que.. depuis quatre-vingt dix-huit... j’me suis lié
euh:.. avec ma soeur et: ..p toute ma famille.. d’amitié
avec les.. les... ceux qu.les dirigeants de.. la Kvinpetalo [kvinpetɑlo].. de Kvinpetalo [kvinpetɑlo]... et.. euh:.. donc depuis euh.. depuis quelques
temps.. donc j’y vais quasiment systématiquement maint’nant.. à toutes les
vacances euh... dès que:.. j’en ai la possibilité... donc ça.. ça
m’apprend beaucoup... là j’utilise ..énormément l’espéranto bien sûr...
S89- mais
par exemple au lycée.. ? non.. t’en //
M90- //
au lycée.. bon ben de temps en temps.. j’en parle:.. il m’arrive d’en parler:..
à quelques copains.. puisque.. euh ma mère.. elle-même.. y enseigne:
l’espéranto aussi... à quelques personnes... mais ça reste xxxstant
S91- que
l’espéranto... ? ou elle est aussi également //
M92- //
elle est aussi prof.. //
S93- //
prof...
M94- //
prof d’histoire-géo en même temps..
S95- dans
l’même euh...
M96- dans l’même établissement //
S97- //
établissement... euh::... et:.. quelle est la place pour toi.. justement... de
l’espéranto.. d.dans... dans la vie d’tous les jours ?
M98- mmm...
t’as une xx question.. //
S99- (rire)
M100- chais pas comment.. trop y répondre.... bon.. je sais que.. bon.. j’m’y intéresse
énormément.... en c’moment.. j’fais mes études.. i faut que j’réussisse là-d’dans...
j’essaie de:.. de rentrer dans une classe prépa
S101- des études de.. ?
M102- de:::...
sciences physiques.. de:
S103- mm
(acquiescement)
M104- ...ouais...
des études scientifiques
S105- mm
(acquiescement)
M106- biologie... sciences.. physiques.... ouais donc.. euh: j’ai:... pour
l’instant chuis un peu occupé euh par autre chose.. mais euh.. dès qu’j’en
aurai la possibilité.. j’ai x.. j’ai l’intention d’étudier ça
euh.. beaucoup plus à fond... passer les examens euh.. qui permettent euh... dans.dans l’cadre d’EFI [øfoi].. qui permettent d’enseigner... et euh:..
vraiment.. m’investir.. beaucoup plus là-d’dans...
S107- EF
[øfoi].. euh::..
M108- EFI
[øfoi].. Franca Esperanta Instituto [frɑntsɑ esperɑntɑ instituto] //
S109- //
Instit [instit]... ah oui !... //
M110- //
d’accord (léger rire) //
S111- //
je connais.... en français.. moi... Institut Français d’Espé... euh::.. et
euh:::... et alors tout à l’heure tu m’disais que ça t’arrive parfois d’en..
d’en parler euh.. autour de toi.... quelles sont généralement les.. les
réactions euh:.. ?
M112- ben..
encore euh :.. rien qu’c’t’après-midi.. j’ai encore eu:... il a x.il a encore été question d’ça... et c’qui m’é:..
c’qui me:.. me.à chaque fois que:.. que j’en parle c’qui m’étonne le plus...
c’est qu’les gens en général.. sont tout à fait pour l’espéranto..
S113- mm
(acquiescement)
M114- ils
disent oui ! super ! génial !... et::.. quand j’leur demande
pourquoi ils s’y mettent pas eux.. i m’disent.. parc’que personne le parle... (léger
rire) ..donc.. évidemment.. c’est n.c’est tout à fait
contradictoire.. j’leur dis ça.. et i m’disent.. i savent pas trop quoi
répondre.... ça en reste là bien souvent..
S115- et::...
comment d’après toi justement.. les.le peu d’gens (rire) qui l’parlent l’espéranto...
comment::... comment ils sont perçus de l’extérieur... ? comment.. tu xx
M116- ben
j’ai l’impression qu’i sont::.. qu’i sont perçus un peu comme des marginaux...
plus ou moins.... mais.mais pas::.. comme.plutôt comme des gens intéressants...
mais euh:.. des ex.. peut-être des exemples à suivre.. mais qui sont
malheureusement jamais suivis... donc euh...
S117- et::...
euh m:... et pour.pour toi-même justement.. que r’présente euh:... la langue à
la fois.. et pis ses utilisateurs... ? les gens qui.. les
gens qui la... //
M118- que
r’présente.. euh la langue et ses ut.ilisateurs ?
S119- ouais (acquiescement) ...la langue espéranto.. pis... les gens qui:..
la parlent...
M120- la
langue espéranto... bon ben c’est:.. c’est pour moi un outil...
S121- mm (acquiescement)
M122- tout
simplement... et qui est facile à.. facile à.. à apprendre et: ...à s’a.s’approprier et: à utiliser.... et les.. les utilisateurs bon
ben euh.. on peut avoir beaucoup d’contacts avec eux.. on
peux construire des choses... et:: essayer de:... y’a des associations euh..
comme SAT [sɑt].. auxquelles euh.. j’ai
adhéré... qui sont euh:.. dont et qui ont... qui ont but
d’utiliser l’espéranto justement.. dans des::.. dans des buts idéologiques..
S123- alors
ben justement.. (rire) //
M124- ouais ?
S125- t’en
r’viens à ma suixxxx //
M126- //
bonne transiti... //
S127- //
question.. c’est.. justement.. est-ce que tu.. tu fais partie d’associations
d’espéranto ? //
M128- //
voilà ! //
S129- //
..si oui lesquelles.. ? et que fais-tu au sein.. au sein d’ces diverses... ?
M130- bon
en euh:... ben.. comme j’ai dit.. pour les:.. //
S131- //
enfin.. une ou plusieurs... je sais pas...
M132- //
pour la raison que:.. que j’ai:.. j’ai dite.. avant.... euh:.. le... le p.bon j’chuis adhé.j’adhère à SAT [sɑt] comme:.. pas mal de membres de ma.. membres de ma
famille... parc’que.. j’ai lu les statuts.. et j’m’y intéresse.. j’trouve:..
que j’suis d’accord avec l’idéologie.... donc qui est.. qui a pour but de
rendre.. les gens euh... klera [klerɑ]...
c’est-à-dire.. euh::... //
S133- //
instruits..
M134- bien
pensants.. instruits.. et:... donc euh:.. dans un.. qui ont.. qui ont envie
d’faire évoluer les choses dans l’bon sens...
S135- mm
(acquiescement)
M136- et:::
...donc euh:.. en c’moment.. j’ai pas énormément d’temps.. j.. pas d’possibilité d’agir vraiment dans: ..cette association... mais
euh:.. mon:.. mon frère qui est:.. mon.. Vin.Vinko [vinko].. qui est... au
Junul-Fako [junulfɑko]...
S137- mm
(acquiescement)
M138- SAT
[sɑt].... donc à la.. fraction jeune... et qui est..
aussi euh:.. plus récemment au::.. au Plenum-Kominat.. au Komitato [komitɑto].. jes [jes]... et:::.. ben::... lui il est
beaucoup plus actif que moi... mais i.. i vient d.. d’entrer à::.. à l’École
Normale de Lyon.. donc il a beaucoup plus de temps et:... si j’pouvais suivre
sa voie.. et le rejoindre et ..l’épauler ..dans c’qui fait.. ça me... ça
m’plairait bien...
S139- et:
est-ce que tu fais partie d’autres associations:.. ?
M140- mmm.. non....
S141- non ?
M142- je crois pas... enfin je.. ouais.. j’suis membre
de.. l’association.. la Société Yvonne Martinot.. donc.. qui est.. fondatrice
de la.. de Kvinpetalo [kvinpetɑlo]...
mais sinon.. je crois pas...
S143- et
tout à l’heure.. justement.. quand tu parlais... euh:.. d’idéologie...
qu’est-ce que t’entends par idéologie ? ...l’idéologie ....ou est-ce que
c’est la même chose.. l’idéologie d’l’espéranto ? de SAT [sɑt] ? ..ou est-ce que c’est:.... ?
M144- mmm:...
l’idéologie d’l’espéranto.. c’est:... c’est-à-dire euh: //
S145- //
ou est-ce qu’y’en a une ? (rire) //
M146- oui...
est-ce qu’y’en a une ? ...bon y’a:.. on parle d’idéologie interne... parce
que c’est:.. évidemment.. Zamenhof qui l’a conçu.. il avait une idée derrière
la tête.. donc euh..
S147- la
interna ideo [lɑ internɑ ideo] ?
M148- ouais..
voilà... de:... de paix et de.. interfratiĝo [interfrɑtidʒo]...
S149- mm
(acquiescement)
M150- ..donc
euh:... fraternité.... donc ça.. évidemment j’suis d’accord avec.... et:.. mais
euh:.. les:... le but de SAT [sɑt]..
dans son.. dans son... dans c.. dans c’qu’elle est euh:... une association de
travailleurs.... c’est.. c’est un.. c’est le:.. ça poursuit.. c’est dans la
continuité j’pense de:.. de la interna ideo [lɑ internɑ
ideo].. et c’est:... ça s’applique.. plus... à la modernité euh.. de la
situation actuelle mondiale...
S151- mais
c’est pas rattaché au x ..directement à l’espéranto... ? c’est comme tu disais d’ta l’heure... s.s’sert
de l’espéranto comme euh:.. comme outil..
M152- voilà...
comme d’un outil.... per esperanta asocio [per esperɑntɑ ɑsocio]....
S153- ..euh::..
ben ch..j’te remercie.. (rire)
M154- ça
y est ?
S155- dankon
(léger rire)
S1- alors
est-ce tu peux.. te.. te présenter.. en quelques mots ?
G2- eh
bien.. mmm:.. je m’appelle.. Gaby T*******... j’étais institutrice...
j’habite à Saint-Quay-Perros... entre Lannion.. et Perros-Gerrec... euh::...
bon.. euh je.... qu’est-ce
que tu veux me dxx ? (rire)
S3- j:e
sais pas.. euh une question... chais pas si c’est indiscret::... euh c.. ton âge... quel â.. ? (léger rire) //
G4- ah
oui... bon je suis née en mille neuf-cent vingt... alors.. si vous (rire)
calculez bien.. j’aurai quatre-vingt-quatre ans cette année...
S5- alors..
quelle est:.. ta langue euh.. maternelle... ?
G6- ma
langue maternelle est le français...
S7- tes
deux parents.. parlaient:.. français ?
G8- oui...
oui oui.... mes grands-parents.. parlaient breton.. mais... euh:... la langue..
la langue euh... de la famille c’était le français...
S9- aussi
bien.. et c’était la langue maternelle de tes deux parents ? //
G10- //
oui... oui..
S11- donc
toi.. tu as eu... et est-ce que tu:::..
G12- je
sais très p.. je sais quelques mots de breton.. mais:... très
peu...
S13- mm
(acquiescement)... tes grands-parents le parlaient ?
G14- mes
grands-parents le parlaient...
S15- et
est-ce que tu: ..tu parles.. ou tu as appris d’autres langues justement... ?
G16- ben::..
à l’école.. j’ai appris:: ...l’anglais.... j’ai fait de l’anglais
pendant:... euh:.. six.. sept ans.... j’ai:.. fait du latin... euh.. six
sept ans aussi.... euh grec ancien... pendant:... quatre ans....
voilà !.. c’est tout !
S17- mm (acquiescement)
G18- ..j’ai
pas.. je n’ai pas appris: euh:... eh bien.. comme je
faisais du latin.. je n’ai pas pu apprendre euh::... j’ai pas pu faire de
l’allemand..
S19- d’autres..
ouais.. d’autres langues vivantes //
G20- //
parce que.. y’avait.. plusieurs sections.... y’avait.. les.. les littéraires..
enfin y’avait.. A::.. A prime.. B... enfin bon... alors euh.. ça m’a empêché...
ben je suis contente d’avoir fait du latin bien sûr... et.. mais ça m’a empêché d’avxx.. // non.. c’est pas le latin qui m’a empêchée
de:.. de faire de l’allemand... c’est:.. le grec... parc’que:... c’était une
deuxième langue..
S21- d’accord..
G22- on co.. on commençait le latin en sixième... et on commençait le grec en
quatrième...
S23- alors..
comment tu as.. entendu.. parler de l’espéranto //
G24- //
comment.. j’ai.. en:tendu... ?
S25- //
pour la première fois ?
G26- ...eh
bien c’était.. en mille neuf-cent trente-six... y’avait la:.. la révolution
en:.. en Espagne.... et: alors.. je dis à mon père.. bé... y’a des réfugiés qui
arrivent.. nous n’allons pas les comprendre.. nous devrions tous parler la même
langue... et mon père me répond.. il y’a l’espéranto ! ...mais.. il
n’en savait pas beaucoup plus.... alors.. je suis restée sur ma faim... pis
j’ai eu.. d’autres euh.. soucis... passer des examens et cetera... bon.. en
mille neuf-cent trente-neuf c’était la guerre... et: je n’ai plus entendu
parler d’espéranto... m euh:.. jusque:... mille neuf-cent quarante-six....
après la guerre...
S27- dix
ans ap.. //
G28- donc
dix ans après.. pardon... dix ans après.. je
vois.. une annonce... apprenez l’espéranto.... ah::!.. j’axx par curiosité..
j’ai voulu.. euh::... savoir ce.. ce que c’était.... je me suis inscrite
à des cours par correspondance... et celui qu’avait: fait l’annonce.. c’est...
c’est... comment c’est.. ce monsieur-là... un insti.un instituteur.. qui avait
acheté le château de::... Grésillon..... euh:.. comment il s’appelait déjà... xon non.. xon donx j.. bon..
c’est pas trop grave.. de pas savoir le nom...
S29- non
non //
G30- //
on peut trouver.. //
S31- //
c’est pas grave (rire)
G32- //
on peut trouver.... Micard !.. monsieur Micard ! //
S33- //
ah oui Micard..
G34- //
..voilà.. monsieur Micard... et:... je peux pas parler.. de Grésillon un peu ?
S35- ben..
euh:::...
G36- non !
S37- ..si
tu veux..
G38- oui !..bon....
alors.. les instituteurs espérantistes avaient l’habitude de se.de se rencontrer.. à:.. en été.... et::... ils s.ils se réunissaient dans un lieu.. dans un autre.... et ils ont voulu
avoir un.. un endroit ..fixe... et chacun de son côté a cherché... et monsieur
Micard.. a trouvé.. un château... tout simplement (rire).... il a fait
appel aux espérantistes euh:: ..enseignants ...et puis après aux autres....
et::.. tout l’monde a participé.. pour l’achat du château.. voilà... cha.. on.. versait:: euh: c.. à l’époque.. cent
francs: pour... et y’a eu.. y’a eu du succès.. le château a été
acheté... voilà... et maint’nant euh.. on peut s’ encore se:..
se: réunir là... y’a des stages... voilà...
S39- et
toi.. tu étais déjà ..donc ..espérantiste à l’épo... ? euh:.. et euh.. //
G40- oui
S41- //
..institutrice... ?
G42- oui...
ben ben oui bien sûr.. moi j’ai commencé en mille neuf-cent trente-neuf... et:
en quarante-six j’étais institutrice... mais j’avais la chance cette année-là..
de ne pas avoir.. une classe euh ...très chargée.... alors.. je me suis mise à
l’espéranto:... et ça m’amusait.. je faisais ça comme un jeu... mais.. sans
savoir où ça allait me mener.. je connaissais aucun espérantiste..
S43- parce
que.. c’était quoi.. j ...tes motivations.... ?
G44- la
curiosité.. peut-être... et puis:... quand même.. parc’que... déjà en
trente-six.. j’avais éprouvé ce besoin-là d’une langue euh.. une langue commune
euh... donc euh c... y’avait ça aussi...
S45- et..
//
G46- //
oui //
S47- //
euh:... et est-ce que aujourd’hui... qu.quelles sont les motivations.. qui::..
qui t’ont poussé à continuer à parler l’espéranto... ?
G48- eh
bien:..
S49- //
par rapport à l’époque.. ?
G50- //
ben c.. bé... alors quand j’ai.. quand j’ai connu
l’espéranto... bon.. je suis.. en même temps.. à peu près en même
temps.. j’ai connu.. au::.. sitôt après.. plutôt... j’ai connu.. le service
civil international... et je suis allée sur des chantiers... et là j’ai
rencontré.. des espérantistes... et je n’avais que quelques mois d’espéranto..
et j’ai rencontré.. un suédois qui.. qu’était très content.. parc’qu’i ne::..
connaissait pas le français.... et alors là ça m’a ..vraiment motivée de voir
que je pouvais ..communiquer avec un ..suédois ...par l’espéranto.... alors j.. ça m’a encouragée à continuer... alors j’ai.. je suis
allée.. à différents congrès... et je trouvais que c’était très: intéressant de
pouvoir.. communiquer avec des gens de toutes sortes de nationalités....
S51- et
c’est ça qui t’a::.. qui te m.. qui t’a motivée... et qui
te:.. motives encore ?
G52- oui...
c’est.. je pense que c’est la rencontre avec cet espérantiste suédois.. qui
m’a: ...encore plus motivée...
S53- et::..
est-c’qu’il t’est arrivé d’utiliser euh... l’espéranto.. dans le cadre de ton
travail.... ?
G54- de
mon travail:... (soupir) non.. pas beaucoup... comment ça ? ..coxx //
S55- quand
tu étais institutrice.. //
G56- quand
j’étais institutrice ? ...c’est-à-dire j’ai enseigné à des enfants.. mais...
parce qu’i y’a.. qui souhaitaient ..apprendre l’espéranto..
S57- dans
le cadre de: l’école... ? ou euh:..
G58- euh..
en dehors de l’école...
S59- en dehors..
G60- en dehors de l’école... ah ben.. à l’école.. je leur ai un peu parlé...
mais les c.. les cours étaient en dehors de l’école..
S61- et
tu avais.. tu avais des collègues euh... ?
G62- eh
bien.. c’est-à-dire que.... euh j’étais dans un p’tit::.. un p’tit village...
et: j’avais une amie.. dans un:.. un chef-lieu de canton.. qui avait les quatre
euh: ..fillettes.. de ..dix douze ans donc.. plus âgées que les miens.. qui
voulaient apprendre l’espéranto... et moi j’avais fait.. un an d’espéranto...
le: .. dimanche je prenais mon vélo.. et j’allais.. leur faire un p’tit.. un
cours ...et je les ai retrouvées depuis (rire) ..ça été.. ça été une joie de les retrouver hein..
S63- mais..
tu en parlais parfois avec les:.. les autres... justement.. en plus des
enfants.. tu en parlais parfois aussi aux autres instituteurs... en.. ?
G64- oui...
oui oui... certains étaient favorables.. d’autres moins... m’enfin.. en
général.. oui:... mais... // a.. alors l’ins.. la
directrice de l’é:.. de
ces.. de l’école de ces enfants.. là... m’a justement.. m’avait dit ..qu’elle n’avait.. elle n’avait pas fait assez
d’espéranto pour leur en.. enseigner.... et alors.. elle me demandait que
j’aille... et après.. elle a continué...
S65- à
l’enseigner ....à
l’enseigner ?
G66- oui...
elle a continué à enseigner..
S67- et
que:lle est:: ..la place de l’espéranto:.. pour toi.. dans ta vie de tous les
jours... ?
G68- eh
bien... m.maintenant.. que je suis âgée.. que j’peux pas
faire... grand’chose (rire)... eh bien.. c’est ce que.. qui.. le plus facile... de faire.... et ça me moxx.. enfin...
S69- c’est-à-dire...
de l’parler ? ..de l’enseigner.. ?
G70- oui...
je vois qu’y’a des demandes.... et:... ben c’est venu..
progressivement.. depuis que je s.. surtout depuis que je suis en retraite...
depuis la visite des.. des Robineau hein... le maire de
Saint-Quay m’a proposé une salle.. et y’a eu des enfants qui se.. qui s.ont voulu app.. qui sont venus apprendre l’espéranto... et pis à
partir de ça:.. j’ai toujours eu des élèves... et à partir de ça aussi..
dans le petit bulletin: de::.. Vivre à Saint-Quay... chaque fois que paraît le
bulletin.. on me demande si j’ai quelque chose à dire... et:.. y’a toujours..
y’a toujours un page.. concernant l’espéranto.. y’a toujours quelque chose à
dire...
S71- donc..
c’est les gens qui viennent ..vers toi... ?
G72- et
alors.. les gens se.. commencent à se demander.. mais qu’est-ce que
c’est:.. ? ils veulent des.. alors ils me demandent.. mais... vous pouvez
nous expliquer ..un p’tit peu: ? ...ben je dis.. ben venez chez moi !
..et puis.. je: ..leur fais une p’tite démonstration... et certains restent...
S73- mais
toi t.. de toi-même.. tu:: ..en parles souvent autour de toi... ? auprès... de tes connaissances.. de...
G74- //
ho:::: ... oui.. bien sûr....
S75- et
c..
G76- //
bien sûr.. bien sûr...
S77- //
c.. comment d’après toi... l’espéranto est perçu:.. de l’extérieur.. d’une
manière gé.. générale... ?
G78- oh:..
c’est variable.. hein... certains.. trouvent que l’idée est ..très bonne...
d’autres.. pensent.. que c’est:.. (soupir) ..que c’est.. chimérique...
enfin bon.. les avis sont:.. sont partagés.... c’est très d.. c’est très
divers..
S79- c’est
pas vrai.. c’est pas uniforme.. ?
G80- non...
non.. pas du tout...
S81- mais:..
y’a plus d’avis //
G82- //
mais:.. j’ai beaucoup d’amis //
S83- //
..positifs ? négatifs ?
G84- //
..qui sont favorables.. à l’espéranto... mais qui n’y viennent pas...
sauf qu’ils n’ont pas le temps.. ou:.... voilà...
S85- et::..
euh... est-ce que:.. tu as:... pour toi.. qu’est-ce que r’présente la langue euh
..son utilisation... et.. et ses utilisateurs... ?
G86- eh
bien moi je trouve.. que c’est quand même intéressant: de pouvoir communiquer
avec euh.. des gens de:.. tous les:.. de tous les continents.... quand on va à
des.. congrès.. comme... comxx à Göteborg [gøtøbɔrg] ..eh
bien.. on rencontre des gens de soixante.. soixante-cinq euh... nationalités...
y’a pas seulement qu’des Européens.. je.j’ai parlé avec
une Américaine.. j’ai parlé avec des Chinois.. et des Japonais... c’est très..
c’est quand même intéressant de pouvoir.. de pouvoir échanger avec.. avec des
gens de:.. de tous les:.. continents ..et sur des sujets.. très divers...
parc’que dans les grands congrès.. y’a les assem.. y’a
le::... bon.. y’a des.. des réunions très diverses selon les.. selon les intérêts des uns et des autres euh.. euh:.. y’a.. y’a par exemple euh.. la rencontre des citoyens du mon:de.. des
philatélistes.. des.. enfin c’est très très variable..
S87- justement
pour toi.. les.. les utilisateurs euh... euh:.. comment tu t’les ..r’présente.. ?
y’a pas de.. d’image type de... de:.... // que r’présente pour toi oui les..
les gens qui.. qui utilisent l’espéranto.. ? est-ce que....
G88- ben
g.. en général.. ce sont des gens:.. sympathiques.. ce sont des gens qui sont
ouverts.. qui sont.. très ouverts.. sur le monde... et moi je suis citoyenne du monde.. alors je pense que ça.. ça va bien:.. ça va bien ensemble...
S89- et:
est-ce que t’as souvent:.. l’occasion de: ..pratiquer euh.. la langue... ?
G90- oh:::...
je la pratique.. surtout.. enfin... avec mes élèves.. bien entendu... et:..
aussi par correspondance... j’ai d’assez.. j’ai eu de nombreux correspondants... certains sont
décédés.. malheureusement.. y’en a d’autres.. des nouveaux... et:::... depuis
je suis allée en:.. en Suède.. j’ai de nouveaux co.correspondants...
S91- et
est-ce que tu fais partie:.. d’associations: ..d’espéranto.. ?
G92- ah
oui.. //
S93- //
si oui.. les.lesquelles euh.. ?
G94- ben..
j’adhère.. à l’Union Espérantiste.. Mondiale.. UEA [uea]... j’adhère euh.. à
SAT [sɑt].. réunion de SAT [sɑt]... j’adhère euh... aux cheminots aussi.. ah:.. l’association des cheminots..
S95- alors
qu’tu n’es pas du tout:... (rire) cheminot.. ?
G96- non...
mais ils acceptent euh... bien sûr.. nous ne.. nous n’allons pas voter aux m.. à l’assemblée générale.. c’est normal... mais:.. les cheminots.. //
S97- pourquoi
t’as voulu adhérer.. ? //
G98- //
s.sont.. sont très ouverts hein.. ils
acceptent euh:... et je les connais depuis longtemps..
S99- et
pourquoi.. tu as voulu ..par exemple.. adhérer à l’association des... cheminots.. ? //
G100- //
pourquoi xxx.. venir ici ?
S101- non... à l’association des cheminots... pourquoi... ?
G102- parc’que
je les trouve sympathiques... i font.. euh:.. i font beaucoup d’excursions euh.. i sont très axés sur les excursions.. bé...
S103- et
justement.. est-ce que t’es:... est-ce que tu es:.. active.. au sein d’ces
différentes associations... ? qu’est-ce que tu fais au sein de...
G104- oh:..
active... bon ben je suis pas active... dans l’association des cheminots.. bien
entendu euh::... mais::.. autrement.. je participe à SAT [sɑt].. je participe aux congrès de SAT [sɑt].. de SAT-Amikaro [sɑt ɑmikɑro]... aux congrès.. aux congrès mondiaux.. comme
euh:... je fais ce que je peux..
S105- mm
(acquiescement)
G106- mais
je veux pas avoir de responsabilité particulière hein... xxx xxxx savez.. je n’veux pas:... bon.. j’pense
qu’à mon âge.. maintenant ...je me contente ..d’enseigner l’espéranto.. pour
que l’espéranto continue.... et là.. je vois.. quand même.. quelques élèves..
là... qui::.. qui pourront prendre la suite...
S107- et.. et justement... comme euh: ..locutrice de l’espéranto.. comment tu
te:.. tu t’qualifies.. ? tu....
G108- comment
ça... ?
S109- comment
tu te::: ..considère aujourd’hui.. ouais comme euh...
G110- je sais pas xx xx.. je sais pas ce que tu.. veux de moi... m’enfin moi..
je considère..que... l’espéranto c’est pas une panacée... mais.. ça va dans
le sens.. ça va dans le sens euh.. d’une vie.. meilleure... d’une vie.. euh:.. de plus de:... d’une vie plus ouverte.. un peu plus sur
le monde... donc:... voilà.. mais.... d’autres.. mais je c.. je con.. x’autres qui sont pas espérantistes
aussi.. vont dans.. dans le même sens... mais quand même.. l’espéranto nous
donne plus de facilités ..de communication.... que::... on peut pas apprendre toutes les
langues qui sont parlées dans le monde...
S111- et
justement.... toi.. est-ce que tu te:.. euh::... j’avais lu un d’tes articles.. euh.. récemment.. euh:... tu t’qualifies comme espérantiste ou
espérantophone [esperɑ̃tofɔn]... ?
G112- ben
c’est-à-dire que:.. je comprends: ceux qui trouvent que le::.. xx le suffixe -iste euh... (petit bruit d’embarras) euh:::.. bon...
leur fait penser.. à d’autres -istes et qu’ça le.. je
comprends.. je comprends ça.. que ça les: gêne un peu... mais d’un autre côté..
espérantophones... ce
n’est.. ça n’indique pas.. l’idéal de
Zamenhof... ce.celui qui est espérantophone [esperɑ̃tofon].. il parle espéranto... mais.. il n’a pas
forcément.. l’idéal.. qu’é::... qu’était celui de:.. Zamenhof.. le:: fondateur
d’espéranto... on peut parler espéranto.. pour faire du commerce.. ou
pour faire.. je sais pas.. un..
S113- et
donc.. est-ce que pour toi i y’a une différence entre espérantiste ..et espérantophone.. ?
G114- oui::..
y’a quand même une différence... mais.. je suis.. prête à me rallier à ceux qui
préfèrent euh.. espérantophone [esperɑ̃tofon]... vis-à-vis d’l’extérieur.. peut-être c’est
mieux... boh.. peut-être..
S115- et
toi.. tu t’considère comment... ?
G116- ah
bé.. à la fois espérantiste.. et à la fois espérantophone [esperɑ̃tofon] (rires des deux) ....mais alors.. y’a
quelqu’un qui a x.. qui a trouvé encore autre chose... c’est
espérantien espérantienne.. la première fois qu’j’ai entendu ça.. mais qu’est-ce
qu’i rac.. //
S117- //
j’ai jamais entendu ça... (léger rire)
G118- oui..
t’as jamais entendu.. ?
S119- non..
G120- c’est::....
c’est Silfer.. là.. un suisse... enfin il habite en Suisse //
S121- //
en français.. ? il l’avait dit... ? //
G122- //
oui::..
S123- //
ou esperantano: [esperɑntɑno:]... ?
G124- non...
il a.il l’a dit en... espérantien.. espérantienne... ben j’me suis dit... qu’est-ce
que... ah ! ....on pourrait trouver
encore autre chose... esperanta:no [esperɑntɑ:no]..
S125- et
tu en as parlé avec lui.. ?
G126- non..
S127- avec Silfer.. ?
G128- non..
j’étais étonnée quand j’ai entendu dire espérantien...
S129- c’est
récemment.. que:... ?
G130- oui..
oui oui.. c’était:... à une rencontre des citoyens du monde.. à Paris...
S131- d’accord...
merci Gaby (rires des deux)
S1- est parti.... alors est-ce que tu peux euh.. te présenter un peu en: ..quelques mots... ? (léger rire)
T2- mon
nom ? mon âge.. ?
S3- oui..
T4- Thierry
P*****... quaran:te:-deux ans.... euh enseignant...
S5- euh::::
...alors quel est euh.. ta... ou tes langues maternelles.. ?
T6- français..
S7- français..
T8- c’est
tout..
S9- u..
uniquement... et alors est-ce que tu:.. tu parles une ou plusieurs autres
langues... ?
T10- euh
à voix haute.. ?
S11- euh:::..
ben::.. est-ce que.. t’as appris d’autres langues.. ? est-ce que t’en
parles d’aut.. ?
T12- oui..
j’ai appris.. et j’crois avoir ..relativement bien conservé l’anglais...
S13- mm
(acquiescement)
T14- j’ai
appris l’espéranto.. euh très jeune.... et euh (soupir) ..oui.. il m’en
reste quand même pas mal... d’espéranto.... euh: appris un peu l’allemand...
mais euh.. un p’tit peu.. j’étais euh.. moins:.. attentif... euh::.. c’est
tout...
S15- et:::..
dans quelles circonstances euh:.. les as-tu apprises.. ?
T16- ben
l’espéranto c’était euh:.... j.. dans l’cadre d’une euh...
c’est des.. des cours à la maison des jeunes... et puis neuh.. l’anglais
l’allemand.. c’était euh:..
S17- //
vers //
T18- //
à l’école..
S19- //
quel âge pour chacune... ?
T20- alors
l’espéranto j’ai:.. fait ma première année euh:.. ch.. j.. de sept ans: ..à: ..huit ans... enfin de sept et
d’mi à huit et d’mi... et puis euh::.. j’ai dû faire une deuxième ..année euh..
enfin une partie d’deuxième année juste aprés... et puis..
euh.. plus tard euh.. plus tard j’ai refait une deuxième année.. j’m’en rappelle que:.. je devais être en::.. cinquième ou quatrième....
S21- et
pour les.. euh.. ?
T22- et
puis j’ai jamais été jusqu’au bout d’la deuxième année..
jamais passé d’examen.. ni ..quoi que ce soit...
S23- d’espéranto.. ?
T24- oui
S25- et
pour les autres langues.. ?
T26- ah
ben les:.. l.l’anglais.. ça été de la sixième à la:.. terminale...
S27- mm
(acquiescement)
T28- d’ailleurs
même euh.. première année d’fac... euh:... mais c’était fac de science.. et pas
fac de langue... et puis euh:... mais j’ai c.. j’ai continué après euh:.. par
moi même à:.. pas mal lire d’anglais... bé soit parc’que:..
beaucoup d’articles sur la musique électronique étaient en anglaise.. soit parc’que beaucoup d’articles sur les chauves-souris étaient en
anglais... et puis parc’que la musique que j’écoute est:.. essentiellement
euh.. anglo-saxonne.. donc euh... pis j’aime bien xxxx les paroxx.... quand à l’allemand.. euh non.. j’ai un peu
moins.. m’est arrivé d’écouter du Wagner.. quand même (sourire)..
mais euh... voilà.. j’ai laissé tomber l’allemand..
S29- par
contre.. les deux premières.. t’as conservé à peu prés... ?
T30- l’espéranto..
bé euh.. par euh::... (soupir) un peu:... la situation voulait que je
continue à parler espéranto.. puisque j’rencontrais des.. des gens que..
Catherine connaissait qu’étaient espérantistes... euh::.. surtout une euh..
hollandaise... et pis parc’que ..chez mes parents
..y’avait aussi.. des espérantistes qui v’naient souvent.. donc on était amené
à pratiquer euh:... la langue.. mais c’est pas par choix...
S31- mm
(acquiescement)
T32- euh:..
S33- alors
justement.. comment.. comment t’as entendu parler de.. d’l’espéranto pour la
première fois.. ?
T34- oh
eh.. facile.. j’baignais d’dans (sourire)... mes parents étaient profs..
donc euh:... enfin.. surtout mon père.. mais ma mère aussi donnait des cours
..d’espéranto.. et puis euh:..
S35- pas
professionnellement.. non... ?
T36- non
non.. dans l’cadre //
S37- //
i..
T38- //
euh.. associatif...
S39- i
euh... i faisaient quoi comme métier.. ?
T40- mon
père est prof d’anglais.. enfin.. à la base est prof d’anglais.. oui... puis
euh::.. prof d’anglais-français.. parc’que::.. ça été un:.. décision du:..
ministère de l’éducation... donc euh les.. les.. professeurs PEGC devaient
faire deux matières.. donc il avait choisi l’français... mais à la base il est
essentiellement prof.. professeur d’anglais..
S41- mm
(acquiescement)
T42- et..
puis.. euh::... ma mère.. était euh.. à l’époque.. euh:: ..sans travail.. enfin... femme au foyer.... puis plus tard euh.. pour des raisons
économiques.. elle s’est mise à bosser... de.. mais elle était magasinière dans
un:... rien à voir avec le.. le professorat... mais xxx.. dans le.. dans l’milieu associatif.. à la maison des jeunes.. elle
donnait des.. cours d’espéranto..
S43- les
deux donnaient euh.. ?
T44- les
deux...
S45- et
ton père aussi dans l.. parmi l’ca:.. par l’intermédiaire d’son travail donnait
des.. cours.. ou:... non.. que dans l’cadre associatif.. ?
T46- que
dans l’cadre associatif.. ouais..
S47- euh:::...
et alors.. quelle est.. quelles ont été euh.. les motivations qui:.. t’ont
amenées à apprendre cette langue... ? est-ce que tu l’as apprise euh.. //
T48- //
c’était euh:... essentiellement.. percer les secrets d’mes parents.. (sourire)
parc’qu’i:.. //
S49- //
c’est-à-dire.. ?
T50- parc’que
souvent ils parlaient espéranto entre eux... de façon à c’qu’on n’comprenne
rien... et on a dit que:.. ben et:.. m.mon frère et moi euh.. qui a.. mon frère
a dix-sept mois d’plus que moi... on a dit.. nous aussi on veux apprendre
l’espéranto //
S51- //
vous étiez.. //
T52- //
..comme ça... //
S53- //
vous étiez deux enfants.. ?
T54- on
était.. euh: ..trois enfants.. mais euh... deux: d’âge euh très proche..
S55- //
d’accord
T56- et
puis le deuxième était.. bon pas: vraiment plus jeune... quatre ans
d’différence..
S57- mm
(acquiescement)
T58- avec
moi.. et::... cinq ans et d’mi avec.. mon grand frère.....
donc on a dit qu’on voulait euh:.. j’me rappelle euh.. très petit euh.. avoir
euh singé mes parents.. (sourire) c’est-à-dire on s’étaient mis: dans
l’salon.. on avait dit.. nous on parle espéranto !
mnigvayableuleublabla.. (rire)
S59- (rire)
vers quel ..et ça.. c’était vers quel âge.. ?
T60- je
sais pas moi.. c’est.. vraiment petit...
S61- mm (acquiescement)
T62- cinq
ans.. six ans...
S63- mm (acquiescement)
T64- mais
plus tard.. on a dit euh.. nous aussi euh.. on veut parler espéranto.. parc’que
..d’abord.. on rencontrait pas mal de gens //
S65- //
ouais..
T66- //
qui parlaient espéranto.. ça nous intriguait... et puis on savait que::.. euh..
S67- et
vous compreniez un peu.. ou:... non.. ça vous restait vraiment un code..
justement blablabla.. ?
T68- ça
je.. ça je sais plus... je sais plus si on comprenait ou pas... mais euh:.. on
s’doutait qu’y’avait.. y’avaient tous nos cadeaux qu’étaient codés en
espéranto... la préparation du.. (sourire) de Noël..
S69- ah
ouais (rire)
T70- des
anniversaires et cetera.... blablablabla ? ..blablabla... (rire
de Sébastien) alors on s’disait.. nous on veut savoir.. c’est quoi le
cadeau.. c’est quoi le cadeau.... (sourire) j’crois qu’c’est ça en
gros.... pis euh.. ça.. ou bien euh:... p.parents qui
pouvaient décider ..entre eux ..d’une sortie qu’on allait faire et cetera:...
S71- et
c’est vous qui leur avez demandé.. ou c..
T72- oui
oui.. c’est nous
S73- c’est
de vous-même.. de vot..
T74- oui
oui..
S75- alors
vous l’avez appris... a.. avec eux... ?
T76- euh:...
je me rappelle de::: ...de cours ..dans la cuisine... euh::... et y’avait pas
qu’nous.. on était trois.. ou quatre... y’avait ..nous deux.. et je pense
qu’y’avait deux autres enfants.. j’me rappelle de cours dans la cuisine
S77- des
copains à vous.. ou des.. ?
T78- des:...
plutôt des gens dont les parents étaient déjà espérantistes.. et puis euh:...
qui avaient voulu que:.. ou bien les enfants eux-mêmes avaient demandé.. ou:..
je sais pas.... et puis.. euh j’me rappelle de cours à la m.. à la maison des
jeunes... donc je suppose que:... y’a eu dans un premier temps un p’tit peu
un:...
S79- là
c’était plus avec vos parents.. les cours à la maison des j.. ?
T80- oui
oui...
S81- encore
avec les parents.. ?
T82- ben..
y’avait que mon père comme euh:..
S83- d’accord..
T84- comme
//
S85- //
comme.. enseignant //
T86- //
espérantiste sur Yvetôt... et euh::... et y’avait qu’lui qui donnait des
cours...
S87- d’accord...
T88- non..
j’dis des bêtises.. quand.. j’dis qu’y’avait que mon père euh::..
espérantiste... mais euh:.. espérantiste vraiment actif euh::: ..comment
dire.. ? ..qui.. qui prêche la bonne nouvelle.. là...
S89- mm (acquiescement)
T90- y’avait
lui... le reste euh.. y’avait des gens qui avaient.. appris l’espéranto.. qui
f’saient partie.. d’un groupe espérantiste qui.. à l’époque.. était quand
même:... assez.. assez euh:... en tant qu’groupe.. assez actif..
enfin i s’rencontraient souvent.. y’avait euh.. pas mal de:.. de festivités..
genre la galette des rois.. Noël.. des trucs comme ça... mais euh.. mon père
était.. militant.. voilà quoi... les autres.. non...
S91- mais..
donc ça toujours été ...avec les parents qu’vous l’avez appris... ? ça
jamais été en cachette.. un livre (léger rire).... ? justement.. pour comprendre les parents... mais sans qu’ils
sachent que vous l’aviez l’appris..
T92- non..
y’a pas d’bouquin érotique en espéranto (rire des deux).. ou alors.. on
nous les cachait bien.. j’en sais rien... donc on s’cachait pas à priori... (léger rire)
S93- (léger
rire) et donc.. après.. eux ils ont arrêtés de::..
communiquer entre eux:.. en espéranto.... une fois qu’vous l’aviez
appris... ? xxx ....parc’que là.. vous commenciez à comprendre.. //
T94- //
ben euh f..
S95- //
comment ça s’est passé à partir du moment où vous avez..
T96- j’me
souviens plus trop.. mais effectivement.. y’a xx l’est arrivé ben un //
S97- //
une fois qu’vous aviez l’code maint’nant.. ?
T98- ouais..
il est arrivé un moment où.. même si on avait pas.. on maîtrisait pas
parfaitement la langue.. c’était quand même difficile de nous cacher euh..
Kristnasko [kristnɑsko] on savait ce que ça voulait dire..
S99- ouais
ouais (acquiescement)
T100- donaco
[donɑtso] on l’savait aussi.. enfin..
S101- ouais ouais (acquiescement)
T102- c’était
très difficile de::.. de cacher d’quoi ils parlaient quoi...
S103- et
alors.. quand vous aviez parfois des copains.. est-ce qu’y’en a.. d.des copains
justement qui voyaient qu’vos parents parlaient comme ça.. en espéranto.. euh... ? euh...
T104- s:..
je sais pas //
S105- //
sais rien ?
T106- //
..j’en sais rien..
S107- tu
t’rappelles pas si y’en avaient.. qu’ça intriguait... qu’avaient voulu eux aussi apprendre avec vous... ?
T108- parmi
mes:.. parmi mes copains euh.. personnels.. y’avait euh ...un gars qu’habitait
dans l’même quartier qu’moi.. et qui donc.. euh:::... j’le voyais souvent à la
maison ...mais.. euh: le père était aussi espérantiste.. donc c’était pas::...
euh.. une grande nouveauté... son oncle était aussi espérantiste.. donc c’était
pas pour lui une nouveauté (respiration) ...les autres j’me souviens
pas..
S109- ouais
(acquiescement)
T110- xxx dire à l’époque où on a commencé vraiment à avoir des copains euh::.. à
la maison... c’est-à-dire à: partir de l’adolescence.. la sixième
S111- mm (acquiescement)
T112- euh::........
ben xxxx ..aussi l’époque.. où on
traîne pas tellement dans les: ..dans les jupes des parents //
S113- //
mm (acquiescement)
T114- //
non plus.. //
S115- //
ouais ouais (acquiescement)
T116- //
donc euh:...
S117- vous..
c’est à partir d’quel âge que vous aviez commencé.. à apprendre.. xx ? ...enfin.. à partir de quelle classe à peu près.. ? //
T118- //
alors.. je s... je sais que:.. j’ai eu mon:::... la unua
grado [lɑ unuɑ grɑdo]..
S119- ouais
(acquiescement)
T120- le
premier::.. le premier:.. le diplôme de première année.. euh: ..j’avais huit
ans et demi... donc j’ai.. commencé.. euh::... l’année euh ..en septembre
d’avant... mais je s.. i m’semble.. que on avait déjà commencé euh.. un p’tit
peu avant euh.. de manière un peu::.. pas organisée quoi.. d.dans la cuisine..
S121- informel ?
T122- avec
le Junul-Kurso [junulkurso].. et::.. et la maman qui:...
S123- le
fameux Junul [junul].. (rire)
T124- ouais..
l.... ben //
S125- //
et:::...
T126- //
..mon père a été très très fidèle au Junul-Kurso [junulkurso] hein... parc’que:
(sourire)...
S127- et
il a toujours continué à l’enseigner avec ce... ?
T128- ben
j’crois qu’y’a:.. une dizaine d’année que::.. Catherine lui a parlé d’la
méthode onze... et que ..il a accepté d’s’y mettre... mais qu’avant ça..
c’était le Junul-Kurso [junulkurso] et puis le..... ? celui d’après..
c’était quoi.. un truc verdâtre.. ?
S129- euh:::...
Nouveau Cours Rationnel d’Espéranto.. c’est pas c’ui-là... ?
T130- y’a
eu ça oui... ça c’était.. oui c’était déjà une première petite révolution.. (rire
des deux) y’avait eu autre chose avant..
S131- ah
euh::.. ouais ouais.. //
T132- //
c..
S133- //
j’vois vaguement.. mais...
T134- //
c’est pas xxx
S135- //
j’m’en rappelle plus... euh::.... et alors.. est-ce que.. est-ce que..
aujourd’hui (rire)... j’pense que non.. mais est-ce que t’as gardé les
mêmes motivations qui t’avaient... poussé à apprendre.. ?
T136- (toussotement)
non... euh par contre euh:.. on l’a utilisé nous en couple:.. aussi.. on a beaucoup parlé espéranto pour cacher aux enfants ouais...
S137- avec ta
comxx.. ? //
T138- //
s:i on veut.. c’est la motivation inverse quoi.. (sourire) maint’nant on
est grand (coup sur la table).. c’est nous qui parlons espéranto.. et
pis euh... qui conxxon //
S139- //
t’as fait comme.. comme tes parents avaient fait euh.. ?
T140- ouais
ouais....
S141- et
vous faisiez systématiquement.. ou ça vous arrivait rarement... ? quand vous vouliez cacher.. ça.. ?
T142- pour
euh::... si on faisait systématiquement de parler espéranto pour cacher aux
enfants ?
S143- ouais...
T144- ouais..
parc’que l’anglais.. on maîtrisait pas assez...
S145- mm (acquiescement) ...et tes enfants l’ont.. ont.. est-ce qu’ils ont
fait la même démarche.. ? est-ce qu’ils ont voulu apprendre.. ? non.. ?
T146- non.....
non... on d’vait pas avoir des secrets assez importants à percer (sourire)..
probablement..
S147- mais
donc.. euh.. donc t’arrivais quand même à.. à bien maîtriser euh:.. t’as.. t’as
bien conservé.. l’espéranto si.. ?
T148- oui....
enfin...
S149- si
t’arrivais à l’utiliser d’façon:.. entre guillemets quotidienne.. enfin //
T150- //
j’ai quand même fait qu’une année et d’mi...
S151- ouais
(acquiescement)
T152- euh::..
donc euh:.. on peut pas dire que que j’ai atteins une parfaite maîtrise de la
langue... on peut pas dire non plus.. j’ai pas vraiment pratiqué beaucoup
beaucoup.... c’est-à-dire que y’a Henneke euh:.. l’amie hollandaise qui v’nait
souvent ..chez nous.. on est allé plusieurs fois chez elle... c’était xxx occasions d’parler espéranto... m’enfin.. elle parlait:.. bien français aussi d’temps en temps... et puis euh::.. bon
on avait recours.. quand.. quand y’avait des mots qui manquaient.. ben on avait
recours soit au français soit à l’anglais.... euh:... rarement pour des
conversations entières.. mais pour euh:.. combler des:.. des lacunes
ponctuelles ..d’un mot qui manque //
S153- //
de vocabulaire.. ouais...
T154- //
ou euh: ..ouais..... et::... j.je:.. je pense pas avoir gardé euh:... (soupir)
quoi.. soixante-quinze pourcents.. peut-être ? ..n.même pas... de:.. de c’que j’ai appris... mais euh.. i m’reste quand
même que:.. j’arrive à m’remettre ..dans l’bain assez rapidement.. et avoir une
conversation.. on va dire euh d’usage euh:.. très courant... euh::... disons..
organisation d’la journée.. qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? où est-ce
que tu veux aller ? des choses comme ça.. oui.. ça euh.. c.je suis encore
capable de m’débrouiller avec ça..
S155- mm (acquiescement) ..et actuellement tu t’en sers ..plus du
tout.. ? ou t’es.... ? ou...
T156- non..
plus du tout.. mais //
S157- //
mais si::... si ça.. ça ça s’présentait.. t’arriverais à:.. ?
T158- ah
si y’a un espérantiste qui arrive.. j’aurais pas.. j’aurais pas peur euh //
S159- //
ouais (acquiescement)
T160- j’me
lancerais.. et::... et euh:.. ça dépend.. euh... on va pas parler philosophie..
mais euh.. si i m’demande la route.. si i m’demande euh:..... oui.. on pourrait parler même euh //
S161- //
une p’tite discussion..
T162- ouais
S163- ça r’viendrait.. mm... alors justement.. est-ce
qu’i... est-ce qu’il t’arrive.. ou est-ce qu’il t’es arrivé... euh.. d’utiliser
euh:.. l’espéranto dans l’cadre de ton travail ?
T164- non
S165- ..ou
d’tes activités euh::... euh associatives ou autres ? //
T166- //
non plus...
S167- euh:::...
et alors.. bon (sourire).. j’ai un peu posée un p’tit peu indirectement
cette question mais... quelle est la place euh::.. d’l’espéranto pour toi dans
la vie ..d’tous les jours..... ? au.aujourd’hui //
T168- de.de
tous les jours.. ?
S169- oui
T170- aucune....
de... à part euh:.. mais c.. c’est assez vieux.. ça...
S171- mm (acquiescement)
T172- parc’que:..
nos enfants commencent.. même s’ils ont pas appris l’espéranto.. ils commencent
à:.. savoir prendre quelques repères.. quelques indices.. et puis c’est
..difficile donc euh de:.. de parler d’vant eux:.... ils savent au moins d’quoi
on parle.. quoi.. ils arrivent à..
S173- mm (acquiescement)
T174- donc...
on.on l’fait plus.. et pis d’toute façon:.. on est séparé.. donc euh... mais i s... donc à
part ça.. le fait de pouvoir se parler tranquillement euh.. sans::... sans
s’isoler... enfin une autre manière de s’isoler quoi... euh:.. non.. à part ça
l’espéranto me sert pas:.. dans la vie d’tous les jours.. non..
S175- ta
compagne.. tu l’avais rencontrée.. par l’intermédiaire de l’espéranto... ?
ou c’est un hasard que:.... ?
T176- euh::..
les deux mon général..
S177- (rire)
c’est-à-d //
T178- //
c’est-à-dire que.. je connaissais déjà.. un p’tit peu::.. Catherine..
parc’que.. elle était v’nue plusieurs fois à des réunions chez mes parents... mais
//
S179- //
des réunions d’espéranto ?
T180- oui...
mais.. des réunions auxquelles je n’participais pas.. donc euh.. j’l’avais vue passer
dans l’couloir et.. et il s’trouve que j’ai été euh::... mon premier poste
d’en:.. enfin.. mon deuxième poste d’enseignant.. ça été au Trait.. et euh..
j’avais mon appartement dans le:.. dans l’école où elle avait son propre
appartement... donc on a été amené à ..s’rencontrer.. parc’que c’était euh..
la.. disons qu’la personne ressource quoi... la personne que mes parents
connaissaient.. à qui je pouvais aller.. éventuellement euh:..
S181- mm (acquiescement)
T182- euh:..
demander euh.. de l’aide si.. ou du sel.. ou des choses comme ça quoi... donc
c’est.. c’est exactem.. c’est plus exactement là qu’on s’est rencontré...
mais le fait que:.. elle soit connue d’mes parents.. //
S183- //
c’est un peu un..
T184- //
était::.... et:..
S185- ça
avait joué.. mais c’est un peu... l’espéranto est un peu par hasard..
là-d’dans..
T186- voilà...
elle aurait pu être amie d’mes parents pour d’autres raisons..
S187- ouais ouais (acquiescement).... et euh.. l’espéranto..
elle.. elle l’avait appris comment... ? avec euh.. avec... tes parents
justement.. ? ou:.. ?
T188- en
partie... avec mon père... et puis euh:... euh:: ensuite.. euh:... elle
travaillait à Paris.. elle avait rencontré Jacques Le Puil qui:.. donnait des
cours d’espéranto sur Paris... et euh:.. je crois qu’c’est lui qui lui a parlé
d’la méthode onze euh.. (rire de Sébastien) et c’est grâce à elle....
enfin.. oui.. grâce à elle.. que la méthode onze (sourire) a été
importée à Yvetôt..
S189- et..
elle.. elle a appris au même âge que toi.. ou... ?
T190- non..
plus tard.... elle.. c’est un choix euh::::.. volontaire.. vers euh....
oh je crois que.. c’est vers quinze seize ans je crois..
S191- mm (acquiescement)..... mais toi t’as pas vraiment... t’as été
obligé.. ou... ? ou alors c’était.. oui.. obligé ..pour pouvoir comprendre
les parents...
T192- c’était
un choix... euh:.. pas forcément le choix.. oui peut-être.. le choix de
connaître des langues.. euh une langue étrangère.. oui... mais un p’tit peu..
S193- xxx ..t’avais pas encore appris l’anglais.. à c’moment-là.. ?
T194- non...
S195- c’était
la première langue que... ?
T196- ah
oui.. non j... quand on a:.. quand on a dit
ça euh.. à mes parents.. que: on voulait apprendre l’espéranto... euh.. moi
j’avais.. maximum sept ans:.. huit ans.. maximum huit ans...
S197- ouais..
donc c’est l’envie d’connaître un nouveau code.. ouais.. ?
T198- voilà...
l’envie d’une part de:... de pas être: exclu des conversations.. de percer les
mystères.. pis... peut-être.. que.. je pense.. oui qu’y’avait
l’envie.. effectivement de parler une autre langue:...
S199- mais quand tu dis.. c’était pas un choix::.. volontaire euh.. ?
T200- pas
l’espéranto:.. à proprement parler.. on va dire que.. euh::.. c’était
parc’que.. c’est la langue que mes parents utilisent euh.. pour s’cacher... et
c’est aussi.. la langue qui veut... que j’ai la possibilité d’apprendre..
puisque je connais des gens qui: peuvent euh.. me donner des cours...
S201- mm (acquiescement)..
T202- si
j’avais dit.. je veux apprendre l’espagnol.... ouais j... si j’avais... non.. on va choisir autre chose que..
(léger rire de Sébastien) l’espagnol.. parce que mon grand-père est espagnol... euh si j’avais dis.. je veux apprendre //
S203- //
tu connais l’espagnol.. ? non.. ?
T204- non...
si j’avais dis.. j’veux apprendre le::.. le:.. le wallon ou::..
S205- ouais (acquiescement)
T206- ou
le:.. le russe... y’avait personne qui pouvait me donner des cours de wallon ou
de russe...
S207- ouais ouais (acquiescement)
T208- tandis
qu’l’espéranto.. c’était facile... c’était mes parents....
S209- ouais..
c’est la première xxx.. qui.... et //
T210- //
ceci dit.. j’aime beaucoup.. j’aime beaucoup les langues euh.. même si euh:... euh
j’ai dit tout à l’heure que j’ai appris.. l’allemand que pendant deux ans..
c’est-à-dire la quatrième et la troisième... euh::.. ça m.. //
S211- //
c’est pas un mauvais souvenir
T212- //
ça m’empêche pas d’aimer.. de temps en temps.. quand y’a texte un allemand
que.. j’vais rien y comprendre... mais.. essayer d’y trouver des::.. des
repères.. des indices.. euh des choses comme ça.. c’est un truc qui: //
S213- //
mais t’es pas fâché avec euh.. ?
T214- non...
j....
S215- et
euh:::.. et alors.. et l’espéranto.. est-ce ça.. est-ce ça t’es arrivé..
pis est-ce que ça t’arrive d’en.. d’en parler autour de toi..... ?
T216- j’vais
pas faire du prosélytisme.... mais.. euh:... s:’il m’arrive de rencontrer euh..
quelqu’un... et pis par hasard.. dans la discussion euh:.. le.. le sujet est
abordé... euh::.. oui.. j’aime bien euh.. j’aime bien parler.. parce que je..
je trouve que c’est une langue qui a:.. des qualités.. euh::... certaines..
même si elle a des défauts certains... mais euh::... et je trouve effectivement
que c’est un.. un outil qui.. devrait être.. beaucoup plus euh:.. euh:..
utilisé.. beaucoup plus.. répandu euh:... bien qu’ce soit pas une.. une langue
en soi.. avec euh:.. toutes les facettes de c’que.. peut être une langue qui
a.. qui a d’l’âge.. qui a de.. de la culture euh... c’est un peu comme
les États-Unis.. l’espéranto.. ça manque un p’tit peu d’culture..
personnelle... ça: emprunte à des:... des cultures mères.. et pis voilà....
c’est::... c’est un r’proche que j’fais à l’espéranto
S217- mm (acquiescement)..
T218- et
xxx //
S219- //
et comme.. comme outil linguistique par exemple.. t’y’a jamais pensé comme //
T220- //
comme..
S221- //
méthode pédagogique pour euh:.. justement dans l’cadre de ton travail..
ou... ? non.. ?
T222- ouh
la la:..
S223- ça.. t’as jamais.. ça t’a jamais passé euh..
T224- on
en est pas là avec mes élèves.. hein (rire de Sébastien)... on en est
déjà à l’apprentissage d’une première langue (sourire)... qui //
S225- //
de la langue maternelle.. ?
T226- ouais....
enfin.. c’est-à-dire que c’est presque.. presque du:.. français deuxième
langue.. parc’que:.. la langue.. enfin.. même si c’est du français tout ça... la manière dont on la parle à la maison et la
manière dont on la parle à l’école.. euh des fois.. on a l’impression de:...
d’utiliser des mots étrangers quand même... on en est à....
S227- et
euh:... m.. et quand.. quand il t’arrive justement d’en parler
autour d’toi.. ou:.. enfin.. tu dis justement qu’tu le.. qu’tu la connais toi-même.. ou qu’tu l’as appris.... ?
quand t’en parles.. ouais c’est... tu dis.. euh.. ouais euh.. j
//
T228- ah
oui oui oui.. j’en ai pas honte... (rire des deux)
S229- et..
et justement.. comment.. d’après toi.. l’espéranto est perçu.. euh:::..
d’l’extérieur.. d’une manière générale justement... ? quand on en parle.. ou... .soit en particulier aux gens.. à qui on en parle.. et pis même
d’une manière générale euh...
T230- en
général.. quand j’en parle.. c’est déjà.. à des gens qui peuvent y être
sensibles...
S231- mm (acquiescement)
T232- ou
qui.. euh::... on en parle justement parc’qu’on vient d’se rendre compte que:..
tous les deux l’avions appris... c’est possible aussi.... euh::.. j’chuis
beaucoup sur Internet.. il m’est arrivé euh.. j’crois.. à trois quatre
reprises.. avec des gens.. avec qui j’avais déjà bavardé..
S233- ouais..
T234- tout
d’un coup d’apprendre euh.. que::.. ils ont appris l’espéranto (rire de
Sébastien)... et euh.. là j’aime bien.. euh.. je.. j’me mets
en //
S235- //
ah ça t’es.. ça t’es d’jà arrivé euh.. plusieurs fois ?
T236- oui...
y’a même une:.. une fille.. qu’est:.. elle est belge... alors sur Caramail
[karamel]... pas grave.. hein... sur un.. un site de:.. de
tchat.. et de dialogue en direct.. dont le:.. le pseudonyme
est.. mi amas vin [mi ɑmɑs vin]... (rire de Sébastien) enfin.. l’un des
pseudonymes c’est mi amas vin [mi ɑmɑs vin]... et:.. ceci dit.. sa:... sa conversation
espéranto.. espérantiste.. se limite à.. euh.. bonan tagon [bɔnɑn tɑgɔn]...
ou saluton [sɑlutɔn]..
je sais plus lequel des deux... et si je lui demande kiel vi fartas ? [kiɛl vi fɑrtɑs].. ou des trucs comme ça... c’est.. le.. blanc..
complet... ! c’est:... y’a même pas d’réponse.. (rire de Sébastien et
sourire de Thierry) y’a pas de... alors que.. on bavarde... en français...
c’est pas quelqu’un qui m’ignore.. et cetera... mais alors si je.. si je lui:..
glisse autre chose que saluton en espéranto.. euh... même le ĝis revidon
[dʒis
revidɔn] il a pas de.. réponse (rire des deux)
...alors je sais pas trop c’qu’elle en a appris d’l’espéranto....
S237- et..
//
T238- //
mais il m’est arrivé de rencon.. de rencontrer des gens... euh.. dans un salon
euh:.. euh:.. on va dire euh... un salon dédié à la musique.. euh Radiohead [radioɛd]... et:.. où y’a des gens de toutes nationalités...
et euh:.. en général on s’parle en anglais.... bien qu’y’a.. certains anglais
qui.. qui aiment bien.. euh.. se: mettre à parler français euh:... ça leur
plaît... et d’avoir rencontré une personne.. qui.. à un moment donné.. euh::...
(léger soupir) a dit.. euh.. parc’que... bon.. y’a trop d’gens qui
parlaient français.. les anglais ont dit.. parlez en anglais parce que sinon on
comprend rien:.. alors.. chacun s’est mis à parler une: langue:::.. sa langue..
comme ça.. pour euh:.. histoire de:.. de rigoler cinq minutes... et il s’est
trouvé quelqu’un a::.. sorti une phrase en espéranto... on a eu après une
conversation.. après.. uniquement en espéranto.. dans l’salon... bien::.. //
S239- //
c’est toi qui l’a r’péré ?
T240- //
pour bien déranger.... oui.. elle a attaqué sa ligne en espéranto..
alors j’ai:... je s..
je pense que c’est elle.. c’est p’têt moi.. mais je pense que c’est cette
personne-là qui l’a fait... enfin
après.. on est.. on est resté.. ouais.. une:... un quart-d’heure.. une
demi-heure.. à:.. échanger en espéranto dans le:.. dans l’salon.. histoire
de:.. (léger rire de Sébastien et sourire de Thierry) de semer le..
d’embêter les autres.. quoi....
S241- mais
comment.. comment toi par exemple justement tu.. tu:::... // ouais.. que
r’présente ouais.. pour toi.. la::.. la langue.. son utilisation::.. et:.. ses
utilisateurs euh..... ?
T242- y’a
beaucoup d’choses.... dans la question.. là... (rire de
Sébastien) l.la langue.. pour moi.. c’est un outil...
S243- ouais (acquiescement)
T244- euh.. j’lui r’proch’rai toujours de pas avoir euh:.. d’êt’.. trop... euh::
...précise... c’est bien... co.comme outil euh::.. pour euh:.. parler
économie.. technologie.. euh::.. et cetera... elle est très précise.. on sait
d’quoi on parle.... euh:.. en général... mais.. quand même.. elle est très
précise... par contre.. dès que::.. on veut faire un peu:.. à mon avis..
littérature poésie.. et cetera... euh::.. elle est trop précise... et ça.. ça
bloque pas mal de possibilités d’image et cetera.... et mais.. ça m’gêne pour ça... et puis euh::.. bon i reste
euh:.. si.si on parle poésie.. i reste: quand même le fait
que:.. ben quand on veut être fier de sa rime euh.. y’a pas d’quoi être fier hein... (léger soupir) tous les:.. tous les noms s’terminant par le
même.. par la même sonorité //
S245- //
enfin.. sauf avec les::.. apocopes.. là.. et..
T246- ouais... ou alors i faut.. i faut.. se dire que::.. la rime euh::.. on se
fiche de la terminaison.. et c’est la syllabe euh d’avant qui compte..
d’accord... mais j’trouve quand même que::.. elle euh.. parc’qu’elle n’a pas
d’ambiguïté.. y’a moins d’jeux d’mots.. euh: facile.. y’a moins de::.. elle
correspond pas à ma vision d’la poésie.. enfin de:...
S247- ça
c’est.. ça c’est sur la langue.. //
T248- //
j’trouve trop rigide..
S249- et
sur son::.. son utilisation:.. actuelle.. ? ses utilisateurs.... ?
T250- de
plus en plus rare... je trouve.... peut-être que:.. j’ai une: vision.. euh faussée.. parc’que mon père est.. quand il était
jeune.. a::.. réussi à faire euh:.. était très d.. était plus dynamique qu’il était maintenant... ouais a réussi.. à créer un groupe sur Yvetôt... et puis le:::... les gens du
groupe ont vieillis.. mon père aussi a vieilli.. il est moins actif.. et:::..
voilà... alors c’est p’têt ..très localement.. mais j’ai l’impression quand
même que l’espéranto a:::.. en plus.. bénéficié.. pendant les années soixante
euh de:... du.. du peace’n love.. et on est tous frères.. et:: ..tout ça.. et
que.. il était v.. vraiment dans:.. dans l’ère du temps d’apprendre l’espéranto
pour pouvoir parler.. avec euh::.. les japonais.. qui sont à Woodstock.. et
les::... les.. chais pas.. les suédois qui sont.. euh:... enfin à un aut’.. à un aut’ festival quoi... et.. et alors que là..
y’a de plus en plus de.. de nationalismes que se::... qui s’dév’loppent.. et
puis euh:... et puis ..trop d’enjeux économiques.. et puis::.. la volonté
de::.. y’a trop l’hégémonie de:.. l’Amérique aussi.. qui veut absolument qu’on
utilise euh:.. l’anglais.. parc’que:.. eux ils sont à l’aise dedans.. et i
peuvent euh:.. plus facilement opprimer euh:... même si c’est pas:.. euh
militairement.. mais euh:... m’est arrivé.. d.dans c’fameux salon
Radiohead [radioɛd] là de.. refuser de:.. une discussion... parc’que
c’est clair.. je parlais avec des gens qui maîtrisent tellement leur langue..
que moi j’allais passer euh:... (soupir) deux trois s’condes à voir
comment j’allais.. tourner ma phrase.. et xxx.. ils allaient
m’la casser en::..... // donc.. moi je ..pense que l’espéranto est m.est mal barré... il est.. mal barré à Yvetôt.. peut-être.. uniquement
pour des raisons d’personnes euh:::... per.. y’a personne
qui a pris le flambeau d’mon père et:... mon père l’a p’têt.. aurait pas voulu
l’laisser non plus d’ailleurs
euh:.... enfin j’crois qu’y’avait personne pour le faire... et euh:.... parce que quand on voit euh ..Pierre
Q******* euh:.... il est toujours très dynamique.. et puis euh::.. à Rouen..
y’a un groupe qui marche bien hein..
S251- mm
(acquiescement)....
T252- donc..
peut-être que: euh:.. j’regarde trop une situation locale... celle de.. celle
d’Yvetôt... mais j’ai quand même l’impression que:.. y’a une époque où on
pouvait espérer que l’espéranto.. a::... ait un:.. un avenir euh:: ..dans
l’monde politique... par exemple.. dans les échanges entre pays... euh:::... on
aurait pu espérer aussi d’voir.. voir des notices euh::.. d’utilisation euh:..
d’appareil.. écrites en espéranto.. plutôt que des:.. très mauvaises
traductions parfois de:....
S253- justement..
c’est c’que tu disais d’t’à l’heure... en:.. tant qu’outil... tu euh...
T254- performant..
ouais (acquiescement) //
S255- //
ouais (acquiescement)... mais euh:.. donc tu
disais.. c’est avant tout un outil.. mais selon toi.. est-ce qu’y’a une idée..
qu’est rattachée à l’espéranto... ? euh.. est-ce qu’elle est rattachée nécessairement.. ?
ou......
T256- y.y’en
a deux... y’a celle de:.. de la langue outil... et puis y’a:.. y’a celle de::..
la communion entre les peuples.. euh:... entre les cultures.. euh.. comment dire ?.. des échanges.. avec des gens qui ont: euh..
euh:... des tas d’choses à.. nous apprendre sur.. le plan de.. de leur propre
euh:.. mode de vie et cetera..... et la.. la possibilité d’être euh::.. cinq.. six.. euh:.. personnes de
nationalités différentes.. à converser ensemble.. tout ça.. c’est... euh... un
peu le:.. l’inverse... de: c’qui s’est passé sur la tour de Babel quoi..
c’est:... mais ça.. je:.. je pense que c’était très... c’était très.. très dans
l’esprit d’Zamenhof.. hein.. il avait ça... et ça été très::... très à la
mode.. très fort.. dans les années soixante soixante-dix.. avec euh:... avec
les::.. euh:... le peace’n love... mais j’crois qu’ça.. ça s’casse la gueule...
de toute façon.. la politique actuelle est:::.. beaucoup plus..
S257- à
cause l’espéranto lui-même.. ? ou justement d’la société.. euh:... ? tu penses.. c’est râpé d.. sur les deux
points d’vue... en tant qu’langue outil.. et puis.. en tant qu’un peu l’idée
de:.. euh:... fraternelle euh.. ?
T258- ouais...
ben p.. pour c’qui est euh.. ça.. de cette fraternité entre les peuples...
j’crois que.. d’une part... ça été tellement associé aux idées des années
soixante-dix.. que::... l’idée que: l’on:.. raille.. maint’nant... que du coup
on raille l’espéranto avec.... euh:... je crois aussi que.. de toute façon
euh:... y’a de plus en plus de.. racisme qui s’crée.. de::... de:.. enfin les..
les gens voient::.. disent beaucoup plus qu’avant euh.. que y’a des différences
entre::.. même.. même des voisins euh.. enfin des pays voisins.. proches.. et
cetera... et y’a moins cette envie.. de:: savoir comment vit l’autre.. de s’y.. de s’intéresser à sa.. à sa culture.. //
S259- //
moins d’curios //
T260- //
y’a plus de protectionnisme.. de sa propre euh:.... peut-être que l’passage à
l’euro y’est pour quelque chose.. peut-être que:.. l’immigration y’est pour
quelque chose.. peut-être que::... c.c’est toute une construction.. en.en même
temps.. qui a une uniformisation de::.... de.. du comment
dire... ? de la culture qu’on achète.. là euh:... où tout
l’monde va écouter la même musique.. que ce soit:.. euh.. euh:... et r’garder
les mêmes séries télé.. que ce soit.. en: Hongrie.. en.. aux États-Unis.. parce que:.. la plupart du temps elles viennent de
là... ou au Japon.... euh.. qu’ce soit en France.. en Hongrie euh:.. tout l’monde regarde euh:.. les: ..mêmes séries télé.. écoute les
mêmes musiques... euh:.. pour un peu.. les livres.. vont être aussi.. euh::....
U... Univers.. Univers.. mxxnxx... et euh:... t.. t’écriras la fin (rire des
deux)... et euh:.... ben j.. j’crois qu’y’a.. j’crois
qu’en même temps qu’y’a ça.. y’a peut-être.. euh::.. en contrepartie.. euh:..
peut-être que c’est ça euh.. l’envie d’dire oui.. mais euh:.. j’veux garder ma
culture.. j’veux garder ma culture.. et puis.. euh:.. le refus de.. justement.. d’s’intéresser à la culture du voisin...
S261- c’est:
un: peu.. oui.. un dilemme... xxx..
T262- ouais
(acquiescement)
S263- euh:...
T264- et...
et en fait.. la seule culture qu’on va partager avec le voisin.. ben c’est l..
la culture.. euh:.. vraiment euh::.... euh... qui n’est pas la sienne.. qui
n’est pas la mienne.. qui est celle qu’on nous a parachuté euh:.. de quelque
part euh:... et probablement.. enfin.. en général.. des États-Unis... bien
qu’le Japon:.. avec ses mangas:.. et:... commence à
bien nous en envoyer aussi..
S265- mais..
et l’espéranto aurait .. pu éviter c’la.. ? ou est-ce que c’est..
simplement la société qui..... est plus..
T266- l’espéranto..
tout seul.. n’aurait pas pu:::... j’pense pas.. éviter ça... c’est-à-dire que
même si on avait choisi.. euh::.. pour tout c’qui est communication politique..
internationale.. pour tout c’qui est:.. communication économique..
internationale... même si on avait choisi.. l’espéranto.. comme euh:.. langue
euh::: ..outil... comme langue euh: ..intermédiaire... ça n’aurait pas empêché
..un pays.. de nous imposer ..ses euh:.. séries télé euh:.. sa musique..
sa::... sa politique et tout ça... j’pense que:.. ça reste ..un outil
l’espéranto.... et l’i.. et l’idée euh::... l’idée euh de fraternité entre les
peuples.. euh:... elle a.. oui.. moi j’pense qu’elle a vraiment vécu.. avec les
hippies.. avec les::.. soixante-huitards et tout ça.. et pis que:.. de toute
façon.. elle s’est cassé la gueule.. en même temps qu’le communisme.. en même
temps que:.. pas mal de choses...
S267- mm (acquiescement).... et:::..
T268- en
même temps.. aussi peut-être.. que la religion catholique... qui a aussi..
cette euh:... c.ce désir de:.. de fraternité.. on est tous é.égaux.. on est
tous euh... j’crois qu’c’est tout un idéal qui s’casse la gueule.. et c’est
pas.. euh:::.. et l’espéranto en est victime.. comme d’autres euh:.. comme
d’autres grandes idées communautaires euh
S269- alors..
tout à l’heure.. justement.. tu disais qu’on.. qu’on::... qu’on.. on raillait
euh ...l’espéranto... est-ce que t’as déjà eu l’occasion d’en entendre
souvent.. ou pas.. ?
T270- ah..
oui... et à la radio.. beaucoup...
S271- mm (acquiescement)
T272- euh::..
je //
S273- //
et directement.. à toi... justement.. quand t’en parlais... ? non.. ? xxxx..
xxx //
T274- oui..
aussi.. ouais euh::... m.. euh:.. bon.. la comparaison... d’l’espéranto avec
le volapük... euh::.... euh... à la radio.. spontanément beaucoup.. j’me
rappelle de:... c’est ..Patrick Bruel.. c’est ça ? ...non.. l’autre.....
Casser la voix.. c’est qui.. ?
S275- si si.. Bruel...
T276- qui
se::... non.. c’est pas
Patrick.. c’est l’autre..
S277- mm
T278- cxx.. alors c’est
p’têt pas Casser la voix.. c’est.... Pagny...
qui euh... quand il entend le:.. l.le terme d’espéranto... mais
alors.. aussitôt.. grande gueule hein... euh:: démarre
très vite et euh.. dit beaucoup d’mal de::... mais alors.. et.. enfin.. j’veux dire euh.. casse la conversation pour
placer.. sa tirade... et.. //
S279- //
anti-espéranto ? //
T280- //
dans lequel on s’rend.. // oui.. anti-espéranto... dans laquelle on s’rend
qu’en fait euh.. il sait même pas c’que c’est... c’est hein...
et.. j.je crois qu’il y’a pas mal de gens qui réagissent comme ça...
c’est-à-dire euh.. l’espéranto.. ils ont tellement entendu dire que c’est.. que
c’est con... que dès qu’tu vas dire espéranto.. ils vont te dire.. mais
c’est complètement con.. mais c.c’est n’importe quoi.. c’est une langue
artificielle.. c’est langue.... si t’arrives euh:::..
à te faire entendre.. et puis à dire euh... qu.quelques éléments d’base
euh:::... un p’tit peu traditionnels... c’est-à-dire euh.. une langue.. qui
soit euh.. accessible à tous.. à tous les pays... une langue qui soit euh::..
efficace... euh::.. qui soit euh ..de construction simple.. euh avec une euh... alors là.. ils commencent à écouter un p’tit peu plus..
quand même... mais les gens euh:... ont.. euh:.. ils savent deux choses sur
l’espéranto... un.. c’est une langue... non ils en savent trois... un.. c’est
une langue... deux.. elle est artificielle... trois.. c’est un échec.... voilà
c’que les gens savent de l’espéranto.... et::.. //
S281- //
et.. comment ça t’fait réagir.. justement.. quand t’entends des:... railleries
comme ça.. ou des:... ?
T282- je::..
c’est pas mon combat l’espéranto.. alors j’réagis euh::... calmement.. quoi...
je::....c.. j’me sens.. j’me sens pas plus concerné qu’ça...
euh:.. je sais seulement qu’j’ai les arguments.. quoi.. et:.. que.... j’ai
envie d’les placer... mais si j’vois qu’c’est.. c’est trop difficile.. parce
que les gens.. sont vraiment //
S283- //
xxxé..
T284- //
euh.. ouais... c’est pas mon::....
S285- mais..
t... tu disais d’t’à l’heure... donc.. ouais... qu’aujourd’hui... enfin....
t’es plutôt.. oui.. pessimiste
sur... // mais est-ce que.. donc.. selon toi..
aujourd’hui.. est-ce qu’y’a encore une utilité à.. s’servir d’l’espéranto.. ou
pas.... ? est-ce que la langue.. même si.. elle a pas... et y’a peu
d’chances qu’elle ait cette am.. ambition mondiale.. qu’e.. qu’elle a... est-ce
qu’y’a encore une utilité à s’servir de.....
T286- pour
euh:.. c’qui est d... elle aura une utilité pour ceux qu’en trouvent une...
c’est-à-dire pour ceux qui vraiment.. ont envie d’savoir c’que vivent.. les
autres gens à l’autre bout... euh:.. y’aura l.. l’anglais qui s’développe
beaucoup... et pis y’aura toujours.. l’option.. espéranto... je crois.. quand
même.. que les gens ont plus.. de chance de croiser dans la rue.. quelqu’un qui
va répondre à::.. hello [ɛlo].. how do you do ? [ɑow du ju du]... que.. quelqu’un.. qui répondrait
à::... bonan tagon [bɔnɑn tɑgɔn].. kiel vi fartas ? [kiɛl vi fɑrtɑs].. quand même //
S287- //
ouais ouais ouais (acquiescement)...
T288- euh:..
en r’vanche.. ils ont la possibilité.. s’i veulent... y’a le::.. le
p’tit livre d’adresse.. là... qui permet... de rencontrer des gens.. qui::...
qui sont espérantistes.. qui.. qui sont convaincus de::.. de l’utilité... et
donc... euh::.. d’avoir.. euh déjà.. un point d’accueil euh:.. dans.. dans un pays.. qu’i connaissent pas::.. et dans l’quel euh...
S289- mais ça.. ça restera en... //
T290- //
ch.. //
S291- //
entre guillemets.. une xxx.. //
T292- //
loisir... loisir culture.. moi j’pense.. //
S293- //
j’allais dire une minorité... est-ce que tu es d’accord avec cette fxxx.. ?
T294- hein ?
..oui.. je pense.... euh::.. (soupir) une minorité.. ou une élite...
comme on veut... on appelle ça comme on veut... ou.. ou simplement du.. (soupir)
..un club de passionnés... ça peut être ça aussi.. c’est..
parc’que..
S295- comme
un sport.. ? comme une distraction.. ?
T296- ouais... moi.. ça m’a.. ça m’a ennuyé l’espéranto.. parce que j’avais
l’impression.. quand même.. que les gens... avaient pas d’autre point commun..
que.. de parler espéranto... et qu’ils se rencontraient.. un peu.. pour euh::..
parler du fait qu’ils parlaient espéranto..
S297- (rire)
ça.. j’ai d’jà pu l’constater..
T298- un..
un peu comme euh::... ça
c’est un discours que j’tiens à mon fils.. qui commence à loucher vers le
haschisch... et.. //
(interruption due à la fin du
Mini-Disc, et changement de Mini-Disc)
S299- xxx.. c’est bon...
c’est r’lancé.....
T300- je:..
j’disais qu’la:... l.les espérantistes se.. rassemblaient beaucoup pour euh..
parler de:.. d’espéranto... et pas pour parler espéranto.. ni pour
parler de plein d’choses en espéranto... mais pour parler vraiment..
de:::... du fait qu’ils apprennent l’espéranto et cetera... et j’comparais ça..
un p’tit peu:.. euh::.. aux jeunes un peu zonards.. qui:: ..qui font une fête
pour euh::... pour parler de la qualité du shit euh de la fête d’avant.. et pis
de la fête encore avant... et puis euh.. voilà... en c’moment.. j’ai beaucoup
c’discours-là avec mon fils.. qui:::.. j’disais.. qui louche
un peu vers le haschisch et tout.. //
S301- // mm (acquiescement)
T302- //
et j’ui dis.. mais t’as envie.. toi.. d’être euh:... un groupe comme ça.. où...
on a rien à s’dire.. à part.. dire.. on fait la fête !.. qu’est-ce
qu’il est bon c’machin.. ou.. il est pas bon... et pis l’autre.. l’aut’ jour.. qu’est-ce qu’il était bon.. et
cetera et cetera... j’ai l’impression..
qu’les espérantistes.. c’est un p.. et c’est
aussi //
S303- //
ça.. ça tourne sur soi-même... ?
T304- euh ce... oui.... c’est::: ..voila ! ....et puis.. qu’c’n’est
qu’un prétexte.. c’est:... même s’ils ont::.. appris.. euh: la langue... et pis
qu’ils sont contents d’l’a.. d’l’apprendre... mais.. ceci dit.. euh...
Catherine était plus jeune euh:::... quand j’l’ai rencontrée... e:.. elle
connaissait pas mal de::.. de jeunes.. qui ...avaient quand même un autre état
d’esprit... m.. moi j’étais quand même.. dans:.. le groupe
d’Yvetôt était quand même quelque chose de très plan-plan.. pépère //
S305- //
des jeunes.. euh:... qui p.. euh: parlaient espéranto... ?
T306- oui...
enfin.. quand j’dis un groupe de jeunes... j’veux pas dire
un groupe local.. qui s’rait cons.. constitué d’jeunes... mais.. elle connaissait..
euh:::.. autour du monde... euh des gens q.. des gens..
espérantistes.. qu’étaient quand même beaucoup plus jeunes.. que ceux qu’mes
parents me faisaient rencontrer... et euh:.. qui euh:... effectivement euh:...
utilisaient l’espéranto pour euh... pour communiquer.. dans des activités euh..
qu.qui peuvent être... tiens !.. on va faire une ballade.. et cetera... et
pendant toute la ballade.. on parle en espéranto de::.. ben est-ce qu’on fait
du stop ? ..ou qu’est-ce qu’on mange ce soir ? ..et cetera...
alors que j’ai... moi.. j’avais plutôt la vision de... de réunions
poussiéreuses.. quand même hein.... même si: euh:.. les gens
n’avaient que quarante cinquante ans.. mais moi.. //
S307- //
mm (acquiescement) //
T308- //
à l’époque.. j’en avais quinze... et pour moi.. ça m’semblait:..
S309- et
toi.. t’as jamais eu l’occasion... comme Catherine.. de.. d’aller... ?
T310- ben
j’ai rencontré certains d’ses amis..
S311- ouais
(acquiescement)
T312- mais
euh::... faire le tour du monde en stop.. c:.c’était pas mon truc... euh::...
S313- mais
t’en servir dans tes activités... pour.. justement.. (rire)
T314- non.. m //
S315- //
non pas pour parler d’espéranto... mais pour la musique.. les chauves-souris..
euh..
T316- non...
non non.... euh.. ç.ça m’a tenté.. mais ç’aurait pas:.. euh.. ç’aurait pas été utiliser ..l’espéranto dans mes activités.. mais ça
m’a tenté.. des fois de... faire des articles sur euh:... un.. la synthèse
sonore.. à l’époque où j’étais très branché euh:.. musique électronique... et
plus tard.. euh:.. sur les chauves-souris... euh:::.. mais ç’aurait été.. pour
le journal local des espérantistes.. pour faire un peu de::... pour.. d’abord
pour me.. pour m’essayer.. à la: rédaction.. de.. d’un texte euh:... qui essaye
de::.. au maximum.. de réunir toutes les informations... d’autre part.. pour
euh.. pour un p’tit peu alimenter le.. la gazette locale...
S317- mm (acquiescement)
T318- et
pas pour communiquer avec des gens qui s’intéressent euh.. aux même sujets
qu’moi... et qui ont euh::.. en commun avec moi.. le.. la langue.. espéranto...
S319- mais t’as.. t’as jamais eu l’occasion d’le faire.. ce.. cet article... ?
T320- xx ..non... euh:.. j’ai jamais euh.. pris la décision d’le faire..
l’article... parc’que l’occasion.. à la limite.. il aurait suffit qu’je
l’soumette à::... soit à mon père.. soit à:.. à::... Pierre L*********... qui à
l’époque euh.. s’occupait du.. Normanda Bulteno [nɔrmɑndɑ
bultenɔ]... et:.. je pense que:.. il.. aurait.. trouvé.. si
c’est pas dans l’numéro qui vient.. ce s’ra dans celui d’après... mais euh..
S321- mm (acquiescement).... et.. est-ce que tu fais partie..
aujourd’hui.. d’associations: euh: ..d’espéranto.... ?
T322- non..
S323- OK..
T324- non...
esp.. espéranto.. à un moment donné.. j’ai dis non.. j’veux pas... on m’a
convaincu que::.. c’était pas une.. c’était pas.. quelque chose qu’il fallait
que j’renie... enfin.. on m’a convaincu.. c’est-à-dire qu’on
m’a mis dans des situations où j’me suis dis.. j’vais pas renier...
chuis content d’l’avoir appris.. j’vais conserver c’que j’ai.... euh... pas
activement... mais j’vais pas.. non plus... mais c’est pas.. c’est pas mon
combat euh:.. l’espéranto... c’est pas mon:..... est pas ma
passion.. c’est pas.....
S325- et:::..
et en tant que ...locuteur euh... ou a.. ou a... (sourire
gêné) j’trouve pas l’mot en.. en: français... lerninto [lɛrninto] (rire)... chais pas si... celui qui a appris..
T326- oui
(acquiescement)
S327- pas
apprenant.. mais.... en tant qu’locuteur de l’espéranto.. comment tu
t’qualifierais....... ?
T328- c’est-à-dire..
euh:::... (soupir) débutant.. ? euh::..
S329- ah
non.. //
T330- //
non ? //
S331- //
q.. par exemple.. le mot espérantiste.. qu’est-ce que
ça veut dire.. pxx..... pour toi.. ?
T332- pour
moi.. ?
S333- mm
(acquiescement)...
T334- j’me:..
j’me considère pas comme espérantiste..
S335- mm (acquiescement)
T336- euh::...
si.si j’devais dire espérantiste... euh::... c’est
quelqu’un.. qui ...d’une part.. en a suffisamment appris... et d’autre part.. a
cet état d’esprit.. de.. euh::... de fraternité... euh.. avec... euh.. le.la
langue.. euh: espéranto.. comme euh:.. justement.. moyen de:.. d.de communiquer
avec des gens.. à l’aut’ bout.. et cetera... et de partager vraiment des:..
des:... enfin.. c’est un idéal commun.. quoi...
S337- mm (acquiescement)
T338- qu.qui
est.. euh.... qu’est un peu.. très proche de l’anti-mondialisme... qu’est un peu.. tout ça.... j’me considères pas
comme espérantiste.. parc’que... ben.. c’est pas tellement que:.. je maîtrise
pas assez la langue... y’a ça.... mais c’est surtout.. que::... je n’utilise
pas l’espéranto.. comme ça.. comme un moyen de:.. de parler avec des gens xx l’autre bout du monde... alors que.. j’ai eu plaisir à l’faire.. pour
parler chauves-souris.. avec des russes.. avec des::: allemands.. avec des:....
S339- en
anglais... ?
T340- en..
en anglais.. en général....rarement en français //
S341- //
et donc tu.. //
T342- //
très rarement.. en français...
S343- //
tu t’considères comme... comme quoi.. euh... ?
T344- comme
personne qui a appris l’espéranto.. qui r’grette pas...
S345- mm (acquiescement)
T346- euh:::...
euh.. autre... autre intérêt d’l’espéranto quand même... c’est que:... ça nous
aide à comprendre le fonctionnement de.. des langues... c’qu’elles ont en
commun... et ça.. j’regrette pas non plus euh::... j’aime bien //
S347- //
ça t’as aidé.. ? tu penses.. pour euh //
T348- //
ah oui.. je crois.. //
S349- //
l’anglais.. ? ou l’allemand... ?
T350- oui...
le:::.. c’est.... // euh.. je sais pas si ça m’a aidé.. pour l’anglais.. pour l’allemand...
je crois que le fait.. d’avoir appris un peu l’latin... parc’que.. j’l’ai pas dit tout à
l’heure.. mais euh... y’avait un peu l’latin quand même... d’avoir appris un peu d’anglais.. av.avoir appris un peu d’allemand.. avoir.. ap. appris un peu l’espéranto...
euh:.. tout ça me:.. me donne une certaine disposition.. euh:.. une certaine
compréhension du.. comment sont construites les langues.. et ça euh.. j’y tiens beaucoup.... et euh:.. le fait d’avoir aussi été chercher
l’origine.. de: certains mots.. en français.. euh:... que’qu’chose que:.. que
j’aime beaucoup...
S351- le
latin.. c’était après l’espéranto.. aussi.... que t’as appris.. ?
T352- euh:..
c’était euh:... initiation en:.. cinquième... en raison d’une heure par
semaine... et pis après ça été.. euh.. je crois.. trois heures par semaine.. en
quatrième et troisième...
S353- mm (acquiescement)
T354- c’est-à-dire
après.. avoir euh:.... fait ma première année d’espéranto.. et puis euh.. (léger
soupir) à peu près euh.. à peu près.. contemporain d’ma.. deuxième euh..
année.... ceci dit.. j’aime beaucoup aussi.. euh: sur des.. dans des langues
que j’connais pas:... hein.. j’l’ai dit.. tout à l’heure pour l’allemand.. mais... euh:... pour le::.. le hollandais... puisqu’il m’est arrivé d’aller.. plusieurs fois aux Pays-Bas... et puis euh.. j’ai.. aussi.. euh:... j’suis tombé sur des articles.. sur les
chauves-souris.. ou sur la répartition des mammifères.. aux Pays-Bas... et
qu’étaient écrit en
hollandais... et euh.. avoir plaisir...
euh.. à r’marquer que::.. certains mots ressemblaient.. tellement à
l’allemand.. tellement à l’anglais... et pis la construction.. j’arrive à bien
r’pérer parce que.. justement.. j’ai une certaine.. culture de:.. de
langues... que: ça m’a été::.. possible de:.. de sortir des informations.. sans
pouvoir.. traduire.. tout l’article... mais:.. euh:... savoir.. où aller
chercher les informations qui m’intéressaient.. et:.. et ceci dit le.. le
hollandais est un.. une
langue que j’apprendrais volontiers...
de même que le russe.. et
tout ça... mais chuis feignant...
S355- et...
pour r’venir vers le mot.. espérantophone... euh.. quel sens il a..
selon toi.... ?
T356- c’est
la première fois qu’j’l’entends (sourire)..
S357- ah
bon ? ..(soupir) //
T358- //
euh:.. j’vais l’comparer à francophone... c’est-à-dire quelqu’un.. qui:...
oui.. qui utilise l’espéranto.. oui... qui sait
l’utiliser.. qui sait l’parler.. qui sait l.. l’entendre //
S359- //
t’as jamais entendu le... //
T360- //
..et l’comprendre.. //
S361- //
mot.. ?
T362- non...
mais pour moi.. c’est:...
S363- tu
t’qualifierais pas non plus.. comme espérantophone... ?
T364- oui....
un peu plus.. ouais... c’est-à-dire que:::.. euh tout à
l’heure j’ai dit qu’espérantiste.. c’est quelqu’un qu’a l’idéal espéranto...
et::.. à la limite.. je dirai qu’e:::.. espérantophone.. c’est juste euh
quelqu’un qui::.. connaît la langue.. mais qui n’a pas cette //
S365- //
donc.. tu vois une différence.. ?
T366- oui..
S367- même
si.. c’est la première fois qu’t’entends.. vraiment.. le mot.. ?
T368- oui...
mais j’le compare à francophone.. à anglophone... et puis à:.. pas à saxophone.. non non..
S369- mm (acquiescement)
T370- non...
S371- pour
toi.. espérantiste.. ne veut pas d.. // ça vient pas.. comme simplement
quelqu’un qui parle espéranto... ? y’a.. quelqu’chose...
T372- voilà...
c’est quelqu’un.. qui: se sent.. membre.. quand même.. d’un::.. d’un groupe...
on peut être espérantophone.. c’est-à-dire.. avoir euh:.. pris la méthode
ASSIMIL euh::... avoir euh: appris.. et pis savoir prononcer.. et pis savoir
comprendre.. et cetera... tout en étant dans son coin... de.. n’avoir jamais
cherché à rencontrer un Allemand.. pour lui parler espéranto... y’avait pas
mal.. par exemple.. d’espérantophones sur Yvetôt... c’était.. des gens qui.. en
dehors du.. du groupe espérantiste d’Yvetôt... n’utilisaient jamais
l’espéranto.. ne rencontraient jamais d’étranger... alors que:.. euh::... ça
p.. ça pour moi.. il s’ra espérantophone... tandis que.. l’espérantiste.. il
aura plus.. cette démarche euh.. de recevoir chez lui... de se déplacer..
de:... éventuellement.. échanger des courriers.. avec des étrangers.. euh:... et..
d’une part ça.. et d’autre part euh ...vit un peu
pour l’espéranto... comme on peut vivre pour la religion.. comme on peut vivre
euh.... bon.. y’a des excès.. quand même... y’a des gens pour qui euh..
l’espéranto: est:.. c... y’a un côté fascisant.. des
fois.. quoi.. euh.... y’a.. y’a un truc qui m’choque..
y’a un hymne: national... enfin.. pas national... un hymne espéranto.. ça me.... et que les
gens.. se lèvent pour ça.. c’est: terrible..... j’ai l’impression qu’on s’éloigne.. un peu de:: //
S373- j’ai
encore jamais vu.. (sourire) mais j’en ai souvent.. entendu parler..
T374- ouais ouais (acquiescement)... hop.. je sais pas.. ça s’fait peut-être.. //
S375- //
alors on peut être.. //
T376- //
moins... //
S377- //
donc on peut être espérantophone.. sans être espérantiste.. ? mais est-ce
//
T378- //
ah oui.. complètement...
S379- mais
est-ce que l’inverse est xxx... ? être espérantiste.. sans être...
T380- sans
être.. euh... ?
S381- espérantophone...
T382- du
tout.. du tout.. du tout.. ? non.. on peut pas...
S383- ou..
pas:: //
T384- mais
av.. avec euh.. très peu.. oui.. avec //
S385- peut-être..
comme tu disais d’t’à l’heure.. bonan tagon [bɔnɑn tɑgɔn]..
euh
T386- oui..
c’est ça.... un peu plus que bonan tagon [bɔnɑn tɑgɔn]..
quand même euh:... (sourire) kion vi faras [kiɔn
vi fɑrɑs].. euh ĉi-vespere [tʃi vεspεrε] ? (rire)... euh:.. non.. j.je crois
qu’il faut ..quand même.. un minimum de vocabulaire... mais on peut avoir
l’esprit espérantiste.. ouais....
S387- mm (acquiescement)... d’accord (rire)... c’est bon (sourire)
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sur le site de Sébastien Erhard
[1] Dans ce mémoire, la traduction des passages en espéranto est indiquée entre crochets. Une astérisque au début de ces passages indique que la traduction en français a été effectuée par nos soins. Nous avons essayé de proposer une traduction la plus proche possible du texte original, privilégiant davantage le mot-à-mot que la qualité littéraire de la traduction.
[2] On pourrait se demander si le terme d’ethnonyme conviendrait pour ce type de dénomination, car plusieurs sources parlent de « peuple » ou de « diaspora » pour le cas de l’espéranto (même si ce sentiment d’appartenance n’est pas forcément partagé par tous les concernés). Mais cette population n’est pas territorialisée et les membres qui la composent sont eux-mêmes issus avant tout de populations et d’« ethnies » différentes. Cette question du terme ethnonyme en ce qui concerne les utilisateurs de l’espéranto mériterait sans doute une étude plus approfondie, mais qui ne fait pas vraiment l’objet central de notre recherche. Pour des raisons pratiques, nous nous contenterons donc de parler de dénominations.
[3] Néanmoins, une situation similaire peut se retrouver dans d’autres langues, comme le laisse entendre Sikosek (1999 :35).
[4] Il est certes assez étonnant de trouver une expression aussi belliqueuse pour une langue rattachée souvent à des idées pacifistes, comme mentionné plus haut ; mais l’on peut rappeler que dans l’hymne de l’espéranto « La Espero », Zamenhof lui-même parlait de « pacaj batalantoj » [*combattants pacifiques].
[5] On trouvera la mention de centaines de ces langues dans Albani & Buonarroti, 2001, ou dans Janton, 1973.
[6] Ces 2 voyelles admettent en fait une prononciation aussi bien ouverte que fermée (e peut se prononcer [ε] ou [e], et o [o] ou [ɔ]), mais ces 2 réalisations possibles n’ont pas de fonction distinctive.
[7] Ces 2 voyelles admettent en fait une prononciation aussi bien ouverte que fermée (e peut se prononcer [ε] ou [e], et o [o] ou [ɔ]), mais ces 2 réalisations possibles n’ont pas de fonction distinctive.
[8] C’est ce qu’indique Bernard Mottez lorsqu’il écrit à propos de la dénomination des sourds : « Le plus important en effet, ce n’est pas le nom qui sert à désigner les personnes. C’est qu’il en existe un pour les désigner. L’absence de nom a toujours de fâcheuses conséquences. [...] Ce que dit celui qu’on ne sait nommer [...] se trouve discrédité par avance. il est empêché en quelque sorte de parler à la première personne. Il ne peut être entendu. C’est comme s’il n’existait pas » (MOTTEZ B., 1993, « Les sourds existent-ils ? » dans La parole des sourds, REVUE DU COLLEGE DE PSYCHANALYSTES n°46-47, Paris, pp 49-58).
[9] Néanmoins, on est en droit de se demander si ces deux dénominations pourraient intervenir sur des niveaux différents (l’un linguistique, l’autre culturel ou social, par exemple).
[10] D’ailleurs, la problématique de la dénomination espérantiste / espérantophone se posait déjà pour nous aussi à titre individuel, et ce fut une motivation supplémentaire pour notre recherche.
[11] En espéranto, ces personnes sont appelées « denaskuloj » [*individus de naissance] ou « denaskaj esperantistoj » [*espérantistes de naissance]. À ce sujet, mentionnons la nouvelle humoristique de Sten Johansson où celui-ci prétend être né dans un congrès d’espéranto et dit être « se ne denaska esperantisto, almenaŭ denaska kongresano » [*si non un espérantiste de naissance, du moins un congressiste de naissance] (JOHANSSON S., 2000, Denaksa kongresano kaj aliaj noveloj, Tyresö, ed. Al-fab-et-o / INKO, 53 p : 19).
[12] Signalons qu’il s’agit de la même personne qui nous a fait parvenir, pour notre corpus, la revue de presse sur le congrès de Montpellier, et nous lui en sommes très reconnaissant.
[13] Chacun de ces prénoms désigne un nom de plante en espéranto.
[14] Il est intéressant de noter la fréquence des surnoms ou deuxième prénom chez un certain nombre de locuteurs de l’espéranto (nous avons pu lire à quelques reprises des articles ou textes qui présentaient cela comme une habitude assez fréquente dans le milieu de l’espéranto) : nous sommes donc en droit de nous demander s’il y aurait un lien possible avec le phénomène d’identification choisie ou de double personnalité.
[15] Remarquons que l’on rencontre parfois le mot espéranto employé en tant qu’adjectif, par exemple dans l’expression « une rencontre espéranto » au lieu de « une rencontre espérantiste ». On peut trouver cet usage, bien que assez rare, dans des discours exogènes, mais surtout dans des discours endogènes. Dans ce dernier cas, il peut s’agir soit d’un idiotisme dû à la traduction d’une langue à l’autre (car en espéranto, pour notre exemple susmentionné, on peut aussi bien dire « esperantista renkontiĝo » que « Esperanto-renkontiĝo »), soit d’une stratégie d’évitement de la dénomination espérantiste.
[16] Signalons un article de Martin LAVALLÉE (dans La Libre Pensée, 1990, #12, p.18-19) qui semble même faire étrangement correspondre espérantisme à espérantophone, car l’article intitulé « L’athéisme espérantophone » parle à deux reprises de « l’espérantisme athée » et emploie également le terme « l’espérantophonie ».
[17] Il est néanmoins intéressant de noter que le dictionnaire ne donne pas tout à fait la même définition pour chacune de ces dénominations en -phone.
[18] Il est rare de voir le suffixe -phone avec une valeur négative. On peut juste signaler le mot francofaune, avec une graphie volontairement déformée, à propos duquel Paul Wijnands, dans son article sur « Le rôle du signifiant dans les appellatifs de peuples, de langues et de territoires chez les francophones d’Amérique du Nord », nous dit que : « Utilisé comme un quasi-ethnonyme, il est dans la plupart des cas investi d’un sens ironique » (Wijnands, 1999 : 129).
[19] La revue de presse traduit « Universala Kongreso » par « Congrès Mondial » au lieu de « Congrès Universel », pour des raisons d’ambiguïté ou de connotation péjorative du mot « universel » en français, on suppose.
[20] Pour ce faire, certains vont jusqu’à changer la dénomination de la langue elle-même. Ainsi, le professeur Helmar Frank de l’Université de Paderborn cherche à réintroduire la dénomination initiale de la langue, celle de Lingvo Internacia, qu’il désigne parfois également par l’abréviation ILo (Frank, 1983 : 121-136), au lieu de la véritable dénomination actuelle de Esperanto, considérée comme trop connotée idéologiquement (Duc Goninaz, 1983 : 52) et de ce fait pas adaptée pour des études universitaires de pédagogie cybernétique.
[21] Lo Jacomo parle certes à deux reprises d’espérantologue (1981 : 36-37), mais il s’agit ici du spécialiste d’espérantologie, celui qui étudie de manière scientifique la langue espéranto.
[22] Néanmoins, dans un mémoire d’études sociales de 2003 (DEMONGEOT C., 2003, L’insertion sociale des jeunes en difficulté psychique au moyen de l’espéranto, Université Nancy 2, Nancy, http://mulhouse .esperanto.free.fr/claudy/memuaro), on constate l’absence de la dénomination espérantophone et seule la dénomination espérantiste y est utilisée. On y parle même à un moment d’« espérantistes professionnels » pour désigner les personnes travaillant dans le milieu de l’espéranto.
[23] Comme dans sa thèse, Lo Jacomo continue à parler ici d’espérantistes pour désigner les locuteurs de quelque niveau que ce soit : « l’espéranto étant avant tout un moyen de communication, il ne doit pas recréer trop artificiellement une classe d’orateurs, qui savent manier le beau langage, et se singularisent du commun des espérantistes qui parlent mal » (1983 : 64), distinguant parmi ces derniers les locuteurs expérimentés au moyen de l’expression d’« "espérantistes avertis" » (ibid. : 67).
[24] En français, on fait parfois usage du terme romaniste, mais qui est moins précis, car il désigne le spécialiste des langues romanes d’une manière générale.
[25] Cette dissymétrie est ressentie comme problématique même dans le discours des usagers, comme le montre par exemple l’article « Ĉu esperantisto aŭ esperantano ? [*Esperantisto ou esperantano ?] » de John Hammer, dans le numéro 33 de janvier 1997 de la revue Kajeroj el la Sudo, p.19.
[26] À titre informatif, le dictionnaire étymologique de Vilborg (VILBORG E., 1991, Etimologia Vortaro de Esperanto, Eldona Societo Esperanto, vol. 2, Malmö, 116 p.) nous précise que le mot esperantisto est apparu pour la première fois en 1889 dans une lettre de Zamenhof, la même année où la langue a pris le nom d’Esperanto. Auparavant, on trouvait la dénomination internaciisto, qui littéralement signifierait internationaliste, car le nom initial de la langue était Lingvo Internacia [*Langue Internationale].
[27] Dans le Grand Dictionnaire Espéranto Français (WARENGHIEN G., 1994, Grand Dictionnaire Espéranto Français, 3ème éd., SAT-Amikaro, Paris, 446 p.),dont la première édition date de 1955, esperantisto est par contre traduit par « un espérantiste » (1994 : 111).
[28] Duc Goninaz explicite cette dénomination ainsi : « le "peuple espérantiste" [...] vit des relations interpersonnelles de ses membres (il existe pour désigner les espérantistes entre eux le terme de samideano, analogue à l’appellation de frère ou camarade dans d’autres communautés) » (1983 : 51).
[29] Rosier et Ernotte ont précisément montré dans leur article sur la dénomination identitaire à Bruxelles que des termes en -phone permettent de « fonctionner non pas comme terme identitaire objectif mais comme écran idéologique qui déplace la question de l’appartenance régionale et même communautaire sur un terrain dépolitisé » (Rosier & Ernotte, 1999 : 118).
[30] Wennergren définit ainsi le suffixe de ce
néologisme, très proche de la dénomination française espérantophone (et
en profite pour redéfinir la dénomination esperantisto) :
OFON°
"Lingvano".
Tute superflua kaj evitenda sufikso iafoje uzata por fari vorton por lingvano aŭ
lingvaneco: Esperanto → *Esperantofono* =
"Esperantisto, Esperantolingvano", → *Esperantofona* =
"Esperantlingva". Oni uzu kunmetojn kun lingvano, lingva,
aŭ parolanto de... k.s. Por "parolanto de Esperanto" la ĝusta
vorto estas simple Esperantisto, kiu ĉiam signifas precize
"persono, kiu scias kaj uzas Esperanton".
[*"Membre d’une langue". Suffixe totalement superflu et à éviter,
parfois utilisé pour faire un mot pour un membre d’une langue ou la qualité
d’être membre d’une langue : Esperanto → *Esperantofono* =
"Espérantiste, membre de la langue espéranto", → *Esperantofona*
= "de langue espéranto". On doit utiliser des composés avec lingvano,
lingva, ou parolanto de... et autres. Pour "parolanto de Esperanto
[locuteur de l’espéranto]" le mot juste est simplement Esperantisto,
qui signifie toujours précisément "personne qui connaît et utilise
l’espéranto".]
(21/07/2004 - bertilow.com/pmeg/vortfarado/neoficialaj_afiksoj/sufiksoj/ofon.html)
[31] Dans un article précédent (GOLDEN B., 1992, « Kiuj estas la "adeptoj" de Esperanto ? » dans EVENTOJ n°64, Eventoj, Budapest, p.2), Laszlo Szilvasi rajoutait également les dénominations « Esperanto-simpatianto » et « Esperanto-parolanto / esperantulo » en complément à celles de Golden.
[32] Gabrielle cite cette autre dénomination sans définir quelle est la réalité que cette nouvelle dénomination recouvre. Elle nous précise néanmoins qu’il s’agit d’une citation de Silfer ; or Silfer est l’un des responsables de la « Esperanta Civito » que nous avons évoquée dans la présentation de l’espéranto (cf. 2.3.1.). Donc, la dénomination espérantien, -ienne est probablement un terme pour désigner les citoyens de cette « Esperanta Civito » ; il s’agit de ce fait d’une dénomination réservée à un domaine bien particulier.
[33] Cette citation du débat n’est malheureusement présente que sur la cassette de la journée d’étude sur l’espéranto (Journée d’étude sur l’espéranto, 25 novembre 1983, service audio-oral de l’Université de Paris VIII-Vincennes, 1ère cassette, Saint-Denis), et non dans les Actes.
[34] L’homaranismo était une sorte de religion commune, proposée par Zamenhof, laquelle prenait en compte les autres religions existantes. En effet, le projet initial de Zamenhof n’était pas seulement linguistique, mais aussi spirituel. Mais cet aspect-là de son projet n’a pas obtenu le même succès que la langue espéranto et, de nos jours, il est souvent oublié. Néanmoins, c’est probablement les ambitions spirituelles du projet de Zamenhof qui ont inspiré cette « nébuleuse idée » de l’interna ideo, pour reprendre les mots de Sikosek (1999 : 236-237).
[35] Pourtant, si l’on regarde l’histoire de la littérature originale en espéranto, on remarque que la poésie est l’un des styles littéraires qui a été le plus exploité, ce qui n’a rien d’étonnant car, comme nous le rappelle Wijnands : « La poésie est la forme d’écriture à laquelle les cultures minoritaires recourent le plus souvent. » (Wijnands, 1999 : 128).
[36] L’espéranto n’a d’ailleurs jamais eu usage de langue de référence, à notre connaissance.
[37] On peut rapprocher cette explication à la théorie de Janton, qui explique « la résistance psychologique aux langues construites, en particulier à l’espéranto » par une comparaison de la langue à la mère (Janton, 1983 : 74-80).